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Dans les entrailles de Derb Ghallef 
Actuel n°67, samedi 30 octobre 2010
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La joteya de Derb Ghallef est devenue LA plateforme nationale de distribution de l’électronique. Comment un marché informel, construit en tôle, réussit-il à brasser des milliards ? Comment fonctionne-t-il et que recouvre son anarchie apparente ? Enquête.


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Jeudi, 10h. L’activité est déjà intense à la joteya de Derb Ghallef. Les petites ruelles sont noires de monde et il faut jouer des coudes pour se frayer un chemin dans la foule compacte. Notre contact, Hassan, tenancier d’un commerce de téléphones portables est en pleine discussion avec ses clients.

Vêtu d’un jean et d’un polo, Hassan a l’allure d’un jeune Marocain lambda. Difficile d’imaginer que ce Marrakchi d’origine qui officie au « Derb » depuis dix ans est à la tête d’une petite entreprise (informelle) qui fait travailler quatre autres personnes. Durant les mois où les affaires sont bonnes (de juin à septembre), il peut dégager jusqu’à 30 000 dirhams de bénéfices et de quoi payer ses collaborateurs 400 dirhams par semaine chacun. Le plus incroyable est que Hassan ne fait que louer deux vitrines à la joteya ; la première à 3 000 dirhams et l’autre à 4 000 dirhams.

Hassan ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et prévoit d’installer sa « franchise » à Marrakech, où il a flairé le juteux filon des téléphones haut de gamme. « Ces terminaux n’ont pas encore inondé le marché marrakchi. Je vais installer une vitrine là-bas qui sera gérée par mon frère. Je me déplacerai régulièrement au début pour lancer l’affaire », raconte Hassan qui possède pour sa part un vieux Nokia « doté d’une excellente autonomie et impossible à voler ». Le jeune homme est plein d’ambitions et de projets et espère acquérir un café qu’il gèrerait parallèlement à ses activités à la joteya.

En avant-première européenne !

A Derb Ghallef, les bonnes affaires se trouvent à tous les coins de rue et les 2 000 échoppes que compte le souk abritent chacune plus de six collaborateurs directs sans compter les vendeurs ambulants et les activités annexes qui viennent s’y greffer. Ces dernières années, le business de l’électronique et de l’informatique est devenu la première activité du souk, qui est désormais une plateforme nationale de distribution. Téléphonie, « flashage » et réparation de récepteurs satellite, vente de téléviseurs, de matériel hi-fi, d’ordinateurs, de consommables… bref, tout ce qui a trait, de près ou de loin, à l’univers du high-tech est disponible à Derb Ghallef, à des prix défiant toute concurrence et parfois en avant-première (même européenne !). « Le Blackberry Torch vient de sortir en France ? J’en vends depuis plus d’un mois au prix de 6 500 dirhams ! », lance non sans fierté Hassan qui se fournit dans les pays du Golfe.

Guerre des prix sans merci

Comment un souk informel et, qui plus est, non raccordé au réseau électrique peut-il être aussi performant ? Le désordre de la joteya n’est qu’apparent en réalité. Grâce à une répartition sans faille des tâches et à une optimisation maximale du « système D », les vendeurs arrivent à cohabiter tout en se livrant une guerre des prix sans merci.

Derb Ghallef est scindé en deux entités : souk Najd et souk Selk, en référence aux barbelés qui délimitent cette zone (voir infographie). A souk Najd, on trouve essentiellement les vendeurs de téléphones portables, de DVD piratés et de paraboles. Cette zone est beaucoup plus fréquentée que souk Selk, plus récent, qui concentre la vente et la réparation d’ordinateurs et de jeux vidéo. « S’installer à souk Najd est plus valorisant. Les loyers y sont beaucoup plus chers et les ventes beaucoup plus importantes », nous explique Mustapha, vendeur de produits informatiques à souk Selk.

Deux millions de dirhams pour un 20 m2 !

Dans l’antre du capitalisme informel qu’est la joteya, toutes les places se monnayent et plus on s’approche d’une ruelle frĂ©quentĂ©e ou centrale, plus les loyers montent en flèche.  On distingue le « ferrach », vendeur Ă  l’étalage, qui « loue » l’emplacement entre 200 et 400 dirhams la semaine, le tenancier d’une « vitrine », louĂ©e entre 3 000 et 5 000 dirhams par mois, et le vendeur qui occupe un magasin louĂ© entre 2 000 et 6 000 dirhams en moyenne. Car aussi Ă©tonnant que cela puisse paraĂ®tre, il est possible que le loyer d’une Ă©choppe soit plus bas que celui d’une simple vitrine en raison de l’emplacement (cas de Hassan qui loue sa vitrine Ă  3 000 dirhams tandis que le magasin chez qui il dĂ©pose sa marchandise loue Ă  2 000 dirhams !). La valse des chiffres est encore plus Ă©tourdissante dès qu’il s’agit d’acheter un magasin. A ce niveau, on peut dire sans trop se tromper que la joteya de Derb Ghallef est l’endroit oĂą le mètre carrĂ© est le plus cher de toute la ville de Casablanca ! « J’ai personnellement assistĂ© Ă  la vente d’un magasin de 20 mètres carrĂ©s pour le prix de 1,95 million de dirhams ! », nous assure Hassan. Etonnant dans la mesure oĂą tout ce beau monde loue, vend et jouit de terrains et de locaux qui font encore l’objet de litiges (lire article page 20).

Du lecteur DVD aux pots de confiture... vides

Même les « ferrach » ne sont pas logés à la même enseigne. Ceux étalant leur marchandise à l’extérieur du souk ne payent qu’entre 10 et 50 dirhams par jour. Ceux-là achètent par exemple pour 200 dirhams de « casse » (jargon des gens de la joteya) qu’ils revendent aux alentours de 1 000 dirhams. La marchandise proposée est des plus insolites : cela va des lecteurs DVD, téléviseurs et ordinateurs aux vieux journaux, et même aux pots de confiture... vides !

Le souk est également peuplé de « chennakas », ces vendeurs ambulants qui trimbalent des objets high-tech et qui accostent les clients. Ils viennent pour la plupart du bidonville qui jouxte la joteya, Kariane Ferrane Ejjir.

Tout ce beau monde s’approvisionne auprès de quatre marchés principaux : l’Europe, les Emirats arabes unis, les Etats-Unis et la Chine. La plupart des téléphones, des ordinateurs et des consoles de jeux sont acheminés par des Marocains résidant à l’étranger qui rapportent régulièrement de petites quantités rapidement écoulées. Ce sont surtout des appareils d’occasion qui sont ainsi proposés aux chalands. Les Etats-Unis et les Emirats sont plébiscités pour le matériel haut de gamme neuf. Et pour cause : le dollar faible permet aux vendeurs de négocier de meilleures marges à la revente. Les vendeurs s’orientent de plus en plus vers l’importation de Chine (voir article page 18), surtout pour tout ce qui concerne le consommable : cartes mémoires, composants informatiques, batteries, accessoires, etc.

En plus de la vente, la réparation et le « fla-shage » représentent la deuxième activité des commerces spécialisés dans l’électronique. Tous les magasins ou presque emploient des techniciens à plein temps ou à la commande. Cela va d’un salaire hebdomadaire de 500 dirhams à une commission sur chaque pièce réparée.

Les petits génies de la joteya

Abdelhak a un diplôme en maintenance informatique et électronique. Cela fait cinq ans qu’il officie dans un magasin de vente d’ordinateurs. Spécialisé dans la réparation de moniteurs et d’écrans LCD, il gagne en moyenne 3 000 dirhams par mois. La spécialisation permet au technicien de réparer une plus grande quantité de matériel en peu de temps et donc de gagner plus. Elle offre également l’avantage de constituer un stock de pièces électroniques qui s’amoncèlent au gré des réparations. Abdelhak pour sa part travaille à mi-temps. Pour le reste, il se consacre au magasin familial spécialisé dans la vente de solutions de vidéosurveillance.

Il n’est pas rare de trouver à Derb Ghallef des techniciens qui collaborent avec plusieurs vendeurs et qui ont à côté une autre activité plus officielle. Idem pour les « flasheurs », ces techniciens spécialisés dans la traque aux codes des chaînes satellites, ou ceux qui piratent les protections des appareils électroniques comme les téléphones portables ou les consoles de jeux vidéo. C’est grâce à eux que Derb Ghallef a acquis la réputation de réservoir à petits génies. Mais que l’on ne s’y trompe pas, la plupart d’entre eux ne font que récupérer d’Internet les solutions de piratage développées par les véritables hackers. Le tour de force réside dans la réactivité et l’aptitude des techniciens à réparer ou modifier vite et bien. Le cliché ne se dément pas : les vendeurs de la joteya déploient un véritable talent pour se renouveler et flairer les bonnes affaires.

Peu importe la méthode (légale, illégale, contrefaçon ou pas), le plus important pour eux est de transformer le bric-à-brac précaire qui les entoure en espèces sonnantes et trébuchantes.

Zakaria Choukrallah

Nouveau filon : la route de la Chine

L’activité la plus rémunératrice dans le business de l’électronique underground est très certainement l’importation de Chine. Les vendeurs de la joteya ont flairé le filon et traitent désormais directement avec l’empire du Milieu.

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Les plus importantes quantités de marchandises écoulées dans le marché de Derb Ghallef proviennent de Chine et sont l’apanage d’une poignée d’importateurs qui ont eu l’intelligence de flairer le filon assez tôt. « Quand j’ai vu le roi se déplacer en Chine pour signer de gros contrats d’échange bilatéraux, j’ai compris qu’il y avait de l’argent à gagner », nous explique Amine, devenu une véritable célébrité à Derb Ghallef depuis qu’il s’est installé en Chine, s’est marié avec une Chinoise et a commencé à importer du matériel électronique. Cet ancien « employé » de Derb Ghallef qui parle aujourd’hui anglais, français et quelques bribes de mandarin est considéré comme un pionnier. Tout a commencé en 2004, quand les vendeurs de Derb Ghallef ont suivi la même voie que ceux de Garage Allal et de Derb Omar. Les premiers bureaux dits trading offices (bureaux de liaison) ouvrent leurs portes en Chine. Gérés par des Marocains qui payent le pas-de-porte aux alentours de 7 000 dirhams par mois, ces sociétés servent d’interface à l’importateur local, s’assurant de l’acheminement de la marchandise et de toutes les autres tracasseries administratives.

L’année 2006 a connu un boom des trading offices. Leur nombre s’est multiplié par trois ou quatre. Le résultat, c’est qu’à partir de l’année 2007, beaucoup de ces bureaux ont été contraints de mettre la clé sous la porte. Derb Ghallef s’est retrouvé inondé de marchandises qu’il était devenu difficile d’écouler, ce qui s’est inévitablement répercuté sur les prix et donc sur les marges bénéficiaires devenues trop minces.

Le Café Mouka… en Chine !

Résultat : plusieurs importateurs, à la faveur des contacts noués avec les entreprises chinoises, optent désormais pour les transactions virtuelles en passant par Internet.

Cela étant, il existe encore des importateurs qui préfèrent se déplacer en Chine afin de vérifier sur place la qualité du produit. Ceux-là prennent un billet d’avion (aux alentours de 12 000 dirhams), payent leur hôtel et négocient directement avec les manufactures chinoises. Ils disposent de sommes allant de 20 000 dirhams (dotation maximum pour le visa touristique) à 100 000 dirhams (visa affaires) qu’ils versent en acompte à leur contact. Le reliquat est réglé par virement bancaire une fois les containers acheminés.

Les principales plateformes chinoises d’exportation de matériel électronique sont les districts de Guangzhou, Canton et Shenzen. Les Marocains ont même désormais leurs petites habitudes en Chine, comme les cafés où ils se retrouvent ! « Un des hauts lieux de négociation est le café Li-Wan-Guanta qu’on surnomme café Mouka ! , raconte Amine. Il faut être très prudent et bien négocier avec les Chinois qui sont intraitables dans les affaires. »

Indexé au marché international

A Derb Ghallef, on raconte d’ailleurs qu’arnaquer un Chinois, c’est s’exposer à de gros ennuis, voire même à la liquidation physique. « La finalité pour un importateur marocain est de trouver le meilleur rapport qualité-prix pour pouvoir écouler facilement et rapidement le produit au niveau de Derb Ghallef. Il faut être plus concurrentiel que son voisin, qui s’est déplacé il y a un mois pour ramener le même produit par exemple », nous explique Amine. C’est d’ailleurs ce qui explique les différences de prix pour un même type de produit quand on arrive au bout de la chaîne.

Quand il s’agit de petites transactions, les importateurs marocains passent en gĂ©nĂ©ral  par des intermĂ©diaires. Mais quand il s’agit de lots importants, les nĂ©gociations se font directement avec le manager de la fabrique. Le prix d’achat dĂ©pend non seulement du produit mais aussi du prix de la matière première. Chose surprenante, les importateurs guettent mĂŞme le marchĂ© international des matières premières : si le prix du fer est en hausse par exemple, cela va surement se rĂ©percuter sur le prix des composants ! Pour des clĂ©s USB par exemple, c’est le micro-controller, le circuit imprimĂ© base du composant, qui est nĂ©gociĂ© et dont le prix fluctue suivant la conjoncture.

700 000 dirhams par container

Une fois les négociations terminées, la marchandise est acheminée dans des containers jusqu’au port de Casablanca. Ce dernier « détail » est des plus embarrassants pour les importateurs, obligés la plupart du temps de payer un bakchich pour contourner la TVA à la réception de la marchandise qui peut atteindre plus de 700 000 dirhams par container. Un secret de polichinelle dans le microcosme de Derb Ghallef. Certains optent pour des méthodes encore plus extrêmes et parfois illégales en faisant valoir leur « portefeuille de contacts » au niveau des services des douanes ou en faisant enregistrer leur marchandise sous de fausses rubriques et ainsi alléger la taxation.

Berner la douane

« Les plus performants à ce niveau sont les importateurs de Derb Omar. Ils acheminent une marchandise en principe surtaxée, comme le matériel de prothésiste dentaire par exemple et mettent en devanture du container des gadgets high-tech faiblement taxés. Ils écoulent ensuite le matériel électronique à des prix dérisoires dans la joteya », assure notre vendeur sous couvert d’anonymat. C’est ce qui explique également les grands écarts de prix qu’on peut noter entre certains produits d’un magasin à l’autre. Cela étant, les importateurs ne sont pas à l’abri des mauvaises surprises, et les services des douanes peuvent s’orienter vers l’estimation pour déterminer le niveau de taxation d’un produit.

Une fois arrivée au Maroc, la marchandise est stockée en toute légalité dans des entrepôts loués à cet effet, et parfois même dans un garage, comme c’est le cas pour Amine. Commence alors une course contre la montre pour l’écouler le plus rapidement possible. « Chaque importateur dispose d’un carnet d’adresses de vendeurs à qui il fournit la marchandise. Elle est ensuite redistribuée à l’intérieur de la joteya puis aux vendeurs de produits électroniques d’autres villes qui viennent se fournir à Casablanca », détaille Amine. Il ne reste plus au fournisseur qu’à reprogrammer un voyage après avoir évalué de nouveau les besoins du marché.

Zakaria Choukrallah

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Foire aux questions

Quels sont les jours d’ouverture ?

Mis à part le vendredi où de nombreux commerces ferment, la joteya est ouverte tous les jours de 9 heures à 18 heures. Les week-ends enregistrent les plus forts pics de visiteurs.

Pourquoi Derb Ghallef ferme si tĂ´t le soir ?

Le souk n’est pas raccordé au réseau électrique. Pour y pallier, ce sont des groupes électrogènes qui alimentent les magasins de 9 heures du matin à midi, puis de 15 heures à 18 heures. La Joteya est donc fermée le soir afin de laisser refroidir les groupes électrogènes. C’est aussi simple que cela. Un petit malin a même centralisé plusieurs groupes électrogènes et s’est transformé en distributeur auprès des différents magasins moyennant la somme de 200 dirhams par semaine. Une fois le soleil couché, aucun vendeur n’a le droit de revenir à son magasin pour éviter les vols. De plus, une vingtaine de gardiens assurent la sécurité des lieux pendant la nuit.

A Derb Ghallef, n’y a-t-il que de l’informel ?

Contrairement à l’idée reçue, les vendeurs de téléviseurs LCD, de paraboles sont pour la plupart… des détaillants agréés ! Ainsi, des entreprises comme Al Jazeera qui ont flairé le filon proposent leur service aux clients à l’intérieur même des souks. Mais il faut réclamer systématiquement une facture et un certificat de garantie. Ayez donc ce réflexe !

Peut-on tout acheter Ă  la joteya ?

Assurément non ! Pour certains produits, comme les téléviseurs, les récepteurs ou le gros électroménager, il est préférable de s’adresser à des magasins agréés afin d’être sûr de profiter de la garantie et que l’on achète du neuf. Pour le consommable, préférez Derb Ghallef beaucoup plus compétitif. En règle générale, commencez toujours par faire un petit tour par le souk afin de comparer les prix et n’achetez jamais sur un coup de tête.

Faut-il faire confiance aux barbus ?

Les vendeurs de la joteya savent que vous doutez de leur probité. Sans faire de raccourcis et les traiter d’arnaqueurs, il n’en reste pas moins que certains jouent sur le capital confiance que vous pouvez accorder à leur apparence. « Les barbus sont les pires de tous. Ils ne jurent que par Dieu et son prophète mais ils seront les premiers à vous arnaquer. Je me méfie particulièrement d’eux », nous confie un vendeur de téléphones portables. L’habit ne fait pas le fqih !

Pourquoi y a-t-il tant de touristes Ă  Derb Ghallef ?

Pour la simple et bonne raison que les guides touristiques conseillent d’y faire un tour ! Selon le Guide du routard 2010, c’est « un marché où l’on trouve tout ce que la Chine produit comme gadgets ». Pour Geoguide, « tout le Maroc fait ses courses dans ce marché aux allures autant africaines qu’orientales ». Petit conseil tout de même que glisse le guide Michelin : « Agoraphobes s’abstenir ».


Imbroglio : Ă  qui profite la joteya ?

Des commerçants patentés louant leurs emplacements à l’Etat… Mais sur un terrain qui n’appartient pas à l’Etat ! Retour sur un imbroglio juridique.

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Derb Ghallef, la célèbre joteya dont la renommée a dépassé nos frontières, est également un temple de l’informel qui traîne un passé lourd de conflits, dont certains perdurent. Une des questions qui revient le plus souvent est celle de la légalité des activités qui s’y déroulent. Or, lorsqu’on aborde ce sujet, on se rend compte qu’il recèle plusieurs soubassements. Au fur et à mesure que l’on s’y hasarde, on a l’impression de déboîter une Matriochka, ces célèbres poupées gigognes russes.

Il faut savoir que les commerçants de Derb Ghallef sont soumis au régime du « tanazoul ». Chacun d’eux paie un pas-de-porte qui lui permet d’exploiter provisoirement le local, auprès de son propriétaire. L’un des plus célèbres possesseurs de magasins est sans aucun doute le dénommé Zorba. La soixantaine fringante, cet homme à la petite moustache et au manteau de cuir est de ceux qui se fondent facilement dans la masse. Néanmoins, il possède, selon nos sources à Derb Ghallef, une dizaine de magasins spécialisés dans la vente de vêtements. Prudent, il nous affirme être propriétaire que d’un seul local mais se démasque en orientant un de ses clients vers une seconde échoppe… située en face !

Agression : le risque zéro

« Cela fait 45 ans que je travaille à Derb Ghallef. C’est grâce au défunt roi Hassan II que le marché s’est un peu structuré. Les “barraha” (crieurs publics) étaient venus nous voir pour nous informer qu’on pouvait disposer d’autorisations provisoires. C’est ce qui a permis au souk de se développer et de devenir beaucoup plus propre. Nous avons troqué nos berrakas (baraques) contre des magasins un peu plus solides. » Zorba fait référence à l’année 1982, date à laquelle l’ancienne joteya avait été la proie des flammes. Selon une source proche du dossier, « afin de recaser les sinistrés, au nombre de 500, la wilaya de Casablanca les a autorisés à s’implanter sur le terrain objet du titre foncier 4238 D. Les constructions ont été réalisées contre la somme de 80 000 dirhams pour chaque sinistré. En contrepartie, un contrat de location et d’exploitation provisoire leur a été attribué ». Et depuis, c’est en vertu de cette « autorisation temporaire », véritable épée de Damoclès, que les commerçants de Derb Ghallef détiennent une patente et paient leurs impôts sur la base d’un forfait annuel.

En outre, le fait d’être soumis à cette autorisation a conduit les commerçants à établir une sorte de règlement tacite, qui permet le bon déroulement des activités sur place. « Avez-vous déjà entendu dire que quelqu’un s’est fait agresser à Derb Ghallef ? Les commerçants font tout pour que ça n’arrive pas. Sinon, ils perdraient leur gagne-pain », commente notre source. D’autres témoignages font état d’une véritable milice privée qui effectuerait des rondes en catimini durant la journée. Une précaution louable, quand on sait que chaque local exploité est une source de revenus pour trois à six familles !

Derb Ghallef, terrain privé ?

Contrairement à d’autres activités informelles où l’on remarque une concentration de pouvoirs au sein d’une famille ou d’un individu, à Derb Ghallef, il n’y a pas de « ras souk » (un grand propriétaire ou un protecteur). « Il y a des personnes qui possèdent jusqu’à une dizaine de magasins, mais la plupart n’en possèdent qu’un ou deux. Et encore, on parle des premiers propriétaires qui ont depuis loué leur local », remarque Hassan, vendeur de téléphones portables. L’activité à Derb Ghallef est très morcelée et chaque magasin fait vivre de nombreuses familles. Il y a bien entendu des vendeurs qui se sont enrichis (dont les importateurs), mais ceux-là décident d’évoluer à l’extérieur du souk, en achetant dans sa périphérie ou en diversifiant leurs activités.

Mais lĂ  oĂą l’histoire de Derb Ghallef atteint des sommets d’incohĂ©rence, c’est quand on dĂ©couvre qu’en fait, la joteya de Derb Ghallef  est bâtie illĂ©galement sur un terrain privĂ©, qui fait l’objet, depuis plus de vingt-cinq ans, de longues batailles juridiques. Une histoire qui a dĂ©frayĂ© la chronique Ă  plusieurs reprises chez nombre de nos confrères, et dont les dĂ©tails techniques donneraient des migraines Ă  bien des juristes chevronnĂ©s.

En fait, le conflit ne concerne pas que la cĂ©lèbre joteya, mais tout le pĂ©rimètre avoisinant, l’ensemble Ă©tant concernĂ© par le titre foncier 4238 D, qui couvre près de vingt-cinq hectares. S’agissant de la joteya elle-mĂŞme, elle est situĂ©e sur le  terrain enregistrĂ© sous le titre 29190 D, qui est un morcellement parmi d’autres du titre-mère 4238 D. « Le conflit dure depuis 1982, après l’incendie, quand la wilaya a relogĂ© les sinistrĂ©s sur notre terrain », martèle Mohamed Youssef Benkirane, porte-parole des copropriĂ©taires du terrain.

L’État loue illégalement

Certificats de propriété à l’appui (dont actuel détient copie), Benkirane ajoute que « pour couvrir cette occupation illicite seulement deux copropriétaires ont reçu, sans avoir été consultés, une lettre de remerciement signée et datée du 14 juin 1982 par le gouverneur Ahmed Fizazi. Depuis, plusieurs actions en justice ont été lancées pour obtenir une évacuation, mais toutes ont été déboutées ».

Sollicités par nos soins, la wilaya de Casablanca, à l’heure où nous mettions sous presse, ne s’était toujours pas manifestée. Et malgré la présence de nombreux documents attestant que l’Etat n’est nullement propriétaire – du moins pas en totalité – du terrain objet du litige, il n’en demeure pas moins que la commune perçoit un loyer mensuel (transformé depuis en taxe communale) aux dires des propriétaires et de nombreux commerçants. Sans compter les rentrées inhérentes à l’activité de parking à l’entrée de la joteya.

« Alors que la commune loue illégalement ce terrain considéré comme une poule aux œufs d’or, les copropriétaires, eux, n’ont jamais reçu ni loyer ni indemnisation, et ce malgré leur nombreuses protestations », souligne Benkirane. Combien gagne la commune en louant ce terrain ? Les estimations sont diverses, mais ne reposent sur aucun fondement vérifiable officiellement. Des sources parlent de sommes pouvant atteindre les 30 000 dirhams de loyer par commerçant.

En 1984, l’Etat a bien décidé d’inscrire sur le titre foncier une demande d’expropriation, pour la totalité des biens indivis ne lui appartenant pas. Mais selon les copropriétaires, vingt-six ans après, cette expropriation n’a jamais été prononcée.

Adam Berrada


Mohamed Youssef Benkirane, porte-parole des familles Benkirane et Consorts.

« Nous attaquons le Maroc à la Haye »

Les péripéties des « héritiers de Derb Ghallef » ont été relatées à maintes reprises par la presse. Où en êtes-vous concernant votre litige avec l’Etat ?

Après des décennies de bataille judiciaire, nos familles se retrouvent aujourd’hui confrontées à la fameuse taxe sur terrain non bâti (TTNB), à savoir celui qui fait l’objet du titre 29190 D. Ce qui est absurde, puisqu’il y a des constructions sur ce terrain, mais elles ne sont pas de notre fait. Notre famille ne tire aucun revenu de ce terrain, et elle est en plus taxée pour la TTNB, à raison de 12 dirhams le mètre carré. Certains d’entre nous ont pris un crédit pour faire face à cette taxe. Or, quand vous savez que dans la joteya de Derb Ghallef, les locaux se vendent – illégalement – en fonds de commerce de plus d’un million de dirhams, peut-on encore dire qu’il y une loi, une justice au Maroc ? Sachant que l’Etat a officialisé le secteur informel en donnant un numéro de patente à tous les occupants illégaux de la joteya !

Avez-vous épuisé les voies de recours ?

Nous sommes passés par toutes les voies de recours possibles et imaginables. Nous sommes d’abord passés par les tribunaux de première instance, et ensuite par les tribunaux administratifs. Par leur biais, nous avons essayé à plusieurs reprises d’arrêter les travaux autorisés illégalement par la commune. Toutes nos demandes ont été rejetées pour vice de forme, de fond ou bien pour incompétence du tribunal. Dans tous les cas, il y avait un rejet du dossier. Ou alors, nous nous retrouvons dans l’impossibilité d’exécuter un jugement en notre faveur, comme celui prononcé à l’encontre du ministère de l’Intérieur pour avoir construit des logements destinés aux services de police (cité Mahdia).

Et maintenant, que comptez-vous faire ?

Jusqu’à ce jour, nous avions fait confiance à notre pays, mais maintenant, nous sommes fatigués par tant d’années de lutte inégale. Nous avons donc décidé de porter notre dossier devant les instances internationales, en l’occurrence le Tribunal international de La Haye. La procédure est déjà en cours.

Propos recueillis par A. B.

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N°124 : Le 20-FĂ©vrier s'essoufle...  mais le Maroc bouillonne
N°123 : Protectorat,   Cent ans sans solitude
N° 122 : Formation du gouvernement,  Ca coince et ca grince
N°121 : Portables, Internet, documents biomĂ©triques…  Flicage, mode d’emploi
N° 120 : Sondage exclusif :  Benkirane, Monsieur 82%
N°119 : Pourquoi le Maroc ne sera pas   islamiste
N°118 : Mohammed VI versus al-Assad,   Au nom du père
N°117 : Gouvernement :   Cabinets ministĂ©riels, de l’ombre Ă  la lumière
N°116 : Plan social :  les sacrifiĂ©s de la RAM
N°115 : Coup d’Etat :   Skhirat, L’histoire du putsch revue et corrigĂ©e
N°114 : Politique fiction  Et le gagnant est ...
N°113 : Le dernier combat de   Mohamed Leftah
N°112 : Portrait Abdelbari Zemzmi
N°111 : Harcèlement sexuel et moral  Un sport national
N°110 : Bilan  Le code de la dĂ©route
N° 109 : L’ONDA  Grosses tensions et petites combines
N°108 : Placements Comment sauvegarder son patrimoine  
N°107 : ImpĂ´t sur la fortune El Fassi lance un pavĂ© dans la mare  
N° 106 : Interview 
N° 104/105 : Presse Ă©trangère/Maroc Le grand malentendu  
N°103 : Le temps de l’amazigh  
actuel 102 : RĂ©fĂ©rendum Ecrasante victoire du Oui  
actuel 101 : FatĂ©ma Oufkir : Le roi et moi 
N°100 : 100 indignations et 100 solutions pour le Maroc 
N°99 : Projet constitutionnel Le roi et nous  
N° 98 : PĂ©dophilie  : Tolerance zero 
N° 97 : Gad, Jamel & co Pourquoi les Marocains font rire le monde
N° 96 : L’horreur carcĂ©rale 
N° 95 : Enseignement privĂ© : Le piège  
Actuel n°94 : Moi, Adil, 25 ans, marchand de chaussures et terroriste  
N°93 : Ces cliniques qui nous ruinent 
Actuel n°92 : RĂ©volutions et attentats Sale temps pour Zenagui 
Actuel n°92 : Mais que veulent les jeunes ? 
Actuel n°92 : Il n’y pas que le 20-FĂ©vrier…  
Actuel n°92 : Qui cherche Ă  dĂ©stabiliser le pays ?  
Actuel n°92 : Â«â€‰Nos attentes sont plus grandes que le 20-FĂ©vrier »  
Actuel n°92 : Trois jeunesses 
Actuel n°92 : Attentat : Le jeudi noir de la ville ocre  
Actuel n°91 : Le grand nettoyage 
Actuel n°90 : Le retour des adlistes 
Actuel n°89 : Ruby : sexe, mensonges et vidĂ©o 
Actuel n°88 : ImpĂ´ts : Halte Ă  la fraude 
Actuel n°87 : Hassan II TV c’est fini 
Actuel n°86 : Marine Le Pen : L’islam, les Arabes et moi 
Actuel n°85 : Vive le Maroc libre 
Actuel n°84 : Rumeurs, intox : Ă  qui profite le crime ? 
Actuel n°83 : ET MAINTENANT ? Une marche pour la dĂ©mocratie
Actuel n°81 : Sale temps pour les tyrans 
Actuel N°72 : Aquablanca : La faillite d’un système  
Actuel n°69-70 : Benguerir sur les traces de Settat 
Actuel n°68 : Art, sexe et religion : le spectre de la censure 
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Actuel n°66 : Ces FQIHS pour VIP 
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Actuel n°64 : Bourse de Casablanca, des raisons d’espĂ©rer 
Actuel n°63 : Ex-ministres :  y a-t-il une vie après le pouvoir ?
Actuel n°62 : Le code de la route expliquĂ© par Ghellab
Actuel n°61 : La vie sexuelle des Saoudiennes… racontĂ©e par une Marocaine
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N°59 : Eric Gerets, la fin du suspense ?
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N°54 : Ces ex-gauchistes qui nous gouvernent 
N°53 : Au cĹ“ur de la prostitution marocaine en Espagne 
N°52 : DiplĂ´mĂ©s chĂ´meurs : le gouvernement pris au piège
N°51 : 2M : Succès public, fiasco critique
N°50 : L’amĂ©rique et nous 
N°49 : Crise, le Maroc en danger ?
N°48 : Les 30 Rbatis qui comptent 
N°47 : Pourquoi El Fassi doit partir 
N°46 : Chirurgie esthĂ©tique :  plus belle, tu meurs
N°45 : McKinsey dans la ligne de mire  
N°44 : Trafic sur les biens des Ă©trangers 
N°43 : Avec les Ă©vadĂ©s de Tindouf 
N°42 : GCM / Tamesna : Un scandale en bĂ©ton !
N°41 : ONA - SNI: Ils ont osĂ©
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N°39 : Le Maroc, terre d'accueil des espions 
N°38 : Bleu Blanc Beurk 
N°37 : Boutchichis Les francs-maçons du Maroc
N°36 : Hamid Chabat rĂ©veille les vieux dĂ©mons
N°35 : Vies brisĂ©es 
N°34 : Maires Ceux qui bossent et ceux qui bullent
N°33 : Botola Combien gagnent nos joueurs
N°32 : Sexe, alcool, haschich, jeux… Les 7 vices des Marocains
N°31 : Tanger Le dossier noir des inondations
 
 
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