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Fiscalité  du  tabac : Une réforme incomplète
actuel N°169, jeudi 22 novembre 2012
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Le gouvernement veut réformer en profondeur le système de taxation des tabacs, pour optimiser ses recettes. Mais les conditions dans lesquelles s’exerce la libéralisation du secteur depuis deux ans sont préjudiciables au développement d’une juste concurrence.
Tous concernés ! Petits ou gros fumeurs. Amateurs de cigarettes blondes ou brunes, de marques populaires à bas prix ou de premium importées… Aucun des quelque quinze millions de fumeurs marocains ne devrait rester insensible au bras de fer qui se joue ces jours-ci dans l’enceinte du Parlement. Le projet de réforme du système de taxation des tabacs manufacturés que propose le gouvernement, dans le cadre du projet de loi de Finances 2013, constitue le second étage d’une fusée lancée voici presque deux ans avec la libéralisation du secteur du tabac.
L’objectif poursuivi par le gouvernement est simple. Il s’agit tout à la fois de poursuivre l’ouverture à la concurrence d’un marché jusqu’ici amplement contrôlé par Imperial Tobacco (ex-Altadis), qui maîtrise la filière d’amont en aval (lire page 20), et d’accroître sensiblement les recettes fiscales qui alimentent le budget de l’Etat. Mais si l’objectif est simple, les voies et les moyens pour y parvenir semblent autrement plus compliqués. Toucher au sacro-saint marché du tabac, c’est affronter ce qui se fait de plus sophistiqué en matière de lobbying. Les cigarettiers ont de longue date démontré leurs capacités et leur sens de l’innovation pour défendre leur profession, et leur business.
Le Maroc avait pu y échapper. Mais, ça, c’était avant la libéralisation du secteur, initiée au début de 2011. Depuis, l’exercice de la libre concurrence peine à s’affirmer, et les majors autorisées à s’implanter au Maroc face à Imperial Tobacco ont rapidement dénoncé, rapport du Conseil de la Concurrence à l’appui, les entraves qui leur étaient faites pour se déployer dans le Royaume.
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Introduire la concurrence
C’est une tout autre partie qui se joue actuellement au Parlement. Le projet de loi de Finances 2013 se propose en effet d’introduire une réforme du système de taxation des tabacs manufacturés, qualifiée de « prérequis à la libéralisation en vue d’introduire une certaine concurrence entre les acteurs du secteur ». Deux ans après la libéralisation, il était temps d’y penser. Mais l’objectif est assurément plus prosaïque. Le gouvernement le reconnaît volontiers : « Le souci de la consolidation et du renforcement des recettes du budget de l’Etat demeure une préoccupation majeure de cette réforme…», précise le projet de loi. On ne saurait être plus clair. En ces temps de disette budgétaire, l’Etat met en œuvre une bonne vieille recette, amplement éprouvée ailleurs : l’augmentation des taxes sur le tabac. « Une préoccupation majeure… en sus des objectifs de santé », veut-il rassurer, en se donnant bonne conscience. Car de santé, il n’est hélas pas question. Aucune disposition nouvelle ne vient formellement étayer cette louable intention. Et l’on guette en vain, depuis plus de dix mois, la moindre initiative qui viendrait affirmer la volonté du gouvernement de lutter efficacement contre le tabagisme. L’interdiction de consommation (loi n°15-91) dans les lieux publics existe pourtant, d’ailleurs renforcée en 2008, mais son application reste vaine, ou presque. Il en va de la lutte contre le tabagisme comme du code de la route et de quelques autres politiques publiques, dans l’indifférence coupable des pouvoirs publics en charge de faire appliquer la loi.
La réforme en cours d’examen au Parlement pourrait, si elle était adoptée en l’état, modifier très sensiblement la structure des recettes fiscales sur les cigarettes. Et rebattre les cartes du marché. La réglementation actuelle prévoit la fixation d’un « prix minimum » pour les nouvelles marques introduites sur le marché depuis le 1er janvier 2011, date de la libéralisation du monopole d’importation détenu par International Tobacco (ex-Altadis) et de la distribution en gros. Les marques existant avant cette date du 1er janvier 2011 continuant d’être commercialisées à des prix de vente inférieurs au « prix minimal », représentant la moyenne arithmétique des prix de vente au public des tabacs de même catégorie. Or, c’est cette exigence de « prix minimal » que le gouvernement entend remettre en cause, y voyant « une discrimination » et « une rente de situation » dont bénéficierait Imperial Tobacco au détriment des nouveaux opérateurs, NATC (North Africa Tobacco Company) et BAT (British American Tobacco). La taxation ad valorem de la taxe intérieure de consommation (TIC), qui est la règle au Maroc, est par ailleurs remise en cause par le gouvernement au motif qu’elle « ne répond pas aux objectifs de la politique publique précitée ». En clair, elle pénaliserait l’exercice de la libre concurrence souhaitée.
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Nouveau mode de calcul
Le Maroc n’est d’ailleurs pas le seul pays à remettre en cause le seul calcul ad valorem. Et nombre d’Etats, notamment en Europe, ont déjà mis ou s’apprêtent à mettre en œuvre un nouveau mode de calcul, en y associant une taxe « spécifique ». Le ministère des Finances observe ainsi que la taxation ad valorem étant liée au prix, elle inciterait les industriels à fournir des prix bas, et permettrait des manipulations des valeurs qui constituent son assiette. Elle conduirait par ailleurs à des écarts importants entre les produits bon marché et les produits de luxe. Autant d’inconvénients qui incitent le gouvernement à la réforme en s’inspirant tout à la fois des directives d’organismes internationaux, tel l’OMS (Organisation mondiale de la santé), et des expériences de pays voisins, singulièrement en Europe, en pointe sur la fiscalité du tabac. Le nouveau système, soumis aux parlementaires, combine trois éléments. L’introduction d’une nouvelle taxe, dite « taxe spécifique », le maintien d’une partie de la taxe ad valorem (taxation proportionnelle au prix de vente public), et la fixation d’une perception minimum « pour préserver les recettes de l’Etat ». Une réforme dont la mise en œuvre s’étalerait sur une période de trois ans.
La présentation de cette réforme en commission parlementaire par Zouhaïr Chorfi, le directeur général des douanes et impôts indirects, n’a pas manqué de susciter le débat. Les députés de l’opposition, RNI en tête, ont ainsi relevé plusieurs points de désaccord, notamment en termes d’équité de traitement entre produits. La réforme ne doit pas, selon ces députés, conduire à une discrimination entre produits dits populaires, issus de la production nationale, et les produits de luxe. Favorable à l’évolution de la fiscalité, certains parlementaires – du RNI à … l’Istiqlal – n’en demandent pas moins que soient revues les conditions d’évaluation du calcul des nouvelles taxes, jugées inéquitables. Des arguments proches de ceux d’Imperial Tobacco Maroc qui, tout en souscrivant aux objectifs du gouvernement de préserver les recettes fiscales et d’aligner la législation marocaine sur celle de l’Union européenne, plaide activement pour une période transitoire. ITM fait ainsi remarquer que l’Union européenne a su accorder à ses nouveaux Etats membres des périodes transitoires « pour leur permettre de faire évoluer leur législation progressivement, sans bouleverser l’équilibre de leurs marchés intérieurs ». Le passage à la libéralisation, estime également ITM, ne devrait s’opérer que progressivement, de manière à préserver la valeur ajoutée nationale que représente toute la filière, et éviter tout déséquilibre. Et continuer durant la période transitoire à faire profiter les caisses de l’Etat « des avantages que procure la taxation ad valorem ».
Des « avantages » ? Pour Imperial Tobacco, le diagnostic est clair. L’introduction d’une taxe spécifique (voir tableau) est « injuste socialement ». Pire, elle pourrait aboutir au contraire de l’effet escompté par le gouvernement. La baisse attendue du produit fiscal sur les cigarettes de luxe, parallèlement à l’augmentation de la fiscalité sur les cigarettes premiers prix fabriquées au Maroc, conduirait à une perte de recettes pour le budget de l’Etat de quelque 950 millions de dirhams en trois ans ! Et la réforme, telle qu’annoncée, favoriserait l’importation (avec ses effets sur la balance commerciale) au détriment « de la création de valeur ajoutée nationale ». Des amendements ont donc été déposés pour tenter d’obtenir un report de la réforme et la mise en place d’une commission avec le ministère de tutelle, celui des Finances.
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Déployer l’activité
Rien n’indique toutefois que ces réserves parlementaires emportent l’adhésion de la majorité parlementaire. Et encore moins celle du gouvernement. Car la situation de l’exercice d’une libre concurrence dans le secteur du tabac a fait l’objet, voici quelques mois, d’un rapport très critique de la part du Conseil de la concurrence. Ses conclusions, qui nourrissent l’initiative du gouvernement, amènent à s’interroger sur la notion de concurrence telle qu’initiée par la libéralisation du secteur début 2011.
Le Conseil de la concurrence relève en effet que le mode en vigueur de fixation des prix des nouveaux produits tabagiques est « restrictif à la concurrence », que la fixation des prix minimum n’est pas « indispensable pour préserver la santé publique et garantir les recettes fiscales de l’Etat ». Le Conseil relève également que « l’analyse des exigences réglementaires d’accès au marché, au regard de leur impact sur la concurrence, a révélé plusieurs dysfonctionnements concurrentiels ». Autrement dit, les deux nouveaux entrants – NATC (North Africa Tobacco Company) et BAT (British American Tobacco) – rencontreraient quelques difficultés à déployer leur activité dans le Royaume. Et la libéralisation du secteur ne serait pas encore au rendez-vous.
S’agissant du mode de fixation des prix, jugé « restrictif à la concurrence », le Conseil fait état de plusieurs griefs. Ainsi, le calcul de la moyenne arithmétique des prix ne prendrait pas en considération les différences de gammes de produits. Cette moyenne produirait par ailleurs un effet de « spirale de prix » et pourrait être instrumentalisée par les opérateurs comme une barrière d’accès au marché. Le système du prix minimum aurait également un effet pervers en ce qu’il fait converger les prix vers le prix le plus cher, ce qui impacte la compétitivité des nouveaux entrants en termes de rapport qualité/prix et oblige le consommateur à payer ainsi un « surprix » qui ne correspond pas nécessairement ni à la qualité ni à la valeur réelle du produit. Le système des prix minimums ainsi calculés serait donc discriminatoire à l’égard des concurrents d’Impérial Tobacco, puisqu’il les empêcherait d’accéder aux segments de prix inférieurs à la moyenne arithmétique, ceux-là mêmes qui sont les plus porteurs économiquement. Or, Imperial Tobacco, présent sur tous les segments du marché, est naturellement bien placé pour profiter de cette situation.
Et le Conseil de la concurrence de pointer « un monopole de fait » au profit d’ITM sur tout le segment des produits dont les prix sont inférieurs à la moyenne arithmétique. Une « protection injustifiée sur le plan économique » d’autant plus que le segment de marché « sous monopole absolu » pèse pour près de 83% du marché (blondes et brunes confondues) et même près de 91% sur le seul marché des cigarettes blondes. C’est dire que seuls 17% du marché ont été réellement ouverts à la concurrence. Une telle configuration, sous influence notoire de l’actuelle méthode de fixation des prix, ne répond assurément pas à l’esprit qui devait prévaloir à la libéralisation du secteur. Contraints à construire un business model sur les seules perspectives d’importation, les nouveaux opérateurs se voient dans l’impossibilité d’envisager un processus d’industrialisation au Maroc, qui pourrait être – à l’instar d’ITM – générateur de valeur ajoutée pour l’économie nationale.
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Nombre limité de débitants
La fixation des prix n’est toutefois pas le seul obstacle relevé par le Conseil de la concurrence. Les contraintes imposées par la réglementation pour l’accès au marché témoignent de quelques dysfonctionnements. Ainsi, l’obligation qui est faite aux nouveaux entrants, pour la constitution du dossier d’autorisation de distribution en gros, de collecter notamment dix contrats par préfecture et province, se heurte au nombre limité de débitants dans les régions éloignées.
La création d’un réseau minimum de 840 débitants, de 16 entrepôts régionaux, et l’obligation d’un approvisionnement régulier nécessitent des investissements difficilement compatibles avec la réalité du marché. Les sages du Conseil ont ainsi suggéré, entre autres, d’alléger sensiblement ces obligations afin de permettre aux nouveaux opérateurs de développer progressivement leur activité en ayant le libre choix de leurs zones d’implantation.
La réforme telle que proposée par le gouvernement apparaît toutefois incomplète. Nécessaire pour converger avec les instances internationales et optimiser les recettes de l’Etat, elle ne répond que partiellement à une réelle libéralisation. Si certains arguments développés par le Conseil de la concurrence sont discutables, il n’en reste pas moins que la réalité du marché du tabac témoigne de freins à la libre concurrence. Le ministère des Finances, discret sur le sujet, manquerait singulièrement à ses devoirs s’il persévérait dans son indifférence.
Yanis Bouhdou |
Imperial Tobacco se défend
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L’opérateur historique s’inquiète des conséquences de la réforme de la fiscalité sur les tabacs. Il met en avant la maîtrise de l’intégration de la filière, les emplois et les investissements. Et dénonce même un manque à gagner à venir pour les finances de l’Etat.
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Il ne discute pas la libéralisation du secteur, acquise depuis deux ans, ni même le changement de mode de calcul pour établir une nouvelle fiscalité, en phase avec les pays qui font aujourd’hui du tabac tout à la fois un enjeu de recettes fiscales et de santé publique. Mais l’opérateur historique Imperial Tobacco (ex-Altadis) en appelle à la sagesse du gouvernement. « Nous ne sommes pas contre une augmentation des taxes, souligne Jaime Gil Robles, directeur corporate et affaires générales, mais nous demandons à ce qu’elle s’opère dans la durée. »
Si les conditions d’une concurrence ouverte ont pu être remises en question par le Conseil de la concurrence (lire pages 14 à 18), Imperial Tobacco n’a pas attendu pour faire valoir le bien-fondé de ses positions. Ses arguments ne manquent pas de poids et sa capacité de conviction de lobbyiste réputé, à l’instar de tous les grands cigarettiers, a pu trouver des relais jusqu’au sein du Parlement.
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Un interlocuteur de poids
Avec quelque 11,4 milliards de dirhams versés au Trésor public l’an passé, sous forme de droits de douanes, d’impôts sur les sociétés et autres taxes (5% à lui seul du budget général du Maroc), Imperial Tobacco est naturellement un interlocuteur de poids. Cédée en deux temps, 2003 et 2006, au groupe Altadis pour la coquette somme de 18 milliards de dirhams, l’ex-Régie des tabacs appartient depuis quatre ans au groupe Imperial Tobacco. Sa filiale, Imperial Tobacco Maroc (ITM), est la sixième plus grande entreprise du Royaume, et leader du secteur agroalimentaire.
Deux usines de fabrication de cigarettes, quelque 3 000 planteurs affiliés auxquels elle fournit un rendement de 15 000 dirhams l’hectare chaque année, et l’assistance régulière de ses ingénieurs agronomes, ITM emploie directement 1 500 personnes, dont le salaire mensuel moyen brut, hors encadrement, s’élève à 16 500 dirhams. Au cours des cinq dernières années, ITM aura investi 380 millions de dirhams dans la modernisation de son outil industriel, permettant la fabrication de cigarettes jusqu’ici importées. Plus récemment, ITM a pu commencer l’exportation d’une partie de sa production, soit environ 230 tonnes de tabac traitées à Ain Harrouda, d’une valeur de 1,5 million de dollars, qui alimentent les usines du groupe en France. L’entreprise se targue également de contribuer à l’activité de quelque 400 petites et moyennes entreprises à travers le pays dans des secteurs aussi divers que la fournitures de produits et services, la communication, la logistique… Ses achats de biens (hors tabacs bruts) et services ont ainsi représenté 3,6 milliards de dirhams, alors que les revenus versés en commissions aux débitants se sont élevés à 937 millions de dirhams l’an passé.
Une position et autant de chiffres mis en avant par l’opérateur pour tenter de souligner le rôle joué par ITM sur le seul plan économique. Une position et une contribution qui pourraient, affirme sa direction, être mises en danger si les projets du gouvernement en matière de politique du tabac venaient à être mis en œuvre. Un moment mal choisi, estime Jaime Gil Robles, alors que le groupe s’apprête à préparer ses unités marocaines à concurrencer les autres usines du groupe, en améliorant leur productivité et leurs performances. « Notre projet est d’exporter les fabrications marocaines », affirme le directeur corporate. Pour ITM, la mise en place d’une nouvelle taxe spécifique, aux côtés de la taxe ad valorem, destinée à réaménager la fiscalité du tabac, n’est clairement pas la bienvenue.
Y.B. |
Une manne inépuisable
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Les produits du tabac sont les produits de consommation les plus fortement taxés dans le monde entier, avec un taux d’imposition approchant souvent les deux tiers du prix de vente au détail. A elles seules, les recettes fiscales liées au tabac s’élèvent à plus de 200 milliards de dollars chaque année.
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A quoi servent les recettes fiscales prélevées sur la vente du tabac ? Les droits d’accise et autres recettes fiscales permettent aux Etats de générer des revenus conséquents, qui alimentent les recettes des impôts indirects. Certaines mesures fiscales peuvent également servir à des objectifs de santé publique. En contribuant directement à la réduction de la consommation de tabac en raison de son coût dissuasif, ou en finançant des programmes de lutte contre le tabagisme.
Les Etats perçoivent trois types de taxes sur le tabac : la plus importante, le droit d’accise (taxe à la consommation), les droits de douane (sur les cigarettes importées) et la TVA. Certains pays, à l’instar de l’Australie (lire ci-dessous), de l’Afrique du Sud ou de la Norvège, prélèvent une taxe spécifique sur chaque cigarette. Dans d’autres pays, comme le Maroc, il s’agit d’une taxe « ad valorem », qui représente un pourcentage du prix. Il s’agit là d’un système de taxation qui a le mérite de la simplicité, puisque toutes les cigarettes sont soumises au même taux d’imposition (spécifique ou ad valorem). Il est toutefois de plus en plus remis en cause. Une remise en cause aujourd’hui partagée par le gouvernement marocain. De nombreux pays ont ainsi adopté des systèmes plus complexes dans leur élaboration. Les systèmes dits « à plusieurs niveaux » divisent les cigarettes en diverses catégories, chacune assujettie à un taux différent. Les systèmes « mixtes », qui combinent tout à la fois des dispositifs spécifiques et ad valorem, sont également en forte progression, notamment au sein de l’Union européenne, qui évolue vers ce système de taxation mixte. Ce vers quoi souhaite tendre le Maroc.
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Trouver le juste Ă©quilibre
Selon l’une des majors du tabac, les variations de structures d’imposition peuvent créer de grandes différences de prix sur les cigarettes au sein de chaque pays et d’un Etat à l’autre. Dans le cadre d’un système de taxe simple, par exemple, toutes les cigarettes rapportent le même montant de recettes fiscales. En revanche, avec un système ad valorem, les marques à bas prix reversent en principe moins de taxe que les cigarettes premium – de meilleure qualité et plus chères – ce qui renforce les écarts de prix. Si les experts en santé publique sont unanimes pour convenir que les dispositifs fiscaux, taxes et autres mesures tarifaires constituent un élément clé de toute politique de lutte contre le tabagisme, les grands cigarettiers continuent à contester ici et là des augmentations jugées « excessives ». Pour ces grands lobbyistes, les gouvernements devraient s’attacher à rechercher « le juste équilibre entre un niveau d’imposition qui leur permette de réaliser les objectifs qu’ils se sont fixés et une tarification qui ne rende pas les produits du tabac inabordables pour les fumeurs adultes ».
L’un des principaux arguments développés par les cigarettiers à l’égard des augmentations répétées des taxes sur le tabac est leur impact sur le développement des produits de contrebande. Imperial Tobacco n’y échappe pas, qui craint que toute nouvelle et brutale augmentation ne vienne favoriser la commercialisation des cigarettes de contrebande, déjà très présentes sur le marché marocain.
Y.B. |
L’Australie se démarque
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A partir du 1er décembre, les cigarettes en Australie seront vendues dans des paquets identiques pour toutes les marques. Avec des photos et des slogans choc.
Les ultimes recours déposés cet été par Philip Morris, British American Tobacco (BAT), Japan Tobacco International (JTI) et Imperial Tobacco devant la Haute cour de Sydney n’y auront rien fait. A partir du 1er décembre prochain, dans quelques jours, les cigarettes distribuées en Australie seront vendues dans des paquets au design et à la forme identiques pour toutes les marques. Une véritable révolution, saluée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et par les tenants de la lutte contre le tabagisme. Les emballages d’un vert sombre et couverts d’avertissements choc – « Fumer engendre des cancers de la bouche et du poumon » ; « Ne laissez pas vos enfants respirer votre fumée »… – porteront comme seul élément distinctif la marque et le nom du produit, imprimés avec les mêmes caractères.
Les fabricants de cigarettes ont eu beau dénoncer cette mesure en ce qu’elle violerait le droit de la propriété intellectuelle et que les paquets seraient plus aisés à copier par les contrefacteurs, rien n’y a fait. « C’est un tournant pour le contrôle du tabac dans le monde. Les gouvernements du monde entier surveillent étroitement ce qu’il se passe à ce sujet en Australie et certains pourraient désormais nous suivre », estime Nicola Roxon, la ministre de la Justice, qui évoque notamment le Canada, la Nouvelle-Zélande et plusieurs pays de l’Union européenne. Pour le gouvernement australien, engagé de longue date dans un combat volontariste contre le tabagisme, et qui privilégie la santé de ses concitoyens aux recettes fiscales, « le message envoyé au reste du monde est que l’industrie du tabac peut être vaincue ».
Les cigarettiers continuent, eux, de fustiger une « mauvaise loi ». BAT a déclaré qu’il allait respecter la « mauvaise loi », mais a averti que celle-ci allait entraîner une explosion du marché noir qui « bénéficiera seulement au crime organisé ». Quelque 15 000 Australiens meurent chaque année de maladies liées au tabac, ce qui pèse pour plus de 25 milliards d’euros dans les comptes sociaux du pays, soins et perte de compétitivité compris. La directrice de l’Organisation mondiale de la santé, Margaret Chan, veut voir dans cette initiative australienne une « décision historique ». Elle a estimé qu’avec « la victoire australienne (devant la Haute cour), la santé publique entre dans un nouveau monde courageux pour le contrôle du tabagisme ». Et d’en appeler le reste du monde à suivre cette politique sur le marketing du tabac.
Y.B. |
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