Interview de Karim Ghellab, ministre de l’Equipement et des Transports.
« Si les citoyens veulent un système corrompu, ils l’auront »
Corruption, permis à point, amendes et alcotests… Tout, tout, tout... vous saurez tout sur le nouveau code décrypté par son géniteur.
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Le nouveau code de la route entre en vigueur alors que le nombre d’accidents de la route et de victimes ne cesse d’augmenter depuis 2008…
En effet, depuis 2008, nous avons constaté une augmentation à une vitesse alarmante puisque nous sommes de nouveau passés à plus de 4 000 morts par an. Cela, alors que nous étions parvenus de 2004 à 2007 à maintenir les dégâts humains en dessous de ce chiffre. D’une part, il y a l’activité économique en progression au Maroc qui se solde automatiquement par une augmentation du trafic. Le nombre d’accidents est donc proportionnel à cette évolution. D’autre part, et c’est là où le bât blesse, il y a la non-efficacité générale du système de transport, dont le code de la route est l’un des principaux maillons. D’où toute l’importance et le bien-fondé du nouveau code.
La nouvelle loi est désormais une réalité, mais au vu des oppositions qu’elle continue de susciter, quelles sont les garanties de sa mise en œuvre ?
Une de ces premières garanties est le débat que ce code a déclenché au sein du Parlement et avec les syndicats ainsi que le temps de confrontations, d’amendements et de travail que cela a nécessité. C’était un temps de modulation et d’intégration par tout un chacun des nouvelles dispositions. Et tous ces débats ont permis de « tuner » le code et de l’adapter à notre réalité pour qu’il soit justement applicable.
Mais encore ?
Il y a d’abord le fait que 9 décrets d’application du code ont été adoptés en conseil de gouvernement. En général dans notre pays, la loi est adoptée mais ses textes d’application ne sont publiés que des années après. Soucieux de la qualité du contrôle routier, nous avons également mis en place un guide qui supprime toutes les plages d’incertitude. Toute la procédure de contrôle y est précisée, du salut obligatoire à la nécessaire accréditation de l’agent par son administration, sans parler d’un listing exhaustif des infractions, de leurs références dans le code de la route et des sanctions que celui-ci prévoit, ainsi que l’instrument de mesure correspondant. Des guides plus simplifiés à usage des citoyens et des professionnels de la route seront également édités par notre département avant le 1er octobre. La gestion de tout ce projet sera informatisée avec le développement de logiciels dédiés et qui sont installés au niveau des commissariats de police et des postes de gendarmerie. Nous avons à ce titre formé 360 formateurs parmi les agents de la police et de la gendarmerie qui préparent à leur tour en ce moment leurs collègues au niveau de leurs brigades.
Le nouveau code de la route risque de buter devant l’omniprésence de la corruption sur les routes marocaines. Comment pouvez-vous garantir que le texte soit réellement appliqué ?
Un arsenal de mesures a été mis en place dont la finalité est de réduire les possibilités de corruption. Les agents de police et les éléments de la gendarmerie seront, à partir du mois d’octobre, tous dotés d’un badge, avec leur noms et prénoms, photos et numéros de matricule. On peut donc contester une décision donnée ou porter plainte auprès de la DGSN, de la gendarmerie, de la justice ou de l’Instance nationale de lutte contre la corruption. Nous avons également convenu avec la police et la gendarmerie de mettre fin à des manœuvres telles que le fait de se cacher pour prendre les conducteurs en flagrant délit d’infraction. A partir du 1er octobre, les contrôles seront visibles et les radars seront pré-signalisés. Nous avons aussi opté pour l’usage autant que faire se peut d’instruments de mesure à même de constituer des preuves tangibles. C’est la raison pour laquelle les contrôles seront appuyés par des radars pouvant produire des photos qui seront jointes au procès verbal. Précisons également que dans le code actuel, il n’y a pas que l’agent qui peut encaisser et l’argent liquide n’est désormais plus le seul moyen de paiement. Un conducteur auteur d’une infraction peut payer soit en liquide soit par chèque, auprès de l’agent verbalisateur ou de la perception de son choix. Mais soyons clair, l’acte de corruption peut également être à l’initiative du conducteur. Si les citoyens veulent un système corrompu, ils l’auront.
L’augmentation des montants des amendes, telle que prévue par la nouvelle loi, ne favoriserait-elle pas le recours à la corruption ?
Cette augmentation est à nuancer dans la mesure où les montants de certaines amendes ont été revus à la baisse. C’est le cas de l’excès de vitesse, où celles-ci sont passées de 400 à 300 dirhams, en cas de dépassement de 20 km/h de la limite de vitesse en ville. D’autant que le propre de toute loi est de constituer des freins dissuasifs. Notre objectif est de faire en sorte que les conducteurs respectent la loi.
Principale innovation du code, l’introduction du système de permis à points… à un moment où des pays comme la France remettent en question son efficacité. Qu’en dites-vous ?
Cette mesure a fait l’unanimité tant auprès des syndicats qu’au Parlement, majorité et opposition. Si la France remet ce système en question aujourd’hui, c’est qu’elle est passée de 8 000 à un peu plus de 4 000 morts par an ! Ce pays compte 30 millions de véhicules (contre moins de 2 millions au Maroc, ndlr) et enregistre le même nombre de morts que chez nous. Et si la France en est là aujourd’hui, c’est grâce à toutes les réformes et mesures adoptées, dont le permis à points. D’autant que nous avons bien tenu compte des aspects négatifs de ce système et avons essayé de les contourner. Par exemple, en France, un conducteur ne dispose que de 12 points au départ. Et le simple fait de griller un feu rouge coûte 4  points. Au Maroc, le détenteur d’un permis de conduire dispose initialement d’un capital de 30 points et seules 13 infractions peuvent être soldées par un retrait de points. On peut conduire même quand on a grillé 3 ou 4 feux rouges, ce qui, je l’avoue, n’est pas propice à la sécurité routière ! Nous avons également adopté un dispositif spécial pour les mauvais conducteurs. A commencer par le système de récupération des points. Nous avons aussi les stages de sécurité routière pour les personnes sur le point de perdre tous leurs points. Le caractère souple de notre démarche se veut un moyen de prévenir certaines situations, comme la conduite sans permis.
Dans un pays où un musulman n’a pas le droit de consommer de l’alcool, dans quelles conditions l’introduction des alcotests se déroule-t-elle ?
Cette mesure n’entrera pas en vigueur de suite mais dans la foulée de la mise en œuvre du code. Nous disposons d’ores et déjà de 250 alcotests. Chacun est doté de 1 000 embouts jetables, à utiliser une seule fois. Cela nous ramène à 250 000 tests possibles aujourd’hui. Nous sommes également en cours d’acquisition d’éthylomètres qui mesurent le taux d’alcool dans le sang.
Les conducteurs marocains sont aussi adeptes d’autres substances comme le cannabis…
Pour les drogues et les médicaments à même d’altérer la vigilance du conducteur, des prises de sang seront effectuées en cas de contrôle. Nous savons que pour certaines drogues, des tests de dépistage sont employés dans d’autres pays. Nous en étudions l’utilité et le cas échéant, nous nous en procurerons.
Les accidents de la route sont également le fait de l’état de nos routes. L’efficacité des nouvelles dispositions ne risque-t-elle pas d’en faire les frais ?
Il faut éviter cette logique bien de chez nous voulant que la faute soit toujours celle des autres. Le nombre d’accidents dus au mauvais état de la route est très faible par rapport au nombre total d’accidents. Il ne dépasse pas 10 %. D’autant que nous avons, depuis l’adoption du Plan national de la sécurité routière en 2004, concentré une bonne partie de nos efforts sur l’amélioration de l’infrastructure. Cet effort se matérialise par le développement du réseau autoroutier. Nous étions à une vitesse de 40 km d’autoroutes par an. Nous en sommes à 160 km par an. On a ouvert Casablanca-Marrakech, Marrakech-Agadir et en juin prochain, nous ouvrirons Fès-Oujda. Nous serons alors à un total de 1 450 km pour arriver à 1 800 km d’autoroutes opérationnelles en 2015. Rappelons qu’en 2004, nous étions à 450 km. Nous sommes également très actifs sur le volet des voies express, le dernier en date étant le tronçon Tanger-Tétouan. Suivront Fès-Sefrou, Meknès-El Hajeb, Marrakech-Essaouira, Laâyoune-Port et Oujda-Saïdia. Dans le même ordre d’idées, le programme de maintenance routière est passé à 2 000 km par an contre 1 400 auparavant. Nous avons également adopté des programmes spécifiques sur les points noirs, avec la transformation des croisements dangereux en carrefours aménagés ou giratoires. Nous réalisons aussi des pistes cyclables entre les villes et leurs banlieues, comme c’est le cas à Marrakech, et des pistes parallèles dans le monde rural pour le matériel agricole roulant et les charrettes. Sans oublier la signalisation, pour laquelle nous avons prévu un budget de 160 millions de dirhams pour accompagner la mise en œuvre du code de la route. Les communes doivent relayer ces efforts puisque les conseils municipaux ont justement cette charge. Certaines villes sont d’ailleurs bien avancées sur ce registre. C’est le cas de Rabat, de Marrakech et de Fès. Nous apportons notre aide aux villes « bonnes élèves » par l’élaboration de guides de signalisation en milieu urbain et l’identification des points noirs.
Qu’en est-il de la formation ? Le permis de conduire, tel qu’il est accordé aujourd’hui, répond-il aux nouvelles exigences du code de la route ?
Le code de la route s’intéresse évidemment à ce volet en érigeant chaque établissement en structure de formation répondant à un cahier des charges précis, dont notamment l’obligation pour chaque école d’avoir un directeur et des enseignants qui subissent un contrôle des connaissances. Mais soyons clairs, l’action sur les auto-écoles n’apportera ses résultats que sur le long terme. C’est pour cela que nous comptons également sur la formation des personnes disposant déjà de permis de conduire. Cette action vise en premier lieu les professionnels du transport des voyageurs et des marchandises avec l’instauration, à partir du 1er janvier 2012, du permis professionnel qui atteste d’une formation de base et d’une formation continue tous les cinq ans. Dans le cadre de la mise en œuvre du code de la route, les conducteurs actuels seront dispensés de la formation de base mais pas de la formation continue. C’est dire que pendant les cinq ans à venir, le Maroc va former tous ses conducteurs professionnels, soit 300 000 chauffeurs.
Propos recueillis par Tarik Qattab et Eric Le Braz |