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Ex-prisonniers du Polisario : Voyage au bout de l’enfer
actuel n°159, jeudi 13 septembre 2012
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Nos anciens prisonniers de guerre ont résisté à des années de torture et de travaux forcés sous le soleil du désert et en sont revenus la tête haute. Une seule chose a réussi à les briser : l’ingratitude de la mère patrie.
Rien de plus édifiant que le traitement réservé par un pays et ses gouvernants à leurs propres soldats. Quand le soldat Shalit a été fait prisonnier, l’Etat hébreu, dans son ensemble, et ses hommes politiques se sont levés comme un seul homme pour exiger sa liberté. Et une fois libéré, le jeune militaire a été accueilli en héros. actuel est allé à la rencontre d’un groupe d’anciens militaires ayant participé à la guerre contre le Polisario. Pour faire entendre leur voix, ils comptabilisent plus de 170 jours de sit-in face au Parlement. Ils réclament une amélioration de leurs conditions matérielles. L’information paraît anodine dans un contexte social très tendu marqué par de nombreuses manifestations. Sauf que derrière les banderoles brandies devant le Parlement et à proximité du siège d’une banque mitoyenne à l’hémicycle, se cachent de véritables drames humains. Des drames qui, a priori, n’intéressent ni l’état-major des FAR, ni l’équipe Benkirane et encore moins les militants de l’AMDH. Ces héros sans gloire qui ont combattu, donné leur vie et leur jeunesse pour défendre l’intégrité territoriale, révèlent l’ampleur de leur déception une fois de retour à la mère patrie et l’ingratitude dont ils se disent victimes. Au manque de reconnaissance de l’Etat, s’ajoute l’indifférence quasi générale des citoyens. « Ils passent devant nous tous les jours, mais beaucoup ne savent pas qui nous sommes. Un jour, j’ai entendu une passante dire à son amie que nous sommes des ouvriers réclamant un travail journalier », confie, avec beaucoup d’amertume, Driss, un soldat deuxième classe, rescapé de l’enfer des geôles du Polisario.
En face de leur « campement », des estafettes de la police prêtes à intervenir au cas où un ordre d’évacuation viendrait à tomber. Car, visiblement, leur présence gêne les autorités de la ville. « Il y a un mois et demi, le pacha de la ville est venu et il a dit : “Débarrassez-moi cette merde”, raconte Abdellah Sammer, coordinateur des anciens prisonniers de guerre. L’un de nous est sorti de ses gonds en entendant ces mots et a tenté de se suicider en frappant sa tête contre le portail de la banque. Nous l’en avons dissuadé in extremis. » Heureusement, si leur présence agace les autorités, les habitants des immeubles environnants les accueillent, eux, avec sympathie. Et pour cause, avant que ces anciens militaires n’y tiennent leur sit-in, la petite ruelle située entre le Parlement et la gare Rabat-ville servait de planque à quelques clochards à l’abri des réverbères, au grand désarroi des habitants du quartier. Fini donc le temps des désagréments depuis le début de l’occupation des lieux par les militaires. « On fait attention au siège de la banque et à l’immeuble adjacent. Nous savons que nous sommes dans le collimateur. On peut envoyer n’importe quel voyou casser une vitre de la banque et trouver ainsi le prétexte idéal pour nous accuser, explique le caporal Jilali. Sept personnes montent la garde chaque nuit en compagnie d’un chef de poste et les autres tiennent le bâton. » Le soldat semble avoir gardé intacts ses réflexes du poste frontalier. D’ailleurs, la discipline militaire est omniprésente. Le déjeuner, le thé, le dîner, tout est chronométré. Même l’aménagement des lieux est net, bien que constitué de cartons et de vieilles couvertures. C’est une mini-caserne sans armes, avec, à l’entrée, un tableau évoquant le calvaire subi par ces militaires dans les prisons du Polisario et d’Algérie. « Après nos quatre-vingt-dix jours de sit-in, nous avons accroché ce tableau qui a permis aux passants de connaître notre cause », précise le soldat Driss.
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Indifférence, ingratitude et mépris
Toutefois, regarder ces photos n’est pas suffisant pour saisir le véritable drame de ces guerriers du désert, qui souffrent de l’image misérabiliste de soldats invalides quémandant l’augmentation de leur pension de retraite. « Nous avons chassé l’ennemi des territoires du Sahara et nous méritons une reconnaissance, clame le coordinateur des anciens prisonniers, Abdellah Sammer. Au lieu de cela, nous sommes traités comme des brebis galeuses. » Ses propos remuent le couteau dans la plaie et d’autres soldats deviennent subitement volubiles ; ils se mettent tous à dénoncer leur situation en même temps. « Nous avons combattu pour le Sahara, alors que d’autres ont obtenu des agréments. Nous ne les envions pas, mais nous voulons nos droits », lance un autre militaire parmi ceux qui se sont agglutinés autour de nous, dès qu’ils ont su que nous étions des journalistes venus enquêter sur leur situation.
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Pas de témoignage SVP
Paradoxalement, leur volubilité cesse dès qu’il leur est demandé de témoigner du calvaire vécu entre les mains du Polisario. Ils ont peur de raconter. Peur de leurs propres souvenirs tant les blessures sont profondes et béantes. Mais Mahjoub tente quand même de parler. Il balbutie quelques phrases. Très rapidement, ses yeux s’embuent et un camarade l’interrompt : « S’il raconte, personne ne va dormir ce soir. » Mais il y a une autre explication à cette réticence. Totalement solidaires entre eux, ils considèrent qu’ils sont tous une seule et même personne. « Le calvaire de l’un d’entre nous est celui de tous. Et pour vous raconter 25 ans de prison, ils me faut 25 ans encore avec vous », tente de justifier Sammer.
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Pas pour moi… mais pour mes enfants !
Retour donc au présent. Leurs revendications sont claires : une réparation matérielle, une réhabilitation morale (la proclamation d’une journée des prisonniers de guerre) et un logement décent pour eux et leurs enfants. Ils étaient 2 400 prisonniers au total, 2 000 sont encore en vie. Question : l’Etat ne peut-il pas régler la situation de 2 000 de ses soldats qui se sont sacrifiés pour le drapeau ? Officiellement, la réponse est oui. L’année dernière, après un sit-in qui avait duré 67 jours, les autorités de la capitale les avaient convaincus de cesser leur rassemblement en échange de promesses consignées dans un procès-verbal ratifié par l’ancien gouverneur, Mohamed Regraga, les prisonniers et le directeur d’Al Omrane. Ce PV est resté lettre morte malgré les promesses du président du CNDH, Driss El Yazami, qui avait assisté à la signature et promis aux anciens prisonniers un déblocage imminent de leur situation. Sauf que plus d’un an plus tard, rien n’est fait ! Ils continuent à percevoir de maigres pensions – aucune des retraites ne dépasserait 1 700 dirhams – et se disent scandalisés par les récents propos du secrétaire d’Etat à la Défense, Abdellatif Loudiyi. Celui-ci aurait affirmé, devant les parlementaires, qu’un ancien soldat « perçoit 5 300 dirhams, soit l’équivalent du salaire d’un officier au grade de capitaine, et qu’un officier reçoit actuellement une retraite de 14 000 dirhams, l’équivalent de la pension d’un colonel ». Abdellah Sammer ne dément pas les propos du ministre, mais affirme que le ministre « joue avec les mots », preuve à l’appui. Si ces anciens militaires touchent réellement entre 5 000 et 6 000 dirhams, ces revenus ne sont pas constitués uniquement de leurs pensions de retraite, comme l’a évoqué le ministre. Leur salaire est composé de deux parties : pension de retraite et pension d’invalidité. La première étant souvent très modique, la pension d’invalidité permet de gonfler le virement mensuel. Mais la pension d’invalidité n’est pas transmissible aux ayants droit. « Nous avons déjà perdu nos vies. Nous ne voulons pas que nos proches gâchent les leurs. Croyez-vous qu’ils puissent vivre décemment avec 600 dirhams par mois ? », s’indigne l’un des militaires. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la pension d’invalidité n’est pas réservée aux seuls prisonniers de guerre. « Un soldat qui a eu un accident de travail à Rabat peut toucher cette indemnité. Nous, nous avons fait la guerre et vécu les affres de la détention durant des décennies. C’est injuste », précise le soldat deuxième classe, Driss.
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Le scandale des livrets militaires
Très remontés contre les hauts responsables, ces militaires tiennent, toutefois, à remercier les députés du PJD. Ce sont eux qui portent leur cause au Parlement en posant des questions orales les concernant. Mais à ce jour, aucun officiel ne les a reçus pour écouter leurs doléances. Hormis les autorités locales de Rabat, « dans le seul but, bien entendu, de nous convaincre de lever notre sit-in ». Abdellatif Loudiyi ne leur parle pas non plus. Ils le voient au Parlement répondre aux questions des députés. Quant aux gradés de l’état-major, disent-ils, c’est silence radio depuis leur retour au Maroc. Pourquoi donc ?
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« Ce serait reconnaître le Polisario comme un Etat »
A force d’être confrontés à l’inertie des autorités, les anciens captifs se sont fait leur petite idée. « A l’époque où nous étions prisonniers et avant le cessez-le-feu de 1991, le Maroc ne nous reconnaissait pas. Car revendiquer ses prisonniers au Polisario équivalait à reconnaître ce dernier comme Etat », croit savoir un sous-officier du groupe. Ces propos sont étayés par une preuve de taille : le livret militaire (voir photo ci-contre). Ce document que possède chaque soldat contient une sorte de CV individuel, depuis la date d’enrôlement jusqu’à celle de la retraite. En consultant leurs livrets, stupeur générale ! Pendant que nos militaires étaient en prison, leurs livrets faisaient état d’une série de mutations dans tout le Maroc ! « C’est une grosse supercherie. On a tout fait pour ne pas nous reconnaître », dénoncent-ils à l’unisson. Fait étonnant, ces livrets n’ont fait l’objet d’aucune mise à jour, bien que le Maroc reconnaisse aujourd’hui ces prisonniers, ou presque.
En effet, à leur libération, les soldats ont reçu une attestation de captivité mentionnant la date d’arrestation et celle de remise en liberté. Mais ce document officiel définit ces soldats comme étant des « rapatriés ». C’est un peu comme s’ils s’étaient égarés dans le Sahara et étaient revenus après vingt ans ! Les seuls documents officiels qui définissent expressément ces soldats comme étant prisonniers de guerre sont le PV signé par les autorités locales de Rabat (à la demande des anciens prisonniers) et la carte de la Fondation Hassan II pour les œuvres sociales. Même dans ses discours devant le Parlement, Loudiyi a évoqué ces prisonniers en utilisant l’expression « ces gens-là  ». C’est, au mieux, un imbroglio juridique. Au pire, un mensonge d’Etat.
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« Pourquoi pas nous ? »
La récente publication de la liste des agréments a amplifié la souffrance de ces militaires. « D’anciens chanteurs, sportifs, responsables, voire même tortionnaires en ont bénéficié et pas nous », s’indigne Sammer. Mais il y a un autre parallèle, plus intéressant à établir : comment se fait-il que d’anciens prisonniers politiques aient obtenu réparation des dommages subis, allant jusqu’à publier des best-sellers qui ont inspiré des films, et pas ces soldats ? Le deuxième classe Lahcen a la réponse. « La libération des prisonniers politiques a eu lieu avec l’arrivée de l’USFP au pouvoir. Ces derniers ont régularisé la situation de leurs camarades. Nous, nous n’avons personne », explique-t-il presque naïvement. Pourtant, ils ont fait l’effort de vulgariser leur cause. Un livre est même paru en 2000, relatant leur souffrance mais il n’a pas eu l’écho qu’il méritait (voir encadré). Ces malheureux militaires n’ont pas eu, non plus, l’occasion de bénéficier du soutien des organisations internationales. « On nous a souvent dit que c’était un problème interne, entre nous et notre état-major », se désole le soldat Lahcen. Au final, la seule récompense qu’ils auront reçue à ce jour demeure une « prime » encaissée à leur libération. Certains ont perçu 5 000 dirhams, d’autres, plus chanceux, ont obtenu une centaine de milliers de dirhams. Comme Mohamed qui, après dix-neuf ans de prison, a touché 120 000 dirhams. « J’ai dépensé 70 000 dirhams pour accueillir les invités venus fêter mon retour », ironise-t-il. A la fois drôle et affligeant…
Ali Hassan Eddehbi |
« Une olive pour quatre prisonniers »
Caporal Mimoune Rheddou
4e bataillon des parachutistes,
originaire d’Oujda
Détenu du 14/10/1977 jusqu’à 1987
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Mon pire souvenir a été la faim. Je l’ai vraiment vécue à la prison de Boughaz. Nous étions maltraités. Une fois, on nous a livré environ 400 poulets à nettoyer et à préparer. J’étais content en croyant naïvement qu’on allait en manger. En réalité, on nous a bien servi du poulet, mais nous devions nous contenter… des têtes ! Je me rappelle aussi d’un jour où ils nous ont mis du poison dans la nourriture. En fait, je ne suis pas sûr que leur objectif était de nous empoisonner. C’était peut-être juste de la nourriture avariée… En tout cas, tous les prisonniers sont tombés malades. On vomissait, et certains d’entre nous régurgitaient du sang. Dans la prison de Boughaz, sur les 571 prisonniers, 29 sont morts à cause des maladies, de la torture et de la faim.
Après Boughaz, on m’a emmené à la prison de Djelfa. Ce n’était guère mieux. Les rations se faisaient encore plus rares. Le repas consistait en une poignée de macaronis ou de lentilles, exclusivement. Chaque quinzaine, ils nous servaient de la viande : 250 grammes de viande de bœuf pour 18 personnes ! On avait droit à des olives aussi. Mais il y en avait tellement peu que 4 prisonniers se partageaient une seule olive ! Le soir, on nous donnait un seau pour faire nos besoins. Soixante-treize prisonniers devaient se partager ce récipient d’une contenance de 20 litres.
Quand le calvaire de la prison s’est enfin terminé, je croyais que les choses allaient s’arranger après mon retour à la patrie. Il n’en fut rien. Je suis sorti de la petite prison pour une prison plus grande encore. On m’a emmené à la base de Benguerir pour de longs interrogatoires, nuit et jour. Ils devaient s’assurer que je n’étais pas un espion ou un vendu. Ça, je peux le comprendre, mais c’était très dur et ça a duré des semaines. J’ai failli perdre la tête. Et quand tout cela a pris fin, on m’a donné 5 000 dirhams puis je percevais 550 dirhams de retraite mensuelle. Avec ces maigres ressources, il fallait affronter la famille qui croyait que je revenais avec des sacs d’argent. J’ai dû travailler comme ouvrier maçon pour 20 dirhams par jour. J’ai fait cela neuf ans. Aujourd’hui, je suis marié et mon fils aîné n’a que 4 ans, malgré mon âge avancé.
Z.C.
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« C’était vraiment atroce »
Adjudant Ali Bouchikhi
DĂ©tenu du 14/10/81 au 8/11/2003
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J’ai essayé de fuir à trois reprises à partir des camps de Nkhila. C’est une région algérienne proche des frontières avec le Maroc. J’ai attendu une tempête de sable pour qu’ils ne retrouvent pas mes traces. Mon objectif : atteindre le mur de sécurité. Je m’orientais grâce au soleil. Après quatre heures de marche dans le désert, j’ai été arrêté par l’ennemi et reconduit au camp. On m’a alors attaché les mains et les pieds au sol. Puis ils ont ordonné aux prisonniers, au nombre de 300, de me marcher sur le corps. Quand ils ont refusé, ils les ont tous frappés. C’était vraiment atroce, bien pire que ce que j’avais moi-même subi.
Z.C. |
Torture, mode d’emploi
Florilège de supplices subis par nos soldats prisonniers, tels qu’ils les ont vécus dans les geôles de Mohamed Abdelaziz.
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Les prises de sang
C’est la plus « douce » de toutes les méthodes. Pour soigner les blessés, les femmes enceintes ou simplement pour alimenter sa banque de sang, le Polisario recourt à des dizaines de prises de sang sur les prisonniers, à intervalles réduits. « Ils prennent de grosses quantités de sang alors que nous sommes censés travailler le lendemain, raconte un ancien prisonnier. Les plus malheureux sont ceux qui possèdent le rhésus O+, compatible avec les autres groupes sanguins. Du coup, on leur prélève beaucoup de sang, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. »
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Le mouton
Le prisonnier est attaché par les pieds et accroché, tête en bas, tel un mouton, pendant plusieurs jours. De nombreux anciens prisonniers portent encore les marques du ligotage, dix, voire quinze ans plus tard ! Après plusieurs jours dans cette posture inhumaine, le prisonnier est immobilisé sur une chaise pour une longue durée. Il ne peut ni se lever ni s’allonger et encore moins dormir. Au bout d’une semaine, il entre en état d’hystérie.
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La douche froide
Le prisonnier est laissé toute une journée sous un soleil de plomb puis il est arrosé d’un saut d’eau glacée. « Il faut l’avoir vécu pour comprendre », nous explique l’un de ces anciens prisonniers. Variante, les détenus sont jetés nus, en pleine nuit, dans le désert, exposés à des températures pouvant atteindre parfois moins huit degrés.
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Le câble
En début de journée, ceux qui ne peuvent pas aller travailler sont frappés avec des câbles électriques. Des câbles constitués par des fils de fer dénudés. Les coups sont portés sur le visage ou sur les reins. « Il est arrivé qu’un fil de fer touche l’œil d’un détenu le lui arrachant sur-le-champ », se souvient un ancien prisonnier encore choqué par la scène. Plusieurs d’entre eux ont eu les reins percés à cause de ces câbles mis à nu.
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Le baril
Sans aucune raison, un prisonnier peut se retrouver pendant plusieurs mois dans un baril ! Pour que la victime ne le fasse pas tomber, l’« habitacle » est lesté par une très lourde pierre. Le prisonnier a droit à une seule sortie quotidienne pour faire ses besoins. Et pendant qu’il est dans le tonneau, les geôliers tapent dessus avec des bâtons. On peut à peine imaginer ce que l’on ressent à l’intérieur…
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Les barres de fer et le conteneur
C’est ce qu’a subi récemment Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud. Le prisonnier est enfermé dans un conteneur de fer, sous un soleil de plomb. La température, qui tourne déjà autour de cinquante degrés à l’extérieur, peut doubler sous la tôle. Le pire, c’est quand la tête du prisonnier est enserrée entre deux barres de fer et que le tortionnaire tape sur les barres. « J’avais l’impression que l’on frappait directement mon cerveau avec un marteau », nous explique, troublé, un ancien prisonnier ayant subi cette torture qui semble remonter au Moyen-âge. |
Le pire se passe en Algérie
2e classe Yadoune Mohamed
Né à Taza. Age : 59 ans
DĂ©tenu de 1979 Ă 2000
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Les histoires des prisonniers de guerre peuvent paraître similaires. Mais aucune ne ressemble à celle des 400 Marocains détenus près de la capitale algérienne. Le voisin de l’Est a fait subir le martyre à nos soldats.
Deux balles m’ont touché sur le champ de bataille. J’ai perdu connaissance pendant trois jours en plein milieu du désert. C’est un médecin cubain, engagé avec les mercenaires, qui m’a retrouvé. Je préférais mourir que tomber entre les mains de l’ennemi… Comme tous les autres prisonniers de guerre, ils m’ont emmené au fameux camp Rabouni. J’ai subi interrogatoires et tortures pendant plusieurs semaines. J’y ai passé la plus longue période, comparé aux autres prisonniers. Un an et demi. En 1981, ils nous ont embarqués en direction du centre Blida en Algérie. Nous y avons passé deux nuits dans une cave qui était une ancienne prison française. Le troisième jour, ils sont venus nous menotter et nous ont mis des sacs sur la tête, puis chargés dans un camion en direction de la prison Boughare. Celle-ci se trouvait à 149 kilomètres de la capitale, Alger. Nous étions environ 400 captifs sur place. Comparé aux autres prisonniers, à Tindouf ou aux frontières maliennes et sénégalaises, nous avons souffert beaucoup plus. Eux, au moins, avaient la possibilité de bouger et de voir la lumière du jour, même si c’était pour exécuter des travaux forcés ! Nous, nous étions enfermés dans des cellules exiguës et ne sortions jamais.
On nous servait uniquement des pâtes cuites dans l’eau salée. Et exceptionnellement des haricots blancs dans lesquels il nous est arrivé de trouver des queues de rats. Il fallait supporter les morsures des puces et parfois même celles des scorpions. Enfermés, nous étions souvent victimes de maladies contagieuses… Un jour, les militaires algériens ont arboré des habits sahraouis et planté le drapeau de la pseudo « RASD » pour tourner une vidéo faisant croire que nous étions dans les camps du Polisario. Nous avons refusé de jouer le jeu, malgré la torture. Face à notre résistance, ils ont dû faire appel au général Khalid Nezzar qui, devant nous, a lâché aux officiers déguisés : « Il est impossible d’avoir un Etat au sein d’un autre Etat » ! En réalité, l’Algérie nous avait détenus dans un but politique n’ayant rien à voir avec le Polisario. Elle nous avait pris en otage pour nous échanger contre d’éventuels soldats algériens détenus au Maroc. Quand ils se sont rendu compte qu’ils n’avaient plus besoin de nous, ils nous ont servi un couscous empoisonné. L’écrasante majorité des 400 soldats prisonniers a disparu. Seuls sont restés en vie ceux qui n’avaient pas mangé de ce couscous. Mon calvaire a duré dix-neuf ans et malgré cela, je serais encore prêt à me battre pour ma patrie.
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« J’étais fier de ma petite revanche »
J’étais détenu à Béchar, à 600 km de Tindouf. C’était une prison bâtie par les Français du temps de la colonisation, où les résistants Algériens étaient torturés. Elle servait de bagne pour les Marocains arrêtés par le Polisario et était supervisée par des Algériens. Le premier jour de mon arrestation, ils voulaient connaître l’emplacement des mines. Je leur ai donné un tracé totalement faux. Quand ils s’en sont rendu compte, ils sont venus me tabasser. Ils étaient furieux. Ma punition était de passer trois mois en cellule d’isolement. Je ne voyais pas le soleil et je sentais l’odeur nauséabonde des canalisations à longueur de journée. Je n’avais pas de contact avec les humains. La seule chose qui cassait la monotonie, c’était le bruit de l’assiette de nourriture qu’ils me glissaient sous la porte. J’aurais mille fois préféré être frappé continuellement que de passer tout ce temps en isolement. Le jour de ma sortie, un capitaine algérien est venu me voir. Il m’a dit : « De quelle région viens-tu ? ». Je lui ai répondu que j’étais du Moyen Atlas. Il m’a rétorqué : « Tu es donc chleuh, comme moi, je suis de Kabylie ! » Je lui ai répondu : « Non, je suis amazigh ! » Il a ordonné que l’on me lave. On m’a rasé la tête. Je voyais les puces se balader sur ma chevelure crasseuse au sol. Mes vêtements collaient à la peau. Il a fallu les brûler, tellement ils étaient crasseux. On m’a donné à manger, puis j’avais le choix entre un treillis militaire ou des habits civils. J’ai choisi les habits de ville, car je sentais le piège. Une fois remis en état, l’officier algérien est venu me voir et m’a demandé si j’avais bien mangé. J’ai acquiescé. Ensuite il s’est emporté : « Vous avez fait du mal au peuple sahraoui, tu t’en rends compte ? » Je lui ai répondu : « Le sang des martyrs marocains a coulé aux côtés de celui des Algériens pour libérer votre terre, et c’est comme cela que vous nous remerciez ? ». L’officier s’est emporté. Il m’a chassé puis il a exigé que je me représente devant lui. Il fumait une cigarette, sûrement pour décolérer. Il m’a alors intimé l’ordre de ne plus répéter cela, sinon, j’allais mourir. J’étais fier de ma petite revanche.
Z.C
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RĂ©da Benkhaldoun
« La porte du dialogue est fermée! »
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La seule fois où le secrétaire d’Etat à la Défense, Abdellatif Loudiyi, s’est exprimé publiquement au sujet des anciens prisonniers du Polisario, c’était pour répondre à Réda Benkhaldoun. Si les autres formations politiques se solidarisent avec ces soldats, seul le groupe PJD entreprend des démarches concrètes dans ce sens. Au fait des tenants et aboutissants, ce député est certain que le dossier ne sera pas réglé sans un « arbitrage royal ».
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Où en est aujourd’hui la situation du dossier des anciens prisonniers du Polisario ?
Réda Benkhaldoun : Nous suivons ce dossier depuis le précédent gouvernement. Mais le problème remonte à longtemps. Pendant les années 80, les premiers groupes d’anciens du Polisario sont arrivés au Maroc. Ils ont été accueillis très froidement. A l’époque, ils étaient considérés comme des traitres. La propagande voulait faire croire qu’ils avaient été complices avec l’ennemi qui les avait utilisés dans ses propres médias. L’on disait même que certains soldats s’étaient rendus à l’ennemi sans combattre. Parfois, la raison d’Etat va à l’encontre des considérations humanitaires…
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Cette propagande a disparu il y a bien longtemps. Pourquoi ces soldats sont-ils toujours aussi mal lotis ?
C’est vrai que cette propagande a cessé. En outre, dans le début des années 2000, les soldats ont constitué une association pour défendre leurs revendications et ils se sont même exprimés au Conseil des droits de l’homme à Genève. Cela a contribué à faire entendre leur voix à l’international et à faire bouger ce dossier jusqu’alors au frigo. Nous avons par la suite interpellé l’administration de la Défense à leur sujet et nous avons compris que la porte du dialogue est actuellement fermée.
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Qu’est-ce qui vous fait dire que cette porte est fermée ?
L’administration de la Défense affirme qu’elle a fait tout le nécessaire les concernant. Aux yeux du département de la Défense, ces soldats sont comme tous les autres membres des FAR. L’administration dit qu’elle ne peut pas violer la loi en leur octroyant des avantages particuliers.
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Quelle est cette loi à ne pas violer ?
Il s’agit de l’article 54 du Dahir de 1958, relatif aux Forces armées royales. Cet article dit, en substance, que le soldat ne bénéficie pas de l’avancement pendant sa durée de captivité, parce qu’il n’est pas en mission. Sauf que les victimes, et moi-même, pensons que ce texte est caduc. Le législateur n’imaginait pas à l’époque que des militaires allaient être captifs pendant un quart de siècle ! Et puis, nombre de lois ont été amendées pour s’adapter à notre époque, pourquoi pas ce texte ? Je suis pour une proposition de loi dans ce sens, ou bien pour un projet de loi élaboré par le gouvernement. Ces soldats viennent, d’ailleurs, d’adresser une lettre au chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, pour intervenir en leur faveur. Un projet de loi dans ce sens serait le bienvenu.
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Mis à part l’avancement gelé, ils ont d’autres revendications matérielles et morales. Comment pourraient-elles être satisfaites ?
Les ex-prisonniers ont également demandé des logements, ce que l’administration de la Défense a refusé puisqu’elle les considère comme les autres soldats, et qu’ils doivent faire la queue avec les autres militaires pour en bénéficier. Maintenant, s’agissant des revendications morales (telle la proclamation d’une journée nationale du prisonnier de guerre, ndlr), il faut une volonté politique. Comme je viens de vous le dire, ces soldats ont été victimes d’une propagande très hostile. Il y a un certain esprit militaire qui considère que le soldat ne doit pas se faire capturer. Et quand il est fait prisonnier, il est considéré comme ayant failli à sa mission. C’est très mauvais pour l’image de notre pays, mais aussi pour le moral de nos soldats qui se diront que leur armée ne les respecte pas.
A présent que l’administration de la Défense est hermétique au dialogue, reste-t-il une issue pour ces victimes ?
Seule une intervention de Sa Majesté le roi pourra régler les choses. Autrement, ce problème est insoluble. Je sollicite l’intervention du roi, pas forcément en sa qualité de chef suprême des forces armées, mais surtout en sa qualité d’arbitre et de protecteur des droits des citoyens.
Propos recueillis par Ali Hassan Eddehbi
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Sahara
Rapport controversé de la Fondation Kennedy
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La fille de Robert Kennedy est arrivée au Sahara avec l’objectif affiché de faire la lumière sur la situation dans le territoire sous contrôle marocain et à Tindouf. Le rapport préliminaire n’est pas tendre avec le Royaume.
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La visite de la délégation de la Fondation Robert Kennedy au Sahara a fait couler beaucoup d’encre. Accusée de partialité par les Marocains, critiquée pour sa visite éclair à Tindouf, Kerry Kennedy n’a pas encore rendu publiques ses conclusions, mais le rapport préliminaire donne un avant-goût inquiétant. Après son séjour au Sahara à la fin du mois d’août, la délégation du « Robert F. Kennedy Center for Justice and Human Rights », une fondation américaine présidée par la fille de Robert Kennedy, a rapidement conclu que « les droits de l’homme n’étaient pas respectés par le Maroc au Sahara ». Ce qui caractérise les conclusions de Kerry, ce n’est pas sa propre perception de la réalité, ni même la certitude de l’existence d’une guerre sourde entre le Polisario et le Royaume mais le fait qu’elle se sente investie d’un devoir : celui de faire apparaître à tout prix la violence exercée par les services marocains sur les Sahraouis dans le sud du pays. « L’omniprésence des forces de sécurité, les violations du droit à la vie, à la liberté, à l’intégrité physique, à la liberté d’expression, de réunion et d’association, créent un climat de terreur et d’intimidation en violation de la loi et du respect des droits humains », note le rapport.
Vouloir coûte que coûte rendre compte de « la réalité d’un conflit entre le bien et le mal » fait perdre, en grande partie, sa valeur à ce diagnostic. En effet, en s’alignant sur les thèses de Aminatou Haïdar et des pro-polisariens qui l’accompagnent, la délégation américaine n’a pas pu se rendre compte que la population située dans la partie du Sahara sous juridiction marocaine est constituée aujourd’hui de très peu de Sahraouis. La majorité de cette population vient du nord du pays alors que beaucoup de Sahraouis, séduits par des propositions alléchantes, occupent aujourd’hui des postes de responsabilité à Rabat ou ailleurs dans le centre du Royaume. L’allusion à « une exploitation sans retenue des richesses du Sahara » est également malvenue et témoigne d’une méconnaissance du dossier. Le plus simple aurait été de comparer les milliards de dirhams que le Maroc a dépensés au Sahara aux quelques millions de dirhams de recettes qui bénéficient essentiellement à certains notables de la région, dont notamment d’anciennes figures du Polisario.
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A peine quelques Ă©volutions
Concernant la visite dans les camps de Tindouf, le rapport préliminaire évoque bien « les conditions de vie [qui] ne sont plus acceptables et affectent gravement les vies de plus de 100 000 réfugiés », mais s’abstient de donner la parole aux voix dissidentes comme il l’a fait dans les territoires sous contrôle marocain. Il s’agit notamment d’activistes sahraouis, dissidents et autres militants du mouvement du 5 mars, qui avaient été arrêtés la veille de la visite de Kerry et expédiés vers le nord-est algérien. Alors que la délégation devait rester plus de trois jours dans la région, les membres de la délégation américaine ne se sont pas interrogés sur l’annulation de l’étape Rabouni, fief de l’opposition à Mohamed Abdelaziz, prévue dans le programme initial de la visite.
Dans son rapport préliminaire, la Fondation Kennedy note néanmoins quelques évolutions positives depuis son précédent séjour dans le Royaume, en 2011, telle l’adoption d’une nouvelle Constitution au Maroc, garantissant entre autres une plus grande liberté d’expression. Elle se félicite aussi du rôle du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) dont elle a rencontré les dirigeants, lors de son passage à Rabat. Une question demeure : pourquoi le gouvernement, si prompt à dénoncer « la partialité de Kerry Kennedy », n’a-t-il pas jugé utile de lui présenter les victimes atrocement mutilées par le Polisario, en sit-in à quelques pas du CNDH ?
Abdellatif El Azizi. |
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