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McKinsey dans la ligne de mire
actuel n°45, samedi 1 mai 2010
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Décidément, le célèbre cabinet McKinsey fait des jaloux. Dans des propos à peine voilés, consultants nationaux et étrangers dénoncent la mainmise de l’enseigne américaine sur la quasi-totalité des missions stratégiques confiées par le gouvernement. Tour d’horizon.
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Devinette. Qui est derrière les plans Emergence I et II, Azur, Maroc Vert, Halieutis et plus récemment, le plan anticrise du Comité de veille stratégique ainsi que le contrat programme pour la logistique ? McKinsey bien sûr !
A sa décharge, il faut reconnaître que le cabinet américain bénéficie d’une longueur d’avance par rapport à ses concurrents grâce à son implantation dans les années 80, au moment où les autres enseignes internationales du conseil « snobaient » le Royaume qui ne présentait pas d’opportunités réelles. Quant au consulting local, il n'en était qu'à ses balbutiements. Mais en trente ans, la donne a changé. La demande de l’Etat et des entreprises publiques en études stratégiques s’est emballée, attirant de plus en plus de cabinets de renommée mondiale, tout en stimulant l’appétit des consultants locaux.
Cet engouement pour les études de repositionnement stratégique et autres réformes structurelles va de pair avec la prise de conscience des dirigeants politiques de la nécessité d’accélérer la modernisation des secteurs prioritaires comme l’industrie, l’agriculture ou le tourisme. Objectifs : pérenniser les filières pour faire face à l’ouverture des marchés et résister à la concurrence. « L’atout compétitif des enseignes étrangères réside dans leur capacité à mobiliser rapidement des équipes et surtout, leur accès immédiat à des bases de données mondiales fiables, deux facteurs qui facilitent l’élaboration de benchmark et ce, dans des délais très courts », explique Abdelaziz Talbi, ex-directeur de la DEPP (direction des entreprises publiques et de privatisation) récemment parti à la retraite après avoir piloté la plupart des opérations de modernisation et de transfert d’entreprises publiques au secteur privé. A cela, s’ajoute, reconnaît-il sans détour, l’importance de la signature d’un cabinet de notoriété internationale qui peut contribuer de façon déterminante au succès d’un road show ciblant des investisseurs étrangers.
Etudes stratégiques
Les opportunités offertes par les opérations de privatisation et les réformes préalables à la libéralisation de secteurs sensibles ont, pour la plupart, déjà été épuisées, mais le marché marocain du conseil en stratégie reste porteur. Même si le secteur privé (grosses PME notamment) tarde à prendre véritablement le relais, des grands groupes nationaux, holdings industriels et banques remettent en question leurs choix stratégiques et sollicitent de plus en plus des études de repositionnement pour renforcer leur leadership. Quant à l’administration, elle continue d’être fortement demandeuse d’études sectorielles et de plans de développement régionaux notamment. Désormais, chaque ministère veut sa feuille de route qui lui permettra de définir son plan d’actions prioritaires à moyen terme.
Preuve que le marché est juteux, la plupart des cabinets étrangers ont fini par s’implanter au Maroc et développer une relation de proximité avec leur clientèle pour tordre le cou aux critiques qui fusent ici et là . « Même si notre enseigne est étrangère, nos équipes sont constituées de consultants de diverses nationalités et notamment de Marocains. L’objectif étant de privilégier l’échange et de renforcer l’ouverture sur le reste du monde, tout en intégrant les spécificités de l’environnement local », tient à préciser Laurent B. Riley, directeur général d’Altime Charles Riley Maroc.
Cependant, souligne-t-il, aucune mission ne peut être menée avec succès sans l’élaboration d’un cahier des charges bien structuré et sans l’implication directe et permanente du commanditaire de l’étude (à travers un comité de suivi par exemple), pour recadrer le travail des consultants. « Pour qu’une mission débouche sur une réforme de fonds, il revient à l’ordonnateur de prendre les bonnes décisions au bon moment, en tranchant entre les différents scénarios », ajoute Julien Riedinger, senior manager d’Altime Charles Riley. Mais attention, conseiller et élaborer une étude stratégique n’est pas suffisant. Reste à piloter la mise en œuvre.
Courage politique
Nombreuses sont les études réalisées qui, faute de réactivité et d’une implémentation dans les délais, deviennent désuètes. Elles sont aussitôt reconduites, engendrant des dépenses supplémentaires et une perte de temps considérable qui peut impacter la compétitivité du secteur. Cela a été le cas pour la réforme de la retraite dont la dernière étude technique réalisée conjointement par les cabinets Actuaria et Riley est bouclée depuis plusieurs semaines et les scénarios arrêtés. Mais la réforme qui se fait attendre depuis des années, a toutes les chances de traîner encore, au moins jusqu’en 2011 (Voir pages 24 à 27).
A ce stade, le choix du scénario définitif est une décision aux conséquences sociales lourdes qui requiert du courage politique. Sur ce registre, l’équipe gouvernementale actuelle ne semble pas se distinguer des précédentes…C’est le cas aussi de la stratégie Emergence I dont l’impact n’a jamais été évalué avant le lancement du plan Emergence II. « Dans ce domaine, les cabinets locaux ont une vraie carte à jouer », assure Abdelkader Masnaoui, associé gérant de Mazars Masnaoui, qui a été parmi les premiers à opter pour un rapprochement avec une enseigne étrangère – plus spécialisée en audit qu'en stratégie – pour développer des synergies humaines, perfectionner l’expertise de ses équipes et améliorer sa force de frappe.
Connaissance du terrain
Pour Masnaoui, les consultants locaux ont l’avantage de connaître le terrain et sont en mesure d’atteindre rapidement l’objectif. « L’expertise locale est indispensable lorsque les problématiques étudiées nécessitent un degré significatif d’accompagnement sur le terrain. Une présence sur le long terme couplée à une bonne connaissance du terrain est un gage de réussite. L’impact positif sur le coût n’est pas non plus à négliger », rappelle Masnaoui. A préciser que les barèmes varient d’une enseigne à l’autre. Quand les petites missions se situent entre 100 000 et 1 million, les plus importantes varient entre 10 et 50 millions de dirhams ! C’est dire l’importance de l’enjeu. Pour faciliter l’accès des cabinets locaux, Masnaoui est convaincu de la nécessité de favoriser la formation de groupements de cabinets étrangers et locaux susceptibles de mener une réflexion commune. Cela a été le cas pour le Plan Maroc Vert et Halieutis.
Certes, l’expertise étrangère apporte des solutions spécifiques aux problèmes posés, en se référant à un benchmark international. Mais l’expertise marocaine, elle, bénéficie d’une connaissance du terrain et d’une capacité à accompagner la mise en œuvre opérationnelle . « Nous accompagnons nos clients dans la phase de mise en œuvre à travers le dispositif de Programme Management Office (PMO) qui s’appuie sur une équipe dédiée », précise Nicolas Berbineau, directeur associé de Valyans, un cabinet 100 % marocain. En ouvrant un bureau local, l’enseigne étrangère entend veiller en direct à l’implémentation de ses recommandations sur le terrain. « Reste qu’une filiale est tenue de se soumettre aux consignes stratégiques de sa maison-mère », affirme Masnaoui. « Alors attention à la tentation d’acheter simplement une signature prestigieuse, au lieu de favoriser la synergie entre les expertises internationale et locale pour répondre au mieux à la problématique du client », prévient le consultant marocain.
Accusations à peine voilées
Même son de cloche chez Capital Consulting dont le directeur associé Abdelmounaim Faouzi estime que les groupements mixtes constituent le seul moyen de pérenniser l’expertise locale, tout en profitant pleinement des effets de la mondialisation. « C’est un bon signe si l’administration recourt à l’expertise étrangère car cela lui permet d’éviter les erreurs commises par d’autres pays similaires, lui fait gagner du temps et améliore sa crédibilité, reconnaît Faouzi, mais à condition que les critères de transparence soient respectés ». Or, la plupart des consultants interrogés laissent planer le doute sur certaines grandes missions octroyées en entente directe, et même via des appels d’offres. Par ailleurs, la mise en œuvre des stratégies sectorielles doit, à terme, être évaluée par des études d’impact (création d’emplois et d’investissements réalisés). Là aussi, c’est loin d’être le cas dans les faits. « L’enjeu du plan Emergence est si important pour le pays qu’il aurait été judicieux que McKinsey s’entoure de quatre ou cinq autres cabinets, à la fois locaux et étrangers, afin de consolider les résultats et garantir le succès de la mise en œuvre », relève Laurent B. Riley.
Décidément, la position privilégiée de McKinsey dans le domaine de la stratégie attise bien des convoitises mais suscite surtout de nombreux questionnements. Face à des accusations à peine voilées d’entente directe et de sélection malgré une offre plus chère que ses concurrents, le cabinet américain reste de marbre et se refuse à tout commentaire. Lors de cette enquête, il aura été bien le seul à invoquer le devoir de réserve pour éviter de répondre à ses nombreux détracteurs.
Mouna Kably |
Appel d’offres ou entente directe ?
« Entre 2002 et 2007, du temps où Driss Jettou était Premier ministre, les appels d’offres ouverts étaient jugés inutiles car ils faisaient perdre trop de temps. Le cahier des charges étant déterminant, nos exigences étaient suffisamment précises pour nous permettre de lancer des soumissions restreintes ou de gré à gré, afin de garantir un maximum d’efficacité », se rappelle un ancien « cabinard ».
Le recours à l’entente directe peut, parfois, être lié à l’absence de budget. « Face à l’urgence, le Premier ministre recourait alors au financement du fonds Hassan II », poursuit cet initié des arcanes ministériels. A l’époque, le marché des études stratégiques tout comme celui de l’expertise locale étaient à leurs débuts. Quant aux enseignes étrangères, elles ne se bousculaient pas au portillon. « Ce qui explique que l’on retrouve, lors des premières missions, les mêmes enseignes, à savoir McKinsey, Eurogroup, Monitor Group et Valyans », poursuit-il.
Il faudra plusieurs années avant que la plupart d’entre elles débarquent. L’Etat sollicitera les experts étrangers pour les études stratégiques et les benchmarks internationaux, et les consultants locaux pour les missions d’organisation. Mais aujourd’hui, les hauts responsables sont confrontés à un véritable dilemme : privilégier, par souci d’efficacité, l’entente directe avec le cabinet aux compétences confirmées et qui maîtrise les rouages de leur secteur, au risque d’être suspecté de corruption ; ou alors, recourir à l’appel d’offres restreint si les besoins sont cernés. En fait, de nos jours, le décideur politique opte, de préférence, pour les appels d’offres afin de se protéger contre les accusations. « Des réformes structurantes sont engagées, en collaboration avec nos principaux bailleurs de fonds, pour aligner le système de gestion de la commande publique sur les standards internationaux », se défend le ministère du Commerce et de l’Industrie.
La dématérialisation de la commande publique constitue l’un des chantiers majeurs de cette réforme, tout comme le lancement du portail des marchés de l’Etat et de la base de données des marchés publics. En attendant, l’appel d’offres est loin d’être synonyme de transparence. Il arrive que ce dernier soit « pipé » pour permettre au commanditaire de continuer à travailler avec le même cabinet. |
Plans sectoriels
Un feuilleton nommé Emergence
Si Emergence I a accusé un retard dans la mise en œuvre, « c’est la faute de l’administration et non celle du cabinet McKinsey », commente un consultant. Certes, ce plan a donné lieu à quelques réalisations comme dans l’industrie automobile. « Mais personne ne se doutait que la crise allait survenir et fausser tous les pronostics ». Emergence II toujours réalisé par McKinsey est venu rectifier le tir en recommandant un positionnement sur les métiers mondiaux comme l’aéronautique ou l’offshoring. Mais là encore, la crise a provoqué quelques dégâts et l’on commence même à parler de délocalisation vers des pays voisins plus attractifs, à la main-d’œuvre mieux formée et maîtrisant davantage la langue française. Alors, s’acheminerait-on vers Emergence III ? A suivre.
M. K.
Paroles d'experts
Abdelaziz Talbi, ex-directeur de la DEPP « Ne pas opposer cabinets locaux et étrangers »
C’est un faux débat que d’opposer cabinets locaux et étrangers. Une fois implanté sur place, le cabinet devient de droit marocain, adossé à un réseau mondial avec plusieurs avantages : un savoir-faire confirmé, un contrôle qualité et une grande réactivité. Compte tenu de sa capacité à mobiliser les ressources adéquates, l’on peut exiger qu’une étude soit réalisée en 3 mois. Dans ce domaine, le respect des délais et la réactivité sont des éléments déterminants.
Par ailleurs, il faut dépasser cette vision réductrice, car un grand cabinet qui choisit le Maroc pour s’implanter, peut, à terme, en faire une plateforme régionale.
Quoi qu’il en soit, une étude n’atteint son objectif que si son commanditaire mobilise les ressources nécessaires. Les consultants ne peuvent pas travailler seuls. Le responsable politique doit s’impliquer en personne pour recadrer l’étude par rapport à l’objectif recherché et trancher vite pour gagner du temps. En clair, l’interface du cabinet conseil a un rôle déterminant dans la réussite de la mission.
D’ailleurs, la compétence des ordonnateurs incite le cabinet conseil à produire du « sur mesure » au lieu de se contenter de modèles importés « clés en main ». A la fin de la mission, aux équipes des départements de s’approprier les résultats de l’étude et de veiller à la mise en œuvre.
Par ailleurs, il faut savoir que, pour les opérations de privatisation, le cabinet conseil est souvent rémunéré à la commission (success fees), indexée sur le montant du produit de cession. Bien entendu, le taux de commission baisse au fur et à mesure que la taille de l’opération est importante.
Abdelkader Masnaoui, associé gérant de Mazars Masnaoui « L’expertise locale est en train de se structurer »
Certes, les marchés publics sont gérés de manière rationnelle, dans le respect de la réglementation. Mais, il arrive qu’un décideur ayant anticipé la réflexion avec un cabinet en particulier, le privilégie lors d’une mission…
Globalement, l’expertise locale est en train de se structurer tout comme l’administration marocaine qui compte des dirigeants plus expérimentés et plus exigeants, dotés d’une vision claire. Mais, il faut que les donneurs d’ordre, qu’ils soient publics ou privés, profitent de cette opportunité historique où le Maroc est en train d’apprendre à exploiter de manière optimale ses ressources, pour stimuler la dynamique de consulting local. Dans vingt ans, nous, nous serons toujours là pour nous approprier les résultats des études et prolonger leurs effets bénéfiques. De leur côté, les cabinets locaux doivent déployer des efforts supplémentaires pour nouer des partenariats avec des cabinets de référence internationale, renforcer et former leurs équipes en investissant dans des cursus de formation continue de qualité.
Parmi les exemples les plus édifiants de synergie entre expertises locale et étrangère : la réforme du plan comptable national réalisée, de bout en bout, par des experts comptables marocains avec l’accompagnement de confrères étrangers ; et la réforme du contrôle financier de l’Etat sur les entreprises publiques, réalisée conjointement par les cabinets Masnaoui et Bossard dont l’expertise est reconnue dans le domaine. Cette étude aura contribué à moderniser le secteur des entreprises publiques en peu de temps.
Nicolas Berbineau, directeur associé Valyans « Les conditions de passation des marchés publics sont très saines »
L’engouement de l’administration pour les études stratégiques s’explique par le succès des premières missions commanditées par certains ministères qui a eu un effet d’entraînement. Le gain de temps dans la réalisation de certains chantiers est appréciable.
Par ailleurs, les conditions de passation des marchés publics sont globalement très saines. Généralement, la qualité de l'offre contribue dans la sélection à hauteur de 70% contre 30% pour le prix. En outre, les références acquises dans un secteur sont déterminantes ainsi que la démarche retenue ou la qualité de l’équipe dédiée.
Par ailleurs, s’agissant de sujets sensibles à forte visibilité, toute erreur de casting est inéluctablement sanctionnée. Aussi, les décideurs ne prennent-ils pas de risque, compte tenu de l’enjeu. Il est normal qu’une fois dévoilées, les stratégies sectorielles suscitent des divergences notamment sur les scénarios retenus, car il s’agit là de projets de réforme structurelle. Je vous ferai remarquer que les critiques véhiculées par la presse portent essentiellement sur le contenu de ces réformes. Il est rare que la compétence du cabinet conseil ou sa méthodologie soient remises en cause.
Enfin, les marchés de gré à gré sont strictement réglementés et le code des marchés publics spécifie les conditions dans lesquelles ils se déroulent. Une autorisation formelle doit être accordée par le plus haut niveau de l’administration.
Abdelmounaim Faouzi, directeur associé Capital Consulting « L’expertise nationale n'est pas assez sollicitée »
Nous sommes présents en Afrique subsaharienne, au Maghreb mais aussi à Paris depuis 2008. Parallèlement, l’offre des cabinets locaux ne cesse de s’étoffer et de se diversifier. A terme, le recours aux cabinets internationaux devrait concerner surtout des missions précises et délimitées dans le temps. Il est dommage que les administrations fassent appel aux cabinets internationaux sur des sujets opérationnels qui sont à la portée de l’expertise locale, comme la gestion d’un parc mobile qui a été confiée à cabinet parisien par voie d’appel d’offres. Alors qu’il existe une offre pléthorique (nationale et internationale), est-il logique de privilégier la passation de marchés de gré à gré, pour des missions portant sur des problématiques opérationnelles ? Dans tous les cas, il faudrait évaluer l’apport concret des cabinets internationaux en se référant au cahier des charges et en comparant les résultats obtenus par rapport aux attentes initiales et promesses formulées.
Laurent B. Riley, directeur associé Altime Charles Riley « Une forte concurrence entre cabinets »
Aujourd’hui, il y a une forte concurrence sur le marché du conseil au Maroc. Il arrive que nous soyons en concurrence avec une quinzaine de cabinets, parfois sur des sujets que tous ne maîtrisent pas. Dans plusieurs cas, cinq soumissionnaires auraient suffi, si l’appel d’offres avait été restreint.
Par ailleurs, le gap entre le top management et la « couche intermédiaire » peut parfois être important. Dotés d’une expérience confirmée, la plupart des managers intègrent rapidement les recommandations et tranchent entre les différents scénarios, pour passer rapidement à la mise en œuvre. Mais, c’est à ce stade que la machine peut s’enrayer. Il faut que les équipes internes s’approprient les recommandations de l’étude pour garantir une implémentation rapide.
Par ailleurs, la tendance est à la passation des marchés par voie d’appel d’offres. Or la procédure est lourde, complexe et mobilise plusieurs personnes. De plus, la capacité d’évaluation technique des commissions demeure inégale.
Enfin, il arrive qu’un cabinet soit sélectionné sur la base de sa maîtrise technique, alors même que son offre est plus chère que celle des autres soumissionnaires. Dans ce cas, l’ordonnateur aura fait ce choix, convaincu qu’il lui fera gagner du temps avec un maximum de performance. Et la corruption ? Elle existe, mais pas plus qu’ailleurs ! |
Genèse du nouvel eldorado
Le conseil date de la marocanisation, mais le marché prend son envol dans les années 90, avec la restructuration des entreprises publiques et les premières opérations de privatisation. Flash-back.
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Le marché du conseil au Maroc est en pleine ébullition. Son envol va de pair avec le décollage économique du Royaume de nature à lui permettre de s’arrimer au train de la mondialisation. Pour Abdelkader Masnaoui du cabinet Mazars Masnaoui, la genèse du consulting remonte à l’époque de la marocanisation en 1973. L’objectif affiché était de créer un tissu économique national qui couvre tous les secteurs (industrie, services, banques et assurances, …). Mais l’opération ne pouvait aboutir sans une modernisation préalable de l’administration censée piloter ce vaste chantier. Le recours à une expertise pointue s’avère nécessaire pour conseiller et orienter ces restructurations. Parallèlement, entre 1973 et 1983, le code des investissements est adopté en faveur des secteurs prioritaires.
« Mais durant cette période clé, rares sont les cabinets en mesure d’élaborer des solutions juridiques, fiscales et financières, pour la reprise du capital étranger », se rappelle Masnaoui. Il faut attendre les années 90 pour que les grands cabinets, les « Big Five », proposent des prestations multiples : audit financier, juridique, conseil en management... Pour instaurer l’indépendance des commissaires aux comptes, au Maroc comme à l’étranger, les métiers de l’audit et du consulting opérationnel sont séparés.
« Le gâteau n’a jamais été aussi gros ! »
« Pour contourner le conflit d’intérêt, (audit, commissariat aux comptes et conseil), les Majors créent des structures dédiées au conseil », souligne Masnaoui. Les premières missions du gouvernement marocain datent de 1992-1993, suite à la diffusion du rapport alarmiste de la banque mondiale révélant que le Maroc était « au bord de la crise cardiaque ». Ainsi, par exemple, Deloitte accompagnera l’OCP dans sa réorganisation tout comme Arthur Andersen avec l’ONCF. D'autres entreprises publiques leur emboîteront le pas.
Les appels d’offres foisonnent et chaque cabinet se dote d’un service chargé des soumissions. Que ce soit dans le transport aérien, logistique ou portuaire, ou encore dans l’industrie, les cabinets interviennent pour réorganiser les structures, changer les statuts juridiques et élaborer un plan d'action des établissements publics. « Le gâteau n’a jamais été aussi gros ! », reconnaît le consultant.
Opportunités non négligeables
La naissance véritable de la profession au Maroc date de cette période. « Ce qui est relativement récent, estime Abdelmounaim Faouzi, directeur associé de Capital Consulting. Nous n’avons donc pas le recul nécessaire par rapport à d’autres pays où cette activité a explosé dès la crise de 1929 », rappelle Faouzi. Pour autant, le marché marocain du conseil regorge aujourd'hui d’expertises variées et diverses et d’opportunités non négligeables.
Selon des spécialistes, il est possible, d’esquisser une classification, sur la base de la taille et de l’ancienneté du cabinet. Il en ressort trois grandes catégories. D’une part, les réseaux mondiaux du conseil et de l’audit ont posé les fondements de la profession et comptent comme clients, l’administration, les établissements publics, les multinationales et autres sociétés cotées. D’autre part, des cabinets de taille importante rattachés à des réseaux étrangers (essentiellement français comme BDO, Mazars, Altime Charles Riley, Capgemini…) sont également sollicités par les grands donneurs d'ordre. Entre-temps, l’expertise locale s’est développée, mais elle reste encore peu sollicitée, de l’avis de certains, par l’administration et les établissements publics. « Le mouvement en faveur des cabinets locaux reste encore timide, et pas uniquement, pour les grandes études stratégiques », est-il déploré. Cependant, la situation évoluerait dans le bon sens, lentement mais sûrement. L'expertise locale gagne en maturité et s’efforce de diversifier son offre. Parallèlement, des groupements et rapprochements sont opérés en vue d'atteindre la taille critique. Des cabinets locaux ont ainsi développé des périmètres d’intervention différents : organisation, service public, capital humain, systèmes informatiques… Certains se sont même ouverts à l’international. A titre d’exemple, Capital consulting, créé en 1998, est devenu un cabinet régional avec plusieurs bureaux en Afrique et à Paris. Bon an, mal an, le marché est en train de se structurer mais la partie est loin d’être gagnée.
Khadija El Hassani
Une succession de loupés
L’Etat est aujourd’hui un des principaux demandeurs d’études stratégiques. Mais combien d’entres elles ont été réellement mises en œuvre ? Combien d'entre elles ont abouti à des réformes concrètes générant un réel impact ? Pas beaucoup, soutiennent des consultants qui déplorent le nombre d'études restées dans les fonds de tiroirs. Certaines stratégies ont été lancées en grande pompe, avant d’être stoppées net, au stade du diagnostic. D'autres n’ont jamais été mises en œuvre faute de suivi ou d'accompagnement ou encore faute de compétences internes. Les exemples ne manquent pas.
La Vision 2010, concoctée par l'incontournable McKinsey, a dû être réajustée pour mieux coller à la réalité du pays. Ses objectifs auraient été au départ surdimensionnés. Ce qui a nécessité un recadrage pour donner naissance à une nouvelle Vision 2020, dite plus réaliste, actuellement en cours d'élaboration. Les concepteurs de la Vision 2020 (réalisé par devinez qui !) devraient remettre la copie finale à la fin de cette année.
Concernant la stratégie nationale de la logistique, le gouvernement et la CGEM ont commandé une étude au même cabinet McKinsey. Une énième étude, qui focalise tous les espoirs de relance de ce secteur stratégique pour l'économie ; mais d'aucuns redoutent qu'en définitif, elle ne vienne s'ajouter à la pléthore de stratégies sur la logistique commandées par le passé et qui se sont toutes limitées au stade du diagnostic.
La liste des loupés ne s'arrête pas là . Elle s'étend à d'autres secteurs tout aussi stratégiques. Les conclusions des études n’étant pas toujours cohérentes et pertinentes, les ministères ont été contraints de faire refaire le même travail de consulting.
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