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Train de vie de l’Etat : Ces agences inutiles et budgétivores
actuel n°173, jeudi 20 décembre 2012
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Le sujet est toujours tabou. Les politiques n’osent pas l’aborder de front. Il y a pourtant urgence à diagnostiquer les agences de l’Etat pour les restructurer, les fusionner, les harmoniser. Pour mieux les contrôler. C’est là une source d’économies certaine, à tous les niveaux.
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Rationalisation des dépenses publiques et économies budgétaires. Voilà deux slogans à la mode depuis de nombreuses années mais qui ont un écho tout particulier par ces temps de crise. En attendant la diffusion du rapport de la Cour des comptes 2011, actuel s’est attelé à débusquer quelques pistes d’économies liées au train de vie de l’Etat, et surtout à son mode de fonctionnement qui peut paraître parfois irrationnel. Parmi les aspects les plus choquants, l’obésité grandissante de l’administration et de ses nombreuses ramifications qui dopent la masse salariale de la fonction publique, ses effectifs et bien sûr ses frais de fonctionnement. Si l’on se réfère au dernier rapport de la Direction des entreprises publiques et de la privatisation (DEPP) diffusé en même temps que le projet de loi de Finances 2013, le « mammouth » public compte 239 établissements et 42 entreprises dont 33 contrôlées directement par l’Etat. Parmi elles, 434 entités détiennent des filiales et participations dont 194 à participation publique majoritaire. Jusqu’à présent, les gouvernements successifs se sont limités à traiter les conséquences de cette obésité, au lieu de s’attaquer au mal lui-même en auditant ce secteur, avant de définir les contours d’une cure d’amaigrissement qui aurait des chances, cette fois-ci, de fonctionner. Le gouvernement Benkirane n’est pas le premier à vouloir s’attaquer au problème de la proéminence du secteur public. Plusieurs tentatives ont été opérées par le passé pour limiter les gaspillages et tailler dans le budget de fonctionnement de ce secteur vorace en crédits budgétaires. L’opération la plus emblématique a été initiée en 2005, par le gouvernement de l’alternance, et est connue sous l’appellation « programme DVD (départs volontaires à la retraite) ». Elle visait le dégraissage pur et simple de l’administration pour pouvoir réduire le poids de la masse salariale des fonctionnaires. Une opération d’envergure, applaudie à l’époque par bon nombre d’observateurs et appuyée par l’Union européenne. Mais, en bout de course, cette décision volontariste s’est soldée par un flop car le secteur public s’est vidé de ses compétences, alors que la masse salariale a continué sur sa lancée, passant de 56 milliards de dirhams avant 2005 à 88 milliards de dirhams à fin novembre 2012. Selon la note de présentation de la loi de Finances 2013, elle devrait clôturer l’année 2012 à 93,5 milliards de dirhams et atteindre 98 milliards de dirhams en 2013. Ainsi, entre 2003 et 2012, la masse salariale de la fonction publique pèse en moyenne 35,6% du budget général de l’Etat.
Plus grave, l’opération DVD n’a pas enrayé la tendance haussière des effectifs puisque le nombre de fonctionnaires est passé de 770 000 à 727 000, avant d’atteindre 884 000 en 2012. Ce qui confirme que l’opération DVD a été un échec sur tous les plans.
Autre tentative de chasse aux gaspillages sans cesse avortée : la réduction du parc automobile de l’Etat. Chaque gouvernement annonce, dès son arrivée aux affaires, son plan d’attaque contre l’inflation de véhicules « M rouge ». Rien n’y fait. En juillet 2012, la Société nationale des transports et de la logistique (SNTL) a publié des chiffres effarants sur le parc public. Selon ce dernier recensement, l’Etat marocain dispose de 115 000 véhicules dont 38 000 motos, pour moins d’un million de fonctionnaires. Soit bien plus que la plupart des pays développés. Par exemple, le Japon, troisième puissance économique mondiale qui compte 5 millions de fonctionnaires, ne détient pas plus de 3 000 véhicules, soit 38 fois moins que le Maroc ! De même, la Grande Bretagne compte à peine 3 400 unités contre 72 000 pour les Etats-Unis… Quant à la France qui affiche un effectif de 5,3 millions de fonctionnaires, elle dispose d’un parc de 75 000 véhicules seulement.
Au Maroc, c’est l’administration centrale qui se taille la part du lion avec 57 324 véhicules et qui, malgré les annonces de rationalisation faites à maintes reprises par le gouvernement Abbas El Fassi, a augmenté son parc de 10% en trois ans. Les collectivités locales disposent de 31 883 unités contre 25 521 pour les établissements et entreprises publics (EPP).
Cette hémorragie a provoqué des débats houleux au Parlement, notamment en 2010. Salaheddine Mezouar, ministre des Finances s’était alors engagé à stopper les achats de voitures nouvelles par les différents services de l’Etat. Malgré cela, le poste a continué à augmenter chaque année. De son côté également, le gouvernement Benkirane en a fait son cheval de bataille lors de la campagne électorale, mais, un an après son investiture, rien de concret n’en est sorti. D’ailleurs, le même débat agite périodiquement les logements de fonction occupés par des agents de l’Etat, sans qu’aucune mesure énergique ne soit appliquée.
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Le monstre ne cesse de grandir
Si les quelques actions destinées à réduire le train de vie de l’Etat ont avorté, c’est parce que le monstre ne cesse de grandir, cumulant entreprises, offices, agences et autres conseils… Entre 2001 et 2011, il y a eu création d’une cinquantaine de nouvelles entreprises et établissements publics et d’une dizaine de nouvelles sociétés anonymes. Sur la même période, les transferts budgétaires sont passés de 9,3 milliards de dirhams à 16,8 milliards de dirhams, soit un taux de croissance moyen de 6,8% par an ! A fin 2011, les EEP représentent 2% du PIB.
Face à cette inflation, il est peut-être temps de s’attaquer au nœud du problème : diagnostiquer la pléthore des EEP pour identifier les coquilles vides et les redondances qui peuvent être sources de blocage dans les prises de décision et de déperdition des ressources humaines et financières. Ce qui permettra par la suite de dégager des pistes d’économies pouvant être bien plus conséquentes que tout ce qui a été initié jusqu’à présent par les gouvernements successifs. Les rapports de la Cour des comptes publiés depuis 2005 pourraient servir fort utilement de point de départ à cette remise à plat générale.
« Attention, rationalisation n’est pas toujours synonyme de réduction, mais plutôt de redéploiement et d’optimisation », relève Hassane El Arafi, professeur de finances publiques et de fiscalité à l’université Mohammed V à Rabat. Il ne manque pas de rappeler que si l’Etat injecte 54 milliards de dirhams en investissements dans les EEP, ces derniers contribuent, de leur côté, pour près de 114 milliards de dirhams à l’investissement public. Les EEP sont également de gros contributeurs aux produits versés à l’Etat (redevances, dividendes...). Ces derniers sont passés de 4,24 milliards de dirhams à 10,5 milliards de dirhams entre 2002 et 2011, soit un taux de croissance moyen annuel de 10%.
Quant à la part de ces produits dans les recettes ordinaires du budget, elle est a été portée de 4,5% à 5,8% entre 2010 et 2013. Mais un détail a son importance : l’essentiel de ces contributions provient de quatre structures que sont Bank Al-Maghrib, l’OCP, l’Agence nationale de la conservation foncière et Maroc Telecom. Et le nombre de contributeurs n’a pas beaucoup évolué dans le temps alors que le nombre global des EEP ne cesse d’augmenter.
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Pléthore d’intervenants sans réelle coordination
« La création d’agences se fait souvent ad hoc, ponctuellement, sans stratégie d’ensemble et souvent sans cohérence, sans réflexion sur leur conséquence sur le reste de la sphère publique », constate Hicham El Moussaoui, économiste et membre de l’association Un monde libre. Ce qui peut donner lieu a des redondances en raison du chevauchement des responsabilités et des domaines de compétences. D’où la multiplicité des bras de fer entre les instances avec, à la clé, le gaspillage de ressources matérielles. « Plus grave, cela peut créer le blocage de plusieurs dossiers », précise El Moussaoui. C’est le cas de la politique du commerce extérieur, des investissements étrangers et de la promotion de la PME. Ainsi, la promotion des exportations implique à la fois Maroc Export, la SMAEX, l’Etablissement de contrôles et l’OCE. Mais aucune coordination n’existe entre ces établissements. De même, l’AMDI (Agence marocaine du développement des investissements), dont le rôle reste à définir, n’est pas synchronisée avec les CRI (Centres régionaux des investissements) qui sont rattachés au ministère de l’Intérieur. Idem pour la politique de promotion des PME qui souffre aussi de l’existence d’une pléthore d’intervenants, sans réelle coordination entre eux.
A titre d’exemple, l’ANPME (Agence nationale de la PME) et les CRI initient des actions qui ne sont pas harmonisées et dont l’efficacité reste à prouver. Si l’Etat a su déléguer certaines de ses missions à des structures ramassées et souples, il a, en revanche, bien du mal à définir un cadre institutionnel approprié qui favoriserait leur performance et leur compétitivité. Ce flou juridique, qui entoure la délimitation de leurs compétences, est à l’origine des difficultés de pilotage et explique pour partie la prolifération, parfois irrationnelle, des agences, rendant encore plus difficile leur contrôle. Une telle défaillance est grave car certaines de ces agences ont pour mission la mise en œuvre de politiques publiques financées par les deniers de l’Etat, autrement dit l’argent du contribuable. C’est le cas par exemple d’Al Omrane, bras armé de l’Etat dans la politique de l’habitat social. Un bras de fer avait opposé, au lendemain de la constitution du gouvernement Benkirane, le ministre de l’Habitat, Nabil Benabdellah, au chef du gouvernement, concernant la présidence du conseil d’administration. Une preuve concrète du flou qui entoure le statut d’Al Omrane.
Pour tenter de mettre un peu d’ordre dans ce magma, le gouvernement a lancé, début 2012, une étude pour renforcer l’efficacité du contrôle et améliorer la gouvernance, en mettant l’accent sur le suivi des performances. Parallèlement, un code général de normalisation comptable est en gestation tout comme un projet de loi sur la consolidation des comptes publics. Aucune échéance précise n’est annoncée. Il y a fort à craindre que tous ces chantiers n’aboutissent pas à la réforme de fond, tant attendue, du secteur public.
Mouna Kably et Khadija El Hassani |
Entretien avec Hassane El Arafi, professeur en finances publiques et en fiscalité
« La prolifération ne doit pas être une manœuvre pour multiplier les icebergs budgétaires »
Une manœuvre qui a pour effet pervers d’échapper aux contrôles administratif, financier et politique. D’où la nécessité d’activer les mécanismes de reddition des comptes prévus par la Constitution. En attendant une comptabilité nationale consolidée.
Comment avons-nous abouti à une inflation d’agences publiques ?
Hassane El Arafi : Comme partout dans le monde, l’Etat marocain s’est livré depuis l’indépendance à un mouvement continu d’« agencification de l’action publique », en réponse à une volonté de transférer des pouvoirs régaliens de l’administration à d’autres acteurs externes pour jouir d’une personnalité juridique propre et d’une autonomie financière, et parfois d’un statut particulier du personnel. En fait, elle traduit une volonté de recherche d’efficacité, de souplesse de gestion, de rationalisation de l’action publique, au-delà des pesanteurs de l’administration.
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Sont-elles toutes indispensables ?
Non, le secteur des établissements et entreprises publics (EEP) connaît une multiplicité de niches qu’il faut combattre. Parmi eux, des EEP qui survivent uniquement grâce aux subventions de l’Etat comme les établissements publics autonomes (EPA) ; ceux qui investissent tous azimuts comme la CDG sans qu’ils aient forcément d’expérience en la matière ; ceux qui ne rendent pas compte de leur gestion au Parlement. Sans oublier les établissements qui épongent leurs déficits grâce à l’argent du contribuable, alors qu’ils devraient être rentables comme la RAM ou l’ONEE.
Enfin, il existe des EEP dont l’intervention se chevauche avec celle des collectivités territoriales, comme les Agences régionales ou les Agences des bassins hydrauliques…
Y a-t-il des agences dont la mission est terminée mais qui continuent d’exister engendrant des charges inutiles pour l’Etat ?
Certainement. Il y en a beaucoup, voire la plupart. Les transferts budgétaires aux EEP sont passés de 9,3 MMDH en 2002 à 16,8 MMDH en 2011 avec un taux de croissance moyen annuel de 6,8% contre 8,3% pour les dépenses ordinaires du Budget général de l’Etat, ce qui représente déjà 2% du PIB. En revanche, ces transferts ne sont pas toujours des subventions d’équipement pour certains EEP, mais de fonctionnement. De même, le nombre des EEP contributeurs ne dépasse pas 17 (Al Omrane, BCP, ANRT, Office des changes, CDVM…). Ce qui ne compense guère le retrait de certains EEP de la liste des contributeurs initiaux, soit en raison de leur privatisation (régie des tabacs, sucreries, SNPP et Somathes), soit du fait de la détérioration de leurs résultats financiers (RAM et ONE).
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Est-il possible de faire le ménage ?
Plusieurs mesures d’ordre stratégique peuvent être envisagées : réajuster le système des transferts en privilégiant le financement de l’équipement au lieu des charges de fonctionnement. La prolifération des agences de l’Etat ne doit pas être une manœuvre pour multiplier les icebergs budgétaires et échapper aux contrôles et à l’obligation constitutionnelle de rendre compte à tous les niveaux : administratif, financier et politique. De ce fait, les dispositions de la Constitution doivent être mises en œuvre, en matière de reddition des comptes, notamment l’article 1er et l’article 102. Enfin, l’action publique doit être harmonisée, en intégrant les EEP dans un système de comptabilité nationale consolidée.
Propos recueillis par Mouna Kably
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Les planques de l’Etat
Ce sont toutes ces agences et offices créés sans missions clairement délimitées, ni moyens suffisants pour atteindre de vagues objectifs. Maintenus dans un flou total, ils occupent un siège, emploient du personnel et tournent avec l’argent du contribuable. Florilège.
Agence pour le partenariat et pour le progrès (APP)
Missions bateau
Elle est peu médiatisée. Pourtant cette agence gère, depuis 2007, une petite manne non négligeable, un budget de 700 millions de dollars octroyé par l’oncle Sam dans le cadre du Millenium Challenge Corporation. Ce budget doit être dépensé en totalité avant la fin 2013. Pour une mission somme toute assez vague : renforcer la croissance économique et stimuler la productivité en améliorant l’emploi dans les secteurs à fort potentiel (!). Le programme limite tout de même les domaines d’intervention de l’APP à quatre secteurs : l’arboriculture fruitière (328,7 millions), la pêche artisanale (125,19 millions), l’artisanat et la médina de Fès (95,45 millions), les services financiers (42,6 millions) et le soutien à l’entreprise (26,7 millions). A fin 2011, le total des engagements de l’APP s’élevait à 511,3 millions de dollars, soit 73% du budget alloué, et les déboursements atteignaient 245,2 millions de dollars, soit 48% du total des engagements.
Reste à savoir ce qu’il adviendra de l’APP une fois le programme arrivé à son terme.
Agence de développement social
Un fourre-tout
Tout aussi vague est la mission de l’ADS. Elle gère une ribambelle de programmes en faveur d’associations diverses et variées (femme, environnement, handicap, jeunes, etc.). Un véritable fourre-tout dont la mission est de piloter des actions d’insertion sociale et de promotion de la TPE (programmes Takwia, Moubadarates, Amali, Tatmine, Mouwakaba en faveur des coopératives).
Pas étonnant donc que l’ADS ait été épinglée par la Cour des comptes en 2007 pour plusieurs dysfonctionnements : absence de coordination avec les autres organismes œuvrant dans le domaine social, financement de projets ne relevant pas de ses compétences ; lancement de certains projets en l’absence d’études de faisabilité technique préalables ; non-respect de la procédure d’appel d’offres. Sans oublier certains écarts de gestion et l’absence de contrôle financier a posteriori.
L’ADS, comme l’APP, s’appuie sur la coopération internationale, mais aussi sur des ressources locales pour faire tourner ses programmes. En 2011, l’ADS a accompagné 117 projets en faveur de 138 719 bénéficiaires dont la moitié sont des femmes.
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ANAPEC
Brasse du vent
Voilà une autre structure dont le bilan est loin d’être satisfaisant. Comme ses ancêtres, les CIOPE (Centres d’information et d’orientation pour l’emploi), les bureaux de placement et le CNJA (Conseil national de la jeunesse et de l’avenir), l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC) a échoué à relever le défi de la promotion de l’emploi et de la lutte contre le chômage.
Elle multiplie depuis dix ans les annonces autour de programmes comme Moukawalati, Idmaj, Taahil, mais sans résultat palpable, et sa notoriété est faible auprès du grand public. Pas étonnant donc que les réalisations de l’ANAPEC restent limitées. Ses performances chiffrées en 2011 l’attestent. Ses engagements n’ont pas dépassé 150 millions de dirhams alors que ses prévisions tablaient sur 196 millions de dirhams. Côté investissements, l’ANAPEC n’a guère dépassé les 45 millions de dirhams.
La crédibilité de l’Agence a été sérieusement écornée depuis la diffusion du dernier rapport de la Cour des comptes en 2010. Parmi les reproches, la non-réalisation des objectifs en matière de promotion d’emploi, de gouvernance, de gestion des ressources humaines et matérielle. Pour le programme Taahil par exemple, l’effectif formé et non inséré représente une perte de fonds estimée à 10,5 millions de dirhams. Au démarrage des programmes de formation qualifiante ou de reconversion, 3 472 candidats se sont présentés dont seulement 1 500 ont achevé le cursus, soit un taux de déperdition de 44% ! Pour les TPE, le taux de réalisation n’a pas dépassé les 5%. Idem, pour les créations d’entreprises de Moukawalati qui concerne à peine 4% des porteurs de projets inscrits. Cerise sur la gâteau : 86% des projets accompagnés par les guichets Moukawalati ont disparu dans la nature ! Sans parler des malversations, conflits d’intérêts et autres détournements qui, non seulement révèlent des problèmes de gouvernance, mais témoignent de la faillite de tout un système.
Dans un pays où le chômage bat son plein, une telle structure doit être renforcée en termes de moyens et de contrôle, ou disparaître.
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Commerce extérieur
Une mosaïque incohérente
Maroc Export, CNCE, Smaex, OCE, EACCE… Difficile de s’y retrouver dans la multitude de structures dédiées au commerce extérieur. Qui fait quoi et quelles sont les synergies entres ces différentes entités supposées conjuguer leurs efforts pour mieux vendre le produit Maroc ? La réponse est évidente : l’ampleur du déficit commercial, qui s’est accentué à fin novembre, pour atteindre 183,1 milliards de dirhams, confirme les piètres performances de nos exportations. Une situation qui trouve son origine, entre autres, dans un manque flagrant de coordination. L’économiste Hicham El Moussaoui l’affirme sans ambiguïté : « La politique de promotion des exportations implique toutes ces structures mais sans que les mécanismes de coordination ne soient clairement définis. » D’ailleurs, c’est le principal grief relevé par la Cour des comptes dans son dernier rapport à l’encontre de l’EACCE (Etablissement autonome de contrôle et de coordination des exportations), un des maillons de cette chaîne dédiée au commerce extérieur. Depuis sa création en 1986, cet établissement souffre d’un vide juridique concernant l’une de ses principales missions : la coordination. Une lacune que l’EACCE a tenté de combler par la mise en place de deux comités de coordination au rôle purement consultatif pour les opérateurs. Par ailleurs, en l’absence d’une vision stratégique globale, cet établissement concentre ses efforts sur les seuls secteurs agrumes et primeurs, écartant les produits transformés d’origine végétale et animale. Ce manque de coordination est encore plus flagrant entre les différentes structures dédiées au commerce extérieur. Il réduit leur force de frappe et pénalise les efforts du pôle export.
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Programme national des pépinières d’entreprises
Treize années perdues
Comme si l’ANPME ne suffisait pas, voilà une autre trouvaille baptisée pompeusement Programme national des pépinières d’entreprises. De quoi s’agit-il au juste ? Le PNPE est chargé de réaliser des locaux professionnels au profit des jeunes promoteurs. Il a été créé dans le cadre d’un compte d’affectation dénommé « Fonds pour la promotion de l’emploi des jeunes » prévu par la loi de Finances de 1994. Le budget général a alloué 160 millions de dirhams à ce programme relevant du ministère du Commerce et de l’Industrie. Les objectifs sont pour le moins ambitieux : création de 4 000 petites entreprises, création de 40 000 emplois, réalisation de 2 milliards d’investissements. Mais les réalisations ont accusé un gros retard. En treize ans, seuls 37% des projets initiés ont vu le jour. Autant dire que l’impact est à peine perceptible.
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Onhym
Rien de bien concret
C’est l’exemple type d’une structure publique, non pas inutile, mais qui peine à accomplir sa mission. C’est en tout cas la conclusion majeure de la Cour des comptes qui, dans son rapport de 2007, avait relevé un grand cafouillage, pointant du doigt une série de défaillances et notamment « une instabilité et un tâtonnement dans la stratégie de l’Onhym ». Les recherches trop longues prennent jusqu’à vingt ans de retard et les résultats sont loin d’être probants. Au total donc, le bilan de cet office, produit de la fusion de l’Onarep et du BRPM, est faible par rapport aux dotations allouées. Depuis sa création en 2005, les recherches ponctuées d’annonces sur le potentiel pétrolier du Royaume se suivent mais sans résultat concret.
Hormis ces aspects liés à l’efficacité et à la maîtrise des coûts de la recherche minière, la Cour des comptes avait recommandé à l’Onhym de se positionner, à terme, en tant que régulateur du secteur, et de cesser d’être le principal acteur dans le domaine de la recherche minière. Cinq ans plus tard, un audit serait le bienvenu pour voir si les recommandations de la Cour des comptes ont bien été suivies.
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Office du développement de la coopération
En toute discrétion
L’Office existe depuis 1962. Mis à part les spécialistes de l’économie sociale et les fins connaisseurs des coopératives au Maroc, qui a déjà entendu parler de l’Office du développement de la coopération (ODCO) ? En tout cas, ses missions, telles que présentées sur son site officiel, rappellent étrangement celles de l’Agence de développement social et de l’INDH (Initiative nationale du développement humain) : lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, développement local, promotion de l’auto-emploi… Mais son cœur de métier reste la promotion des coopératives et leur accompagnement. L’Office cible en priorité les artisans et producteurs pour les convaincre de se regrouper en coopératives, l’objectif étant d’atteindre le seuil de 10% de la population active et de contribuer à hauteur de 3% du PIB. Le nombre de coopératives est passé de 574 en 2008 à 1 248 en 2011, le nombre total étant de près de 10 000 coopératives.
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Société d’aménagement Ryad (SAR)
Une vie après Hay Ryad !
Créée en 1983 pour parer aux difficultés de gestion du programme de construction du quartier Hay Ryad à Rabat, la société d’aménagement Ryad (SAR), existe toujours. Pourtant, le quartier est entièrement construit et livré. Pour continuer d’opérer, la société s’est fixé, en 2003, de nouvelles perspectives en se faisant désigner comme maître d’ouvrage de l’opération « Guiche Oudaya », zone située dans la périphérie de la capitale. Cela dit, la société, dont le conseil d’administration est présidé par le directeur de la CDG, a été, elle aussi épinglée par la Cour des comptes dans son rapport de 2006, pour de nombreux dysfonctionnements et une certaine opacité notamment en matière de commercialisation des lots.
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Société nationale des études du détroit de Gibraltar (SNED)
Le tunnel Maroc-Espagne,
« inchaallah ! »
Créée depuis plus de trente ans, en novembre 1980, la SNED (Société nationale des études du détroit de Gibraltar) assure, avec son homologue espagnol, le suivi des études pour la réalisation d’une liaison sous-marine fixe entre l’Espagne et le Maroc. Mais le projet, dont une première convention avait été signée entre les deux pays en octobre 1980, piétine toujours, en attendant un soutien financier de l’Union européenne. Le tunnel devrait se composer de trois galeries souterraines comprenant trois voies ferrées sur une distance de 38 km, dont 28 km sous la mer, pour un investissement estimé à plus de 5 milliards d’euros. Pour l’instant, l’UE a d’autres priorités…
RĂ©gulation et contrĂ´le
Dérives en série
C’est l’histoire de l’arroseur arrosé. Les organes de régulation et de contrôle, quel que soit le secteur concerné, méritent aussi un bon coup d’inspection. Tour à tour épinglés par les rapports de la Cour des comptes, ces gendarmes affichent plusieurs défaillances et manquements à leur mission principale. C’est ce qui ressort systématiquement des remarques des magistrats de la Cour des comptes. A titre d’exemple, dans le rapport 2009, la Cour des comptes pointe du doigt, entre autres, « le retard et la non-permanence des contrôles des systèmes de facturation » qui vont à l’encontre de la transparence requise. Pour sa part, l’Agence nationale des ports (ANP), créée dans le sillage de la réforme portuaire et opérationnelle depuis 2006, figure en bonne place dans le dernier rapport de la Cour des comptes de 2010. Les dysfonctionnements constatés ont trait, cette fois, à la non-régularisation de la situation des différents opérateurs des ports. D’où l’importance du manque à gagner pour l’ANP en matière de redevances de concession et d’occupation du domaine public portuaire. L’Office des changes n’est pas non plus épargné par de nombreux reproches comme les défaillances en matière d’exécution des fonctions d’inspection et de contrôle. Ainsi, de très faibles amendes ont frappé des délits liés à de grosses opérations. La Cour des comptes, dans son rapport 2010, s’alarme également de la « fuite » masquée de capitaux, estimée à près de 32 milliards de dirhams, opérée par les filiales de multinationales sous forme « d’assistance technique ». Et ce, sans que l’Office ne prévoie de sanctions. Il faut dire que, globalement, l’Office souffre d’un déficit de gouvernance et d’un flou dans ses attributions.
Autre secteur, le marché des capitaux, autre organe de régulation, le CDVM. Mais on relève les mêmes dérapages et insuffisances dans l’accomplissement de la mission de régulation et de contrôle. Florilège de la période allant de 2006 à 2010 : manipulations de cours, ventes à découvert, délits d’initiés… et la liste est longue ! Les juges de la Cour des comptes ont également relevé des violations des textes organisateurs dans le cadre des opérations de contrôle des sociétés de gestion. Par ailleurs, le CDVM ne disposerait pas d’un système de surveillance efficace lui permettant d’auditer les systèmes d’information des acteurs du marché. Toutefois, depuis ce rapport, le projet de réforme du CDVM est remis sur le tapis et la cadence en vue de l’adoption des nouveaux textes s’accélère.
Mouna Kably et Khadija El Hassani
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Haute administration Que les gros salaires lèvent le doigt !
Les emplois de complaisance ont également un coût. Benkirane s’attaquera-t-il à ces dérives dans le cadre des nominations de hauts fonctionnaires ?
Il y a tous ces organismes publics, ou parapublics, dont l’utilité pose question. Et il y a, aussi, tous ces postes qui, au fil des ans et des alternances, viennent grossir les rangs d’une administration souvent pléthorique. Des cabinards choisis sur le style « copains-coquins », des secrétaires généraux aux pouvoirs énormes et à la compétence incertaine, des chargés de mission sans véritable prérogative mais au salaire faramineux, etc. Et une question, lancinante : combien coûtent au contribuable ces gros salaires ?
Si le ministère des Finances emploie les fonctionnaires les mieux payés de l’Etat, dont certains cabinards de l’ombre, ce sont les personnels diplomatiques des Affaires étrangères qui concentrent le top ten des plus hauts revenus de l’Etat. Ces agents publics, que l’on peut soupçonner de s’en tenir à un service minimum en matière de rendement, ne sont certes pas grassement rémunérés, mais leurs primes sont conséquentes. Or, il s’agit là d’un secteur où le népotisme et les postes fabriqués sur mesure pour les « fils de... » battent le plein. A titre d’exemple, il suffit de consulter le CV et l’origine socioéconomique de la majorité des consuls pour se rendre compte que ces diplomates au bras long font plus dans les affaires que dans la diplomatie. Un scandale ? Rien que du déjà -vu même si l’on est en mesure de reprocher à juste titre à un gouvernement islamiste, champion de la vertu, de faire l’impasse sur le débat.
Hautement budgétivores, les nominations dans l’administration font certainement partie de ces errements politiques qui coûtent cher au contribuable. Instituées par Driss Basri, ces nominations « à la tête du client » avaient au moins un objectif. A l’époque, le vizir de Hassan II avait besoin de créer un réseau de fidèles au sein de la haute administration. Comme ces hauts fonctionnaires sont les relais privilégiés des politiques mises en place par le gouvernement, il avait privilégié l’administration territoriale qui se réservait (et qui se réserve toujours) la part du lion dans le budget de l’Etat.
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Placer ses fidèles
En 1998, l’arrivée au pouvoir des socialistes ne changera rien à la donne. Au contraire, les quatre premières années du mandat de Abderrahman El Youssoufi, si elles ne voient pas de nominations de proches à des postes clés, elles sont néanmoins marquées par le retour de nombreux socialistes, parachutés dans les administrations. Pour son seul cabinet, l’ancien Premier ministre avait réussi l’exploit d’embaucher la plupart de ses anciens camarades, dont plusieurs se contentaient de toucher leur salaire à la fin du mois. Il a fallu attendre la seconde cohabitation pour que El Youssoufi, pressé par la hiérarchie du parti, commence à placer ses fidèles à des postes clés. Le cas de Khalid Alioua, qui a fait partie de tous les gouvernements socialistes avant d’être propulsé patron du CIH, est assez significatif. Aujourd’hui encore, la tradition veut toujours que les hommes forts du moment nomment leurs affidés en début et en fin de mandat. « Au début du mandat, cela permet de reprendre le pouvoir sur une administration verrouillée par le prédécesseur alors que les nominations, en fin de mandat, visent en général à remercier les fidèles collaborateurs », explique un des secrétaires généraux fraîchement débarqué. Dans tous les départements, les nouveaux venus ont besoin de privilégier des collaborateurs proches, qui émargent au même parti. Le meilleur exemple reste sans aucun doute celui de l’Istiqlal qui a toujours eu à cœur de remercier ses militants par un poste juteux dans la fonction publique. Au ministère de la Santé, Yasmina Baddou avait réussi, avant son départ, à placer beaucoup de hauts fonctionnaires dont certains n’avaient jamais eu d’appartenance politique auparavant. En guise de « testament ministériel », elle avait légué à El Hossein El Ouardi un istiqlalien de fraîche date, Rahal Mekkaoui, propulsé secrétaire général sans en avoir les compétences. Le limogeage de ce personnage controversé avait d’ailleurs déclenché la fameuse guerre entre le ministre de la Santé et Hamid Chabat. La nouvelle Constitution, qui a ôté au roi l’exclusivité de nommer les patrons de l’administration, a donné pleins pouvoirs au chef de l’exécutif pour désigner et gérer la carrière de la majorité des hauts cadres de l’Etat. Benkirane en usera-t-il à bon escient ?
Abdellatif El Azizi |
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