C’est une véritable révolution ! Le roi Mohammed VI a pris le taureau par les cornes pour répondre aux revendications du printemps marocain. Dans son discours de mercredi, et sans faire de référence directe au Mouvement du 20 février, le roi a démontré que le message était bien passé.
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Il a surpris tout le monde. Avec un discours qui restera sans doute dans l’histoire, le roi a adopté une démarche pragmatique pour calmer les impatiences sociales qui secouent le Maroc après avoir bouleversé la Tunisie et l’Égypte.
« C’est un discours audacieux, exprimant une volonté réelle de changement et qui va dans le droit fil des demandes de la jeunesse, des défenseurs des droits de l’homme et d’une grande partie de la classe politique », explique Cherkaoui Semmouni, le président du Centre marocain des droits de l’homme.
Une feuille de route en sept points, dont la reconnaissance constitutionnelle de « l’identité amazighe » des Marocains, et le « renforcement du statut du Premier ministre » (Lire pages 17 à 20).
Sans oublier la consolidation de l’état de droit, l’élargissement du champ des libertés individuelles et collectives ainsi que le renforcement du système des droits de l’homme et enfin « la volonté d’ériger la justice en pouvoir indépendant ».
Dès la fin du discours royal, la classe politique ne cachait pas sa satisfaction de voir le roi répondre aux attentes et revendications portant sur des réformes politiques profondes.
Pour Lahcen Daoudi, l’économiste en chef des islamistes du PJD, le dossier des revendications, dont la réforme de la Constitution, est clos. « Le roi a devancé autant la classe politique que les jeunes du 20 février avec un discours de rupture qui va plus loin que les attentes de la rue. Maintenant, tout le monde doit retrousser ses manches et je ne pense pas qu’il soit encore utile de descendre dans la rue. »
Même sentiment pour Mohand Laenser qui voit se concrétiser une des principales revendications identitaires des Berbères qui constituent la majorité de la population du Maroc.
Pour le secrétaire général du Mouvement Populaire, « c’est un discours qui va au-delà de nos attentes. La reconnaissance constitutionnelle d’une identité plurielle de la société marocaine a toujours fait partie de l’agenda de notre parti. Quant au partage des pouvoirs, et notamment l’octroi au Parlement de véritables prérogatives politiques pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle de contrôle de l’exécutif, il s’agit là de l’unique alternative conduisant à une véritable démocratie représentative ».
La fin de l’article 19 ?
Selon le chef de l’État, cette réforme de la Constitution permettrait également de confier à un Premier ministre issu des urnes des pouvoirs plus étendus et notamment l’autorité effective sur le quotidien de tous les départements ministériels sans exception.
Une référence à peine voilée à l’institution des ministères de souveraineté, une chasse gardée du Palais. Imposée par Hassan II, qui se réservait le droit de choisir et de démettre comme bon lui semblait les hôtes de ces départements clés que sont le ministère de la Justice, des Affaires étrangères et de l’Intérieur.
Mais la proposition de s’en tenir au choix d’un Premier ministre consacré par les urnes pourrait même mettre fin au recours à l’article 19 de la Constitution qui donne toute latitude au souverain de choisir ou de révoquer le chef du gouvernement.
Le Premier ministre sera ainsi choisi, selon la prochaine Constitution, au sein du « parti politique arrivé en tête des élections de la Première Chambre du Parlement marocain » et non plus nommé par le souverain, précise l’allocution royale.
« En tant que chef d’un pouvoir exécutif effectif », ce Premier ministre sera « pleinement responsable du gouvernement, de l’administration publique et de la mise en œuvre du programme gouvernemental », a continué le roi. Conséquence directe, cette démarche devrait introduire plus de transparence et de solennité dans la gestion des affaires publiques, amenant l’exécutif à les gérer avec plus de rigueur.
« Le renforcement de l’exécutif avec un Premier ministre désormais véritable patron du gouvernement nous rapprochera encore plus de l’exercice du pouvoir dans des démocraties séculaires telles que la France ou encore l’Espagne », commente le constitutionnaliste Semmouni Cherkaoui.
Dossier du Sahara oblige, le roi a en outre « décidé d’inscrire », dans le cadre d’une « réforme constitutionnelle globale », le processus de régionalisation dans le Royaume, avec un intérêt prioritaire pour les provinces du Sahara marocain.
« Nous ne voulons pas de régionalisation à deux vitesses : des régions privilégiées dotées de ressources amplement suffisantes pour leur essor, et des régions démunies sans atouts pour réaliser leur propre développement », a précisé le chef de l’État, qui a souhaité que la régionalisation soit accompagnée d’un vrai renforcement de la péréquation entre collectivités, en particulier au niveau des communes les plus pauvres, pour ne pas défavoriser les départements ruraux, à forte proportion de personnes en difficulté sociale.
On ne peut s’empêcher de voir dans le choix d’une régionalisation équilibrée politiquement et financièrement une référence à ce « Maroc inutile » d’où sont partis les jacqueries les plus violentes des cinq dernières années, Al Hoceima, Sidi Ifni, Laâyoune, Tinghir, Sefrou, pour ne citer que ces exemples.
Pour coller encore plus à l’actualité, le chef de l’état, qui a puisé dans le rapport remis récemment par le président de la Commission de la Régionalisation, prévoit l’élection des conseils régionaux au suffrage universel direct, pour une véritable « gestion démocratique des affaires de la région ».
Quant aux puissants gouverneurs et autres walis, ils devront s’incliner devant les pouvoirs étendus qui seront attribués à des présidents de conseils régionaux issus des urnes.
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Trois mois d’attente
Le super constitutionnaliste Abdellatif Mennouni qui devra plancher à la tête d’une commission ad hoc sur la révision d’une constitution, retouchée pour la dernière fois en 1996, a tout juste trois mois pour rendre sa copie.
Trop court, se défendent les intéressés. Mais en plaçant la barre très haut, le Palais veut prouver sa volonté sincère d’entamer des réformes politiques dans les plus brefs délais.
La balle est maintenant dans le camp des facebookers et autres défenseurs des droits de l’homme. Mohammed VI a réussi la tâche prométhéenne de réconcilier la monarchie avec la rue : la révolution a commencé avec l’IER, elle est maintenant bouclée avec le discours du 9 mars.
Le roi s’est délesté d’une grande partie de ses pouvoirs au profit du Parlement, du gouvernement, des juges et les conseils régionaux ; c’est à la jeunesse de s’organiser pour prendre le pouvoir et cela passe d’abord par un intérêt réel pour la chose politique et un passage obligé par les urnes.
Le chemin est encore long
Gajmoula Abbi, membre du bureau politique du PPS, pense que « l’indépendance de la Justice devrait faire du Royaume un véritable État de droit. Pour nous autres Sahraouis, cela veut dire que nous serons traités à égalité avec les autres citoyens du pays ».
Cette ancienne membre du Front Polisario, bien connue pour son franc-parler et députée au Parlement, met un bémol quant à la concrétisation de ce projet de nouvelle constitution qui sera soumis au référendum populaire.
Ses craintes ? Que ce changement ne favorise l’usurpation du pouvoir par les caciques du Makhzen qui eux, ne sont pas sur la même longueur d’onde que le souverain. Une classe politique vénale et rompue aux abus de pouvoir, un monde économique affairiste, hautement corruptible, joueront-ils le jeu ? Rien n’est moins sûr.
Pour les jeunes qui se sont invités sur la scène politique en demandant des comptes aux pouvoirs, le risque est grand de voir leur bataille des idées transformée en querelles de strapontins par une classe politique opportuniste par excellence.
Il est clair cependant que lorsque les jeunes prendront en main les destinées du pays, il leur faudra s’attaquer avec courage et lucidité aux problèmes bien réels que connaît le Maroc profond.
Pour l’instauration d’une véritable démocratie, un partage des pouvoirs équitable, le passage vers une monarchie parlementaire, le chemin est encore long.
En reprenant l’initiative de façon spectaculaire, le roi coupe l’herbe sous les pieds de quelques parangons de vertu, autoproclamés au lendemain du 20 février, dont les combats de la 25e heure n’ont désormais plus d’objet.
Abdellatif El Azizi
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