La catastrophe a été exceptionnelle dans une ville particulièrement mal préparée à affronter les inondations. Comment Casablanca a-t-elle pu succomber sous les eaux et quelles leçons tirer de ce désastre ? Premiers éléments de réponse…
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Pendant que le monde s’acharnait à ne pas trouver de solutions aux bouleversements climatiques lors du sommet de Cancun au Mexique, la planète passait aux travaux pratiques. L’Europe sous la neige, l’Amérique du Sud et le Maroc sous les eaux.
Si tout le Royaume a subi des précipitations record et doit déplorer au moins une trentaine de morts, la capitale économique a payé le prix fort : des infrastructures routières incapables de supporter quelques jours de pluie, des parkings transformés en véritables piscines, Casa chic sans électricité et Casa bidonville inondé… et surtout, une ville coupée de tout le pays et livrée à elle-même. Mais pas aux journalistes. Les autorités éludant tout contact.
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Les Américains avaient prévenu
Mercredi 11 h, Mohamed Sajid nous annonce que ses services sont en train de s’organiser autour d’une cellule de crise et que les réunions s’enchaînent pour venir en aide aux populations. Interrogé sur la manifestation des habitants mécontents qui se déroule le matin même, en face de la préfecture de Sidi Othmane, Sajid dit en ignorer la tenue et écourte la conversation.
à 19 h, nous passons à la wilaya, mais la cellule de crise est invisible. Un responsable nous informe… qu’il n’a rien à nous dire. Deux heures auparavant, le ministre de l’Intérieur est venu installer ses nouveaux gouverneurs qui, paraît-il, seront investis de pouvoirs étendus pour être plus réactifs. Mieux vaut tard que jamais. Le wali est aussi prolixe que le maire, le ministre est muet comme à son habitude. On ne verra d’ailleurs aucun ministre sur le terrain pendant cette catastrophe.
On sait pourtant que toutes les autorités sont sur le pont. Le roi a passé trois nuits blanches, accroché au téléphone, pour suivre heure par heure l’évolution de la situation. Taïeb Cherkaoui a mis en place un PC de crise qui lui remontait les informations des coins les plus reculés. Mais sur le terrain, après les inondations, l’absence des élus et de l’état était flagrante. Les partis politiques opposaient un silence radio et la société civile émargeait aux abonnés absents. Ce sont les caïds et les moqadems qui ont été mobilisés pour faire la récolte des couvertures et denrées alimentaires à distribuer.
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La débâcle de tout un système
S’il est un enseignement à tirer de la catastrophe, c’est la débâcle de tout un système. Kamal Difaoui, un des rares membres USFP du conseil de la ville dominé par le PAM, reconnaît le caractère exceptionnel des pluies qui se sont abattues sur la capitale économique. « 200 ml en 24 heures équivaut à 6 mois de précipitations en temps normal. Néanmoins, aussi bien les failles que l’amateurisme dans la gestion, que cette catastrophe a révélés sont indignes de la deuxième plus riche ville d’Afrique », affirme-t-il.
Pour Mohamed Manser, membre PAM du conseil de la ville (majorité), dire que les pouvoirs publics et les responsables de la ville n’ont pas été à la hauteur de la situation relève de l’injustice. « Tous les corps de l’état et de la mairie se sont mobilisés dès les premières alertes et jusqu’à très tôt le matin », se justifie-t-il. Il va jusqu’à remettre en cause le bien-fondé de certaines réactions. « Alors que nous essayons de parer au plus urgent, certains n’hésitent pas à nous demander des logements. Quand nous ne prêtons pas attention à des demandes aussi farfelues, nous sommes attaqués de tous bords et qualifiés de démissionnaires. »
Mais si gouverner c’est prévoir, on est consterné par la faillite du système. D’autant que l’Agence américaine des océans et de l’atmosphère (NOAA) avait prévenu la météorologie marocaine avec une cartographie des zones qui allaient être touchées. Mais on a considéré que les mouvements de panique qui résulteraient de la divulgation de ces informations pourraient créer des dégâts plus importants.
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L’OCP sous les eaux
Surtout, ces inondations certes exceptionnelles ont mis à jour les insuffisances d’une ville qui n’a jamais su gérer sa croissance. Symbole de cette incompétence presque séculaire, les égouts sous-dimensionnés prévus pour des zones de villas, qui ont débordé pour inonder les parkings des immeubles de cinq étages.
Les sociétés de services délégataires n’échappent pas à la salve de critiques que la catastrophe a provoquée. En ligne de tirs, la Lydec. « Nous nous attendions à des investissements plus conséquents de la part de la Lydec. » C’est le cas notamment dans la maîtrise de Oued Bouskoura, dont les débordements ont provoqué d’énormes dégâts dans la région. Ceux-ci ont touché jusqu’aux imposants sièges d’organismes comme l’OCP ou le centre d’expositions de l’Office des changes. « Encore quelques jours de pluie et les grands quartiers de Sidi Maârouf et Maârif, et donc le cœur battant du Maroc économique, étaient inondés », s’insurge Kamal Difaoui. Ils sont d’ailleurs nombreux à critiquer cet investissement manqué. D’autant qu’il était à l’ordre du jour depuis 2003. « La Lydec doit rendre compte du retard pris dans l’exécution de ce projet. C’est d’autant plus scandaleux que ces projets sont financés par la ville », ironise Mustapha Lhaya, membre PJD du conseil de la ville, et celui-là même qui s’est vu retirer la responsabilité du contrôle du travail de la Lydec au sein de la mairie.
Le tout devant une étonnante passivité du gouvernement. Premier à monter au créneau sur ce registre, le PJD qui a interpellé, mercredi 1er septembre au Parlement, l’Exécutif, appelant à des comptes et à des réactions de la part de départements comme l’équipement. « Nous ne pouvons pas demander au gouvernement de rétablir l’électricité sur le boulevard Zerktouni. Le rôle de Karim Ghellab s’arrête aux frontières du périmètre urbain. C’est à la ville de se prendre en charge. Et c’est ce que nous avons raté », explique Difaoui. Une position à laquelle Lhaya s’oppose. « Avec ses seules ressources, la ville est dans l’incapacité totale de gérer ses 5 000 kilomètres de routes. Il faut que l’état intervienne », dit-il. Piste proposée dans cette perspective, un contrat programme état-ville. Même le Pamiste Manser y consent. « Il est clair qu’une fois passée la crise, il nous faudra réfléchir plus sérieusement à des solutions à même de mettre la capitale économique à l’abri de ce genre de catastrophes. Que tous les Casaouis aient failli périr après seulement trois jours de pluie, cela a effectivement de quoi nous alerter. » Il propose, à cet effet, la tenue d’une session extraordinaire du conseil de la ville, histoire de fixer les responsabilités et de réétudier les projets d’infrastructures présents et à venir.
E.L.B. ( avec T.Q. K.E.H. A.E.A. )
photos Brahim Taougar
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La bulle de la Lydec
En temps de crise, cellule de crise ! Mais un jour après le déluge, le PC de la Lydec est plutôt zen.
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Mercredi, fin d’après-midi. Mauvais timing ou intime conviction de Lydec d’avoir rempli son devoir, les locaux de la cellule de crise sont pratiquement vides ! Cinq personnes en tout se chargent de collecter l’information provenant de microcellules, pour la transmettre à d’autres services, dont ceux de la wilaya. Cinq, ni plus ni moins ! Très rapidement on tente de nous rassurer sur l’effectif réel des troupes et leur affectation sur le terrain... « En fin de matinée, vers midi, nous étions une quinzaine et pas mal de choses ont déjà été faites. Vous devez savoir par ailleurs que chaque membre de la direction générale dispose d’un téléphone et de plusieurs cartes topographiques pour suivre de près la progression des opérations », nous explique Jawad Belhadad, directeur du système d’information et du développement clientèle.
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Effet boule de neige
Ce dernier est particulièrement soulagé de voir que le matériel informatique, les 900 radios et les 2 450 téléphones des différents services n’ont, eux, subi aucun dégât... Quelques minutes plus tard, c’est au tour du directeur d’exploitation de l’électricité et directeur de crise, Gérard Faure, de nous éclairer (cette fois) sur la principale cause du black out expérimenté par la ville depuis mardi : l’installation des postes d’électricité à l’intérieur des caves et des parkings. « C’est par mesure d’économie que les propriétaires optent pour ce genre d’installations, seulement dès que ces endroits sont inondés à cause de la pluie, vous pouvez dire adieu à tout l’agencement et à celui des cinq ou six immeubles autour. Il existe aujourd’hui énormément de constructions de la sorte, d’où l’effet boule de neige. »
Décryptage : cette configuration est appelée à se produire, chaque fois que les précipitations tourneront autour de 100 mm et que les sous-sols de ce type d’habitations se retrouveront gorgés d’eau. Un étage au-dessus, c’est le centre de relation clientèle (CRC). Ici aussi il n’y a pas foule. « Il y a moins de travail en ce moment. Hier, par contre, il nous a carrément fallu repositionner nos équipes et accroître leur nombre pour faire face à tous les appels », précise Abdelaziz Ahmani, chef du département de coordination clientèle.
En une journée, le bureau est passé de 30 à 15 téléopérateurs pour 11 000 appels au lieu de 60 000. Ceux-ci répondent aux particuliers, enregistrent leurs coordonnées, et essaient de les calmer au moyen de phrases toutes faites : « Monsieur, Madame, il s’agit là d’un problème général auquel nous allons tenter de remédier avant minuit inchallah, nos équipes sont dans votre quartier, en train de tout réparer. » Lorsque des insistances (légitimes) se manifestent à l’autre bout du fil, les conseillers mettent un point d’honneur à répéter aux intéressés qu’ils ne sont absolument pas les seuls dans cette situation et que près de 800 autres postes électriques ont eux aussi été affectés.
Une phrase dont on n’arrive pas vraiment à cerner l’effet rassurant... En quittant les lieux, il est près de vingt heures, et la grande majorité des rues jouxtant l’agence sont toujours plongées dans l’obscurité. Pourtant selon la direction, le centre-ville ainsi que les hôpitaux étaient censés avoir la priorité sur le reste…
Sabel Da Costa |