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Royal Air Maroc : Champion du monde du redressement
actuel n°170, jeudi 29 novembre 2012
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La direction de RAM multiplie les bonnes nouvelles depuis plusieurs mois. Son plan de sauvetage aurait fait des miracles. Un redressement qui laisse sceptique alors que les véritables chantiers n’ont toujours pas été entamés, à commencer par le choix de son modèle économique.
La compagnie nationale est-elle vraiment tirée d’affaire, deux ans après le lancement de son plan de sauvetage ? Driss Benhima, son PDG, multiplie les déclarations rassurantes. Mais nombre d’observateurs s’interrogent sur la véracité du redressement. Le contrat-programme, conclu en 2010 avec l’Etat, prévoyait le versement de 1,6 milliard de dirhams, avec un échelonnement jusqu’en 2014. Alors que nous sommes à mi-chemin, la direction de RAM annonce déjà des niveaux de performances jamais atteints auparavant : un résultat opérationnel de 836 millions de dirhams en 2012, le meilleur depuis dix ans ; un résultat d’exploitation certes négatif mais en amélioration de 887 millions de dirhams, à moins 56 millions de dirhams ; des économies de 600 millions de dirhams dégagées à fin juin 2012 et une contraction de 10,8% des charges d’exploitation. Parallèlement, la compagnie annonce la cession de sept avions et la suppression de dix-sept lignes non rentables. Mais le véritable tour de force réside dans les résultats du plan de départs volontaires qui, au final, a concerné 1 730 salariés, au lieu des 1 560 initialement prévus. Toutefois, le dépassement des objectifs suscite, là aussi, bon nombre d’interrogations. Au départ, ce programme de dégraissage des effectifs devait s’étaler sur deux ans, de 2011 à 2013, et concerner un peu plus de 1 500 salariés. « Alors, soit l’on est en train de nous mentir, soit l’estimation initiale était fausse, ou alors un maximum d’employés ont été forcés au départ. A moins que cette hémorragie ne soit révélatrice d’un ras-le-bol généralisé des agents de RAM », analyse Habib El Mrabt, directeur général du cabinet Aerospace Business et expert en aéronautique.
Comme par le passé, plusieurs salariés qualifiés en auraient profité pour percevoir une indemnité attrayante avant de rejoindre une compagnie concurrente, le marché étant fortement demandeur de profils pointus. Cette dernière explication semble la plus plausible. Elle expliquerait l’hémorragie de cadres et techniciens qualifiés et expérimentés, très prisés par les compagnies étrangères. C’est le cas de Qatar Airways qui a saisi cette opportunité pour débaucher à tour de bras des techniciens possédant une dizaine d’années d’expérience et une bonne connaissance des appareils Airbus. La compagnie nationale du Qatar aurait ainsi recruté ces derniers mois de nombreux employés de RAM.
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Premier plan de sauvetage en 2001
Portée par le tourbillon de ses performances décrochées à court terme, la direction de la compagnie va même jusqu’à annoncer qu’elle pourrait bien se passer d’une levée de fonds auprès de la Bourse ou d’éventuels partenaires stratégiques, une manne estimée à près de 1,2 milliard de dirhams. Surprenant. « Si le top management avait été en mesure de remettre à flot la compagnie dans un délai aussi court, pourquoi ne l’a-t-il pas fait plus tôt ? », s’interroge El Mrabt. D’autant que la compagnie n’en est pas à son premier plan de sauvetage.
Le premier qui avait été initié par Mohamed Berrada, alors PDG de RAM, remonte à 2001, au lendemain du 11-Septembre. Frappée de plein fouet par la chute du trafic aérien mondial, la compagnie nationale avait donné l’alerte pour bénéficier finalement d’une subvention publique d’un montant global de 1,6 milliard de dirhams, dont 440 millions en augmentation de capital et 620 millions de dirhams sous forme de paiement des arriérés dus à la CNSS et à l’ONDA. RAM enclenchera, là aussi, un plan de départs volontaires pour tenter de réduire sa masse salariale. Mais il sera nettement moins ambitieux puisqu’il concernera à peine 620 salariés, pour la plupart des hauts cadres qualifiés n’ayant aucun mal à se reconvertir.
Dix ans plus tard, retour à la case départ. RAM est en proie aux mêmes difficultés, mais sa situation est nettement plus alarmante ! Ce qui laisse à penser que la compagnie nationale demeure sous l’emprise de rouages internes qui l’empêchent d’être performante et suffisamment compétitive pour tenir tête aux chocs externes.
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RĂ©sister aux soubresauts
Faut-il rappeler que les attentats du 11 septembre 2001, comme le Printemps arabe, sont des événements extérieurs dont les effets se sont imposés à toutes les compagnies à travers le monde ? C’est donc son extrême fragilité, pour beaucoup inhérente à son statut, qui empêche RAM de résister à ces soubresauts. En réalité, la compagnie nationale est en proie à de fortes contradictions : elle doit à la fois remplir une mission de service public et de porte-étendard de la souveraineté marocaine, tout en veillant à sa compétitivité. Or, ce sont des missions inconciliables auxquelles aucun des dirigeants successifs n’a été véritablement en mesure de répondre de manière efficiente. Pour exemple, l’annonce récente de la réouverture des lignes dans les pays scandinaves. « De telles décisions doivent être étayées par des études économiques. Or ces marchés ont déjà été expérimentés par le passé et se sont avérés difficiles à pénétrer », précise un pilote de la compagnie ayant requis l’anonymat.
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Un laps de temps si court
Malgré les décisions énergiques adoptées ces derniers mois, les annonces en série sur l’imminence d’une sortie de crise laissent perplexes bon nombre de professionnels et partenaires de RAM. Comment la compagnie a-t-elle réussi à améliorer son résultat d’exploitation en un laps de temps aussi court, sans entamer des réformes de fond, ni remettre à plat sa stratégie pour clarifier son positionnement ? Un tel rebond est-il d’abord lié à l’amélioration de l’exploitation de la flotte qui reste le cœur de métier de la compagnie aérienne ou à la disparition des low cost ? La réduction de la masse salariale et l’optimisation des dépenses ont-elles contribué à cette performance ? Ou alors a-t-on intégré les revenus hors exploitation, qui sont non récurrents, comme la cession de la chaîne hôtelière Atlas Hospitality pour plus d’un milliard de dirhams ? Autant de questions qui demeurent à ce jour sans réponse. D’abord parce que la compagnie se garde bien de publier ses comptes. Ensuite parce que, sollicitée par actuel, la direction n’a pas souhaité répondre à nos questions.
De même, et au regard des « performances » du plan de départs volontaires, la question est posée de savoir dans quelle mesure la réduction des effectifs a pu contribuer véritablement à l’amélioration du résultat d’exploitation. D’autant que l’on sait que la compagnie a aussitôt procédé à l’embauche de nouvelles recrues. Une démarche qui laisse à penser que ce plan de départs volontaires visait, avant tout, la réduction des charges par la limitation du poids des hauts salaires perçus par les collaborateurs les plus qualifiés… RAM ira jusqu’à externaliser son service de maintenance, activité jugée stratégique, réduisant de moitié l’effectif des techniciens.
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Trois types de business model
Mais la question qui interpelle et qui rend ces performances encore plus étonnantes a trait au business model. RAM n’a toujours pas clairement choisi son positionnement commercial. Où se situe-t-elle ? Telle est la question centrale à laquelle les dirigeants et la tutelle n’ont toujours pas répondu. Est-elle exclusivement une compagnie régulière à part entière, ou figure-t-elle aussi parmi les compagnies low cost ou charters ? Ce sont les trois types de business model qui dominent le secteur aérien à l’échelle mondiale. Si RAM est une compagnie régulière, il serait logique de la comparer aux autres compagnies régulières
comme Air France, Emirates ou Qatar Airways qui, toutes, obéissent aux mêmes règles et sont soumises à des contraintes similaires. Force est de constater qu’à ce jour, la question n’est toujours pas tranchée. Or, le flou entretenu au niveau de son positionnement ne fait qu’aggraver les difficultés de RAM, l’empêchant d’avancer, de gagner des parts de marché en se soumettant aux règles et en s’alignant sur les normes internationales. Et met ainsi en péril son activité au moindre choc externe.
Dans ces conditions, et malgré les signaux rassurants envoyés par les dirigeants, la compagnie nationale peut-elle espérer attirer un actionnaire privé ? Il est évident que pour intéresser un actionnaire, il faut présenter des comptes transparents. Sur ce registre, et hormis quelques ratios distillés ici et là , RAM garde jalousement secrète toute information financière. Si tel devait être le scénario, nul doute que les comptes seraient transmis en toute discrétion. Mais pour l’heure, faute de transparence, la capacité de séduction reste nulle.
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Quelle logique ?
Il en va des compagnies aériennes comme de toute autre entreprise : aucun investisseur n’entreprend de partenariat s’il ne détient pas de poste déterminant au conseil d’administration et si son investissement ne lui permet pas de remonter quelque dividende. A moins que cet investissement ne réponde pas à une logique économique, mais qu’il soit plutôt d’ordre géostratégique ou politique. Qu’en est-il des investisseurs arabes qui auraient été approchés, notamment lors de la visite royale ? Fortement sollicités par tous les pays occidentaux, et notamment européens, ils sont en train d’y acquérir de façon massive des ports, des stades et bien d’autres infrastructures. « Pourquoi seraient-ils intéressés par une compagnie nationale dotée d’une petite flotte de quarante avions, sans stratégie claire ? », s’interroge ce spécialiste.
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Avoir les coudées franches
En revanche, si les pouvoirs publics décidaient de recentrer la compagnie nationale sur une activité régulière, des investisseurs étrangers pourraient être intéressés par la création d’une nouvelle compagnie régionale de droit marocain, avec dans son tour de table l’Etat marocain et RAM qui se limiteraient tous deux à des participations minoritaires. Le contrôle de la compagnie reviendrait à l’investisseur privé qui aurait alors les coudées franches pour développer véritablement le transport aérien régional et générer des bénéfices. Un projet dans ce sens a bien été soumis aux pouvoirs publics, mais aucune décision n’a été prise à ce jour. RAM qui compte parmi ses filiales une compagnie régionale, RAM Express, ne verrait pas d’un bon œil l’arrivée d’un concurrent sur le marché domestique. Il y a pourtant une place à prendre puisque, par exemple, il n’existe toujours pas de liaison entre Agadir et Dakhla séparées de 1 200 km ! Idem pour Dakhla-Las Palmas dont la ligne aérienne est monopolisée par les opérateurs espagnols.
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Absence d’une compagnie régionale de droit marocain
La création d’une compagnie régionale locale et privée permettrait de desservir ces destinations grâce à un effectif réduit, à la souplesse de son mode de fonctionnement et à une flotte adaptée et dimensionnée. Sans oublier la limitation des sorties de devises. En effet, en l’absence d’une compagnie régionale de droit marocain, Air Arabia et Jet4You tiennent le haut du pavé et rapatrient les recettes ainsi générées dans leurs pays d’origine. RAM gagnerait donc à s’inspirer des compagnies régulières étrangères dont le positionnement est clairement arrêté et qui détiennent, toutes, des participations minoritaires dans des compagnies régionales. A chacun son métier. Dommage que RAM ne cesse d’en changer, sans véritablement choisir.
Nadia Tadlaoui |
Cas d’école
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Driss Benhima sera peut-être un jour convié par les meilleures universités de gestion et de management pour décortiquer le spectaculaire redressement de Royal Air Maroc. Un vrai cas d’école ! Nul doute que les présidents des grandes compagnies aériennes, dont beaucoup font face aux difficultés du secteur avec moins de réussite, viendront alors s’enquérir des best practices du professeur Benhima. Un jour, peut-être… car pour l’heure, il faut se contenter d’une communication réduite aux seuls communiqués d’autosatisfaction régulièrement émis par le groupe.
Qu’il s’agisse du rétablissement de ses comptes, de la gestion de son dernier plan social, de sa politique commerciale, de sa ponctualité, ou de la qualité de ses prestations, RAM réaffirme jour après jour la pertinence de sa bonne gouvernance. La preuve ? L’amélioration des résultats attendus pour l’exercice 2012. Les quelques (et trop rares) chiffres communiqués en attestent. Il n’empêche, ces résultats obtenus quasi mécaniquement – en raison du redressement fiscal, du prix du carburant ou du provisionnement du plan social qui avaient pesé sur 2011 – peinent à convaincre. Surtout, le redressement comptable affiché ne répond pas à lui seul à ce que le pays attend de sa compagnie nationale. Une tarification erratique et souvent prohibitive, une flotte qui ne répond toujours pas aux besoins, une gestion des lignes en contradiction avec les attentes du secteur du tourisme, un modèle économique en trompe-l’œil, un mode de management assez éloigné des bonnes pratiques…  les chantiers ne manquent pas pour convaincre du « redressement ».
Henri Loizeau |
Des erreurs stratégiques coûteuses
Un positionnement peu clair, un hub bancal, une activité cargo sous-exploitée... Pour se hisser parmi les compagnies les plus performantes et pérenniser son activité, RAM doit corriger ses faiblesses. Un défi complexe mais réalisable.
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Un positionnement flou
Le lancement de la filiale low cost Atlas Blue était en soi une décision louable. Mais l’erreur stratégique réside dans la prise de contrôle, par RAM, du capital de la filiale. Cela a entraîné une lutte intestine entre le personnel de RAM et celui d’Atlas Blue, qui a fait plus de mal que de bien à l’ensemble. Pour garantir sa réussite, la nouvelle entité aurait dû être créée selon les règles incontournables des compagnies low cost et RAM aurait pu se limiter à une participation minoritaire et céder le contrôle à des investisseurs privés. Faute de vision, la niche a été raflée par Ryanair.
RAM a par ailleurs été singulièrement défaillante dans les stratégies sectorielles, comme celles du tourisme ou de la logistique. Pourtant, si la compagnie tient un rôle central dans la réalisation de leurs objectifs respectifs, il n’a jamais été clairement défini. « Dans la vision 2020 où le concept de régionalisation avancée est l’un des pivots de la stratégie touristique, RAM est la grande absente ! Alors comment compte-t-on acheminer 20 millions de touristes ? Les hôteliers se le demandent encore », déplore un membre de la Fédération nationale des hôteliers.
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Un hub inefficace
RAM n’a pas d’emprise réelle sur le territoire africain. Si, jusqu’à présent, le hub de Casablanca a fonctionné bon an mal an, c’est grâce à une situation de monopole basée sur des accords bilatéraux entre le Maroc et certains pays africains, comme la Mauritanie ou le Cameroun. Un monopole facilité par l’absence de dessertes entre la plupart des pays du continent et le Maroc. Et tant que l’Open Sky sur l’Afrique n’est pas encore entré en vigueur, RAM profitera de la clause de désignation qui protège le business des compagnies nationales des deux pays signataires de l’accord bilatéral.
L’entrée en vigueur de la convention de Yamoussoukro, qui prévoit la création d’un espace aérien unique en Afrique et le libre accès des transporteurs aériens aux liaisons intra-africaines, sonnera cependant le glas de ce cadre totalement verrouillé. D’autant que, pour l’instant, RAM affiche sur les destinations africaines des tarifs trop chers, des horaires inappropriés et des retards excessifs. « Si RAM se prétend élitiste, elle n’est pas au rendez-vous concernant le niveau de ses prestations », conclut un agent de voyages.
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Une stratégie commerciale à faible portée
RAM n’adhère à aucune des trois alliances mondiales de compagnies régulières qui contrôlent le secteur aérien. Or, 70% du trafic mondial est géré par ces alliances que sont Star Alliance, SkyTeam et Oneworld. Et c’est SkyTeam, dont le chef de file est Air France-KLM, qui contrôle le ciel africain. Cela n’empêche pas Lufthansa, chef de file de Star Alliances, d’étudier actuellement l’opportunité d’une pénétration du continent via le Ghana pour établir des liaisons vers les Etats-Unis.
Par ailleurs, il faut garder en tête que Lufthansa détient 20% du capital de Jetblue, la compagnie low cost qui vient de conclure un accord de connexion avec RAM sur les Etats-Unis, avec 70 lignes intérieures. Si RAM avait intégré Star Alliance, elle aurait bénéficié, sur le champ, d’une connexion avec 1 169 destinations, grâce à l’accès automatique au réseau des compagnies signataires de l’alliance. De ce fait, si elle veut développer le hub de Casablanca à l’échelle mondiale en bénéficiant de multiples connexions dans tous les continents, RAM doit intégrer une alliance. Mais pour cela, elle doit être prête à remettre en question ses process, son mode de fonctionnement et de gouvernance.
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Une activité cargo négligée
Elle pourrait être un véritable centre de profit pour la compagnie. La quasi-absence de la branche Cargo constitue une aberration, alors que le programme national de la logistique, récemment lancé, est très attendu par les opérateurs. Pour l’heure, RAM dispose d’un seul avion cargo qui dessert trois destinations que sont Bruxelles, Paris et Alger. Or, pour entrer dans la chaîne logistique, il faut développer des flux tendus en accord avec les besoins des industriels locaux. D’où la nécessité de créer une filiale RAM Cargo, et de développer ce pôle générateur de recettes importantes. Au total, si RAM mise sur le transport passager régulier et l’activité Cargo, elle réussirait, sans doute, à pérenniser son activité.
N.T. |
Entretien avec Habib El Mrabt
directeur général du cabinet Aerospace Business
« Le même scénario risque de se reproduire d’ici à 2020 »
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Ancien officier supérieur des FAR et pilote de l’armée de l’air, Habib El Mrabt est auditeur et expert aéronautique. Il analyse pour nous les performances de la compagnie.
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actuel : En quoi les récentes annonces des performances de RAM sont-elles surprenantes ?
Habib El Mrabt : C’est la vitesse de sortie de crise qui interpelle. En novembre 2011, la convention avec l’Etat était signée, et en juin 2012, la compagnie serait déjà dans le vert ? Si cela était si facile, pourquoi ne l’a-t-on pas fait plus tôt ?
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Quel chiffre vous surprend le plus ?
C’est le rebond spectaculaire du résultat d’exploitation qui s’améliore subitement de 887 millions de dirhams. Ce plan de sauvetage comporte vraiment une recette magique.
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Que pensez-vous des réouvertures récentes de lignes alors que le plan de sauvetage annonçait la suppression de 17 vols non rentables ?
Tout d’abord, cette stratégie d’ouvertures, puis de fermetures suivies de réouvertures ne véhicule pas une image de sérieux envers nos partenaires et nos concurrents. Si l’étude de rentabilité de ces lignes est erronée, alors on revient sur la décision une bonne fois pour toutes et on les abandonne. Or, aujourd’hui, on décide de rouvrir les liaisons vers les pays scandinaves, sur la base d’études dont personne ne connaît les conclusions. En réalité, RAM choisit de se placer sur des lignes où il n’y a pas, ou peu, de concurrence. Et si les autres compagnies européennes ne s’y sont pas positionnées, c’est bien parce quelles ne sont pas rentables à long terme. Alors, RAM investit, recrute pour rétablir ces lignes et récolter une petite rentabilité au début. Mais, à long terme, elle sera acculée à les fermer une nouvelle fois car, structurellement, ces lignes ne sont pas rentables ! Une seule et même logique s’impose à toutes les compagnies pour l’ouverture d’une ligne : celle-ci doit être très rentable et soumise à une forte concurrence. Mais comme RAM n’est pas compétitive, elle se rabat sur des lignes à faible concurrence.
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Quelles sont, selon vous, les décisions stratégiques qui ne sont toujours pas prises et qui mettent en péril la pérennité de la compagnie ?
Elles sont au nombre de trois. D’abord, il faut délimiter le segment d’activité de RAM car elle ne peut pas tout faire. Elle doit se centrer sur son cœur de métier, à savoir desservir des lignes régulières. Ensuite, la compagnie étant un miroir à reflets multiples, il faut que tous les acteurs synchronisent leurs visions et leurs stratégies sectorielles pour délimiter le rôle de RAM. Enfin, il faut favoriser la création d’une compagnie low cost à vocation régionale. Comme on a libéralisé le marché international, il faut ouvrir le marché intérieur.
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Pensez-vous que RAM doive ouvrir son capital pour diluer la part de l’Etat et accélérer ses réformes ?
Sans la garantie d’une prise de contrôle, aucun investisseur ne peut s’y risquer. Or, RAM a une forte mission régalienne et de souveraineté, elle reste prisonnière de son carcan. Si Air France est une entreprise publique, elle est gérée en toute transparence aux normes de l’UE et publie ses comptes. Ce n’est pas le cas de RAM qui reste une boîte noire.
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L’année dernière, vous aviez préconisé l’euthanasie de RAM. Maintenez-vous votre diagnostic ?
Quand RAM était en pleine crise, l’Etat avait deux options : soit la liquider, soit la renflouer via une subvention. La seconde option a été choisie. Avec une subvention similaire, on aurait pu créer une nouvelle compagnie compétitive en conservant les compétences aujourd’hui reconverties chez les concurrents. Du point de vue de l’efficacité économique, c’est dommage d’avoir choisi la seconde option. Maintenant, malgré ce plan de sauvetage, le même scénario risque de se reproduire d’ici à 2020, avec des effets de plus grande ampleur. On ne fait que reporter l’euthanasie à plus tard.
Propos recueillis par Nadia Tadlaoui
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Alerte sur les parts de marché
Si RAM arrive dans le peloton de tête des compagnies africaines, après South African Airways, ses performances la laissent à la traîne par rapport à ses concurrentes.
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Dans le classement mondial, RAM est au 73e rang. En Afrique, elle arrive juste après South African Airways, avec une flotte de taille similaire. Sauf que la compagnie sud-africaine réalise un chiffre d’affaires deux fois plus important et dégage un rendement plus élevé pour un effectif comparable.
RAM attribue l’essentiel de ses difficultés à la montée de la concurrence des compagnies low cost, notamment Ryanair, et à l’explosion du cours du kérosène. Or, le prix du carburant est un facteur exogène qui s’impose à toutes les compagnies. De plus, les autres compagnies régulières ont, elles, amélioré leur part de marché en 2011. Ainsi, Turkish Airlines a augmenté de 23% le nombre de ses passagers, Qatar Airways de 17,5%, Emirates de 9,8%, Lufthansa de 8,8% contre 6% pour British Airways. D’ailleurs, selon l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), le trafic aérien mondial a réalisé une croissance de 5,1% en 2011 avec 2,7 milliards de passagers.
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Le maillon faible : la qualité de service
Ce dynamisme du transport aérien est corroboré par l’explosion de 65% du secteur aéronautique au Maroc, entre 2008 et 2011, selon la dernière étude du ministère des Finances. Dans un marché en croissance, RAM a donc un vrai problème de protection de ses parts de marché. Et l’un de ses maillons faibles a trait à la qualité de service. Ce volet figure, pourtant, en bonne place dans le dernier plan de sauvetage de la compagnie. Parmi les indicateurs les plus parlants, la ponctualité. En août dernier, RAM a communiqué un taux de ponctualité de 77%, soit le meilleur depuis quinze ans. « En réalité, ce chiffre est catastrophique car cela revient à dire que le passager a 25% de chances de ne pas décoller à l’heure ! », déplore un pilote. Cela explique, en partie, l’érosion de ses parts de marché, au moment même où le trafic des passagers est en croissance. L’une des faiblesses majeures de ce plan de sauvetage est qu’il axe toutes les actions sur la rationalisation des dépenses et la refonte du réseau. Il ignore les mesures visant à augmenter les parts de marché de la compagnie. Ce second aspect, s’il avait été décliné en actions concrètes et chiffrées, aurait contraint RAM à davantage d’anticipation et à une plus grande agressivité commerciale.
N.T. |
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