De nombreux Marocains, arrivĂ©s trĂšs jeunes en France, se font expulser. Perdus dans un pays quâils ne reconnaissent plus, ils sont livrĂ©s Ă eux-mĂȘmes. TĂ©moignages.
Oh la la la la, jâai envie de pleurer, je suis trop contente, je suis folle de joie ! Je sauterai dans le premier avion Ă destination de la France », se fĂ©licite Najlae. Cette lycĂ©enne, battue par son frĂšre en France et expulsĂ©e au Maroc, a Ă©tĂ© autorisĂ©e Ă revenir grĂące Ă un « geste humanitaire » du prĂ©sident Nicolas Sarkozy, le 8 mars dernier. InterrogĂ© sur LCI, Eric Besson, ministre de lâImmigration, de lâIntĂ©gration, de lâIdentitĂ© nationale et du DĂ©veloppement solidaire a dĂ©clarĂ©: « La loi ne disait pas quâelle pouvait rester en France, et câest Ă bon droit que le prĂ©fet lâavait Ă©loignĂ©e ».
En 2009, la France a expulsĂ© 29 000 Ă©trangers en situation irrĂ©guliĂšre. 2 000 de plus que les objectifs ïŹxĂ©s par Nicolas Sarkozy. Ă cause du durcissement de la lĂ©gislation anti-immigration, ces quotas nâont cessĂ© de croĂźtre dâannĂ©e en annĂ©e (la reconduction Ă la frontiĂšre a concernĂ© 25 000 personnes en 2006 et 2007, puis 26 000 en 2008). Parmi ces expulsĂ©s, de nombreux jeunes Ă peine majeurs qui ont passĂ© toute leur adolescence dans lâHexagone. Ils se retrouvent au Maroc sans repĂšres, sans famille, sans argent et parfois sans maĂźtrise de la langue. « Ils sont tous arrivĂ©s en France lĂ©galement, la plupart du temps grĂące Ă un tuteur, vers lâĂąge de 13 ans. Ă leur majoritĂ©, ils sombrent soudainement dans lâillĂ©galitĂ© car on leur refuse un titre de sĂ©jour, ou quâon ne reconnaĂźt pas la Kafala marocaine », explique Lucille Daumas, membre de la section marocaine de RESF (RĂ©seau Ă©ducation sans frontiĂšres), une association crĂ©Ă©e en 2006 par des enseignants du LycĂ©e Descartes de Rabat, devant la multiplication des cas de jeunes expulsĂ©s. Cette ONG est le pendant marocain de RESF France, un collectif crĂ©Ă© spontanĂ©ment par des parents dâĂ©lĂšve et des professeurs qui ont vu soudainement leur Ă©lĂšves ou leurs camarades disparaĂźtre. Pour ces jeunes, câest le seul recours.
Selon la lĂ©gislation française, tout Ă©tranger arrivĂ© en France aprĂšs lâĂąge de 13 ans, ayant des « parents connus » au Maroc peut ĂȘtre expulsĂ© Ă sa majoritĂ©. Parfois ces jeunes sont renvoyĂ©s alors quâils sont en cours de scolaritĂ© (le cas de Alae-eddine), en stage (Salima) et mĂȘme en ayant un cursus scolaire modĂšle (Djihad Errais). Combien sont-ils ? « DifïŹcile Ă dire. Ă RESF Maroc, nous en avons rĂ©pertoriĂ© une vingtaine depuis deux ans. Ce sont les cas que nous a signalĂ©s RESF France. Nous savons que ce nâest quâune inïŹme partie des arrivĂ©es », se dĂ©sole Lucille Daumas.
Certains nâont mĂȘme pas la chance dâentrer en contact avec lâONG. Pire, la cadence des expulsions sâaccĂ©lĂšre. En fĂ©vrier, RESF Maroc en a rĂ©pertoriĂ© cinq. En plus du mauvais traitement reçu en France, ils sont trĂšs mal accueillis au Maroc. Ce qui ne devait ĂȘtre quâun contrĂŽle dâidentitĂ© se transforme en interrogatoire et en garde Ă vue qui peut durer des heures.
Drames familiaux
« La responsabilitĂ© incombe dâabord Ă la France, puis aux autoritĂ©s marocaines qui ne facilitent pas le retour et la rĂ©insertion de ces jeunes. Ni le consul ni personne dâautre nâest, par exemple, venu voir Hassan (voir tĂ©moignage, page 20) Ă son arrivĂ© Ă Oujda », explique Hicham Baraka, prĂ©sident de lâAssociation Beni Znassen pour la culture, le dĂ©veloppement et la solidaritĂ© (ABCDS) qui avait recueilli le jeune Hassan un peu par hasard.
Une fois dĂ©barquĂ©s, ces jeunes sont lĂąchĂ©s dans la nature. Un drame familial, oĂč tout simplement la pauvretĂ© de leurs parents, les empĂȘchent dâavoir recours Ă leurs proches au Maroc. Djihad Errais est un de ces cas extrĂȘmes ; et le plus ancien rĂ©pertoriĂ©. ElĂšve modĂšle, dĂ©lĂ©guĂ© de sa classe, il avait dĂ©crochĂ© une place dans le meilleur lycĂ©e hĂŽtelier de Paris. ArrivĂ© Ă 14 ans en France, il sera expulsĂ© le 19 mai 2007 parce quâil lui « manquait un certiïŹcat dâĂ©tudes sur son dossier administratif ». Aujourdâhui, il habite Ă Ouarzazate avec son pĂšre, vendeur de lĂ©gumes. « Je suis perdu. La France mâa appris plein de choses mais a gĂąchĂ© ma vie. Il nây a plus rien Ă faire », tĂ©moigne Djihad. «La rĂ©insertion de ces jeunes est impossible au Maroc. La solution Ă ce problĂšme ne peut venir que de la France », conclut, rĂ©voltĂ©e, Lucille Daumas.
Zakaria Choukrallah
Najlae Lhimer, 19 ans, expulsée le 20 février 2010
« Je suis arrivée au Maroc, larguée et sans le sou »
Mardi 9 mars, Siham Habchi, la prĂ©sidente de « Ni putes ni soumises » annonçait enïŹn Ă Najlae que le prĂ©sident français avait ordonnĂ© que lâon rĂ©gularise sa situation. Vivant en France depuis septembre 2005, Najlae avait quittĂ© Oujda pour Ă©chapper Ă un mariage forcĂ©. « Je nâavais que 14 ans et mon pĂšre parlait dĂ©jĂ de me faire arrĂȘter lâĂ©cole pour pouvoir me marier. Lors dâun sĂ©jour chez mon frĂšre et sa femme, ils mâont demandĂ© si je voulais rester vivre avec eux. Mes parents ont acceptĂ©. Au dĂ©but tout se passait trĂšs bien, mais dĂšs que mon frĂšre a divorcĂ©, il a commencĂ© Ă me battre. La veille de mon expulsion, il mâavait tellement frappĂ©e que jâai perdu connaissance. CâĂ©tait pour une banale histoire de cigarette. Le lendemain, il sâest mĂȘme mis Ă me menacer de mort en prĂ©textant avoir entendu des ragots sur mon compte. Il disait quâavant cela, il allait me dĂ©ïŹgurer pour ĂȘtre sĂ»r que plus personne ne parlerait de moi dans le quartier. »
Battue pour la Ă©niĂšme fois et couverte de bleus, Najlae dĂ©cide de se rĂ©fugier chez lâune de ses amies, et de porter plainte. Bizarrement on lui demande de se prĂ©senter au poste une deuxiĂšme fois : « Jây suis retournĂ©e lâaprĂšs midi comme convenu et câest lĂ que lâon mâa dit que je devais ĂȘtre placĂ©e en garde Ă vue pour sĂ©jour illĂ©gal. Jâai tentĂ© de leur expliquer quâon venait de lancer un recours au niveau de la prĂ©fecture pour rĂ©gler ma situation, mais rien Ă faire. On mâa conduite dans une cellule Ă Montargis oĂč jâai passĂ© la nuit et le lendemain on mâa escortĂ©e Ă lâaĂ©roport. Je suis arrivĂ©e au Maroc samedi matin, complĂštement larguĂ©e et sans le sou. Un gendarme mây attendait pour mâemmener au commissariat du MaĂąrif. JâĂ©tais dans une cellule pleine de monde. Les autres dĂ©tenus ont commencĂ© Ă mâembĂȘter. Jâavais vraiment trĂšs peur. Les policiers eux-mĂȘmes ont commencĂ© Ă me railler. Lâun dâeux leur a expliquĂ© que je me prenais pour le centre du monde parce quâil y avait plein de Français derriĂšre moi. Un autre mâa dit que lui mĂȘme avait ouvert lâarcade sourciliĂšre de sa sĆur parce quâelle ne voulait pas se marier et quâelle avait ïŹni par ïŹler doux. Ăa a continuĂ© comme ça jusquâau lendemain oĂč deux avocates sont venues me chercher. En sortant, ma famille mâattendait dehors. Je me suis cachĂ©e. Je ne voulais pas les voir. Je suis montĂ©e dans une voiture avec les gens du RESF et nous sommes allĂ©s Ă Rabat. » Maintenant que son calvaire a pris ïŹn, Najlae va regagner incessamment la France oĂč lâattend un emploi dans lâhĂŽtellerie.
Sarko plus souple
Le retour en France de Najlae Lhimer et auparavant ceux de Mohamed Abourar et de Salima Boulhazar, ces derniĂšres semaines, ouvrent des espoirs. Selon le ministre français de lâImmigration, Eric Besson, cette dĂ©cision est un prĂ©cĂ©dent avant l âassouplissement des conditions dâaccueil des femmes. «Une proposition de loi adoptĂ©e en premiĂšre lecture sera discutĂ©e prochainement au SĂ©nat (âŠ) Ce sera une inïŹexion pour plus de gĂ©nĂ©rositĂ© encore », a prĂ©cisĂ© le ministre.
S.D.C.
Salima Boulazhar, 18 ans, expulsée le 4 février 2010
«Je ne sais pas pourquoi le préfet a fait tout cela »
Salima a rĂ©ussi a arracher une promesse Ă Patrick StĂ©fanini, prĂ©fet dâAuvergne et du Puy-de-DĂŽme et proche de Brice Hortefeux : « Si elle demande un visa long sĂ©jour au Maroc, elle pourra revenir. » GrĂące Ă cette dĂ©claration soutirĂ©e par France Inter, les autoritĂ©s locales de Clermont-Ferrand ont Ă©tĂ© acculĂ©es Ă accepter son retour, qui sâest effectuĂ© ïŹnalement le dimanche 7 mars. Pourtant, il Ă©tait possible dâĂ©pargner Ă cette frĂȘle jeune ïŹlle qui avait trouvĂ© sa voie (elle entamait un contrat dâapprentissage en cuisine avec promesse dâembauche) tant de souffrance. NĂ©e dâune liaison hors mariage, reniĂ©e comme sa sĆur jumelle par ses parents biologiques, elle est Ă©levĂ©e par sa grand-mĂšre Ă Bouznika puis Ă la mort de cette derniĂšre, par sa tante qui adopte les deux sĆurs par Kafala Ă lâĂąge de 13 ans. La Kafala marocaine nâĂ©tant pas reconnue par la France, la police dĂ©barque au domicile de la tante et arrĂȘte Salima. Sa sĆur, elle, se cache. Salima va passer treize jours au centre de rĂ©tention, oĂč elle est la plus jeune pensionnaire. « Il y avait plein de camĂ©ras au centre. Ils ont mĂȘme cassĂ© mon portable et je pense quâils mettaient des somnifĂšres dans le cafĂ©. » Le 4 fĂ©vrier, elle est expulsĂ©e au Maroc, pays dont elle ignore la langue et les coutumes. « Salima ne connaĂźt pas les codes quâobservent les jeunes ïŹlles marocaines », explique Najat qui lâhĂ©bergeait dans son appartement Ă Mohammedia. Sans repĂšres, la jeune ïŹlle passait ses journĂ©es Ă la maison et ne sortait le week-end quâavec la famille dâaccueil. « Je nâai rien Ă dire. Je ne sais pas pourquoi le prĂ©fet a fait tout cela. Je veux juste rentrer. Je ne peux pas rester ici, trop dâhistoires se sont passĂ©es dans ma famille », sanglote Salima. Son calvaire a donc pris ïŹn. Mais Ă quel prix et Ă quoi bon ?
Z. C.
Alae-eddine El Jaadi, 20 ans, expulsé le 18 juin 2009
« On tâouvre la cage aprĂšs tâavoir coupĂ© les ailes »
Un look de jeune banlieusard, les Ă©couteurs vissĂ©s aux oreilles, Alae-eddine dĂ©barque du train qui le ramĂšne de Sidi Slimane oĂč il vit avec ses parents, ses deux petites sĆurs et ses deux frĂšres. Cela fait maintenant neuf mois quâil a Ă©tĂ© expulsĂ© de Lyon oĂč il a passĂ© cinq ans aux cĂŽtĂ©s de sa tante, française, qui lâa adoptĂ© par Kafala. Son expulsion rocambolesque a particuliĂšrement retenu lâopinion publique française. Avant le contrĂŽle dâidentitĂ© fatal, il Ă©chappe Ă deux tentatives dâexpulsion en se rĂ©fugiant chez Georges Gumpel, lui-mĂȘme enfant cachĂ© sous Vichy. A cause de lâaura mĂ©diatique qui lâentoure, Alae-eddine est sauvagement battu par des policiers au centre de rĂ©tention. « Cinq policiers mâont tirĂ© de mon lit vers deux heures du matin, ils mâont immobilisĂ© Ă lâaide de ceintures puis mâont rouĂ© de coups. Ils portaient des gants et venaient donc spĂ©cialement pour moi. » Une fois au Maroc, lâaccueil est glacial. AprĂšs quatre heures de dĂ©tention en cellule, il passe devant le juge. « Smyet Bak ? Smyet Mok ? Signe ici ! Et maintenant, tu peux sortir », les propos du magistrat rĂ©sonnent encore dans la tĂȘte de Alae-eddine. MĂȘme sâil parle arabe, Alae-eddine ne se fait toujours pas au Maroc et passe ses journĂ©es « Ă traĂźner avec des potes ». « Comment je vais aujourdâhui? Câest la merde. On tâouvre la cage aprĂšs tâavoir coupĂ© les ailes. Jâai lâimpression dâĂȘtre revenu en arriĂšre. » ConsidĂ©rĂ© comme un Marocain par la France et comme un Français par ses amis marocains, Alae-eddine vit dans lâincomprĂ©hension. « Aux yeux des gens ici, je suis un looser qui nâa pas rĂ©ussi Ă rester lĂ -bas. » DĂ©semparĂ©, le jeune homme survit grĂące Ă la pension de retraite de son pĂšre, ancien militaire, et cherche du travail dans un centre dâappel. Son CAP de plĂątrier plaquiste ne lui sert Ă rien ici. Alae-eddine a peur de sombrer dans la dĂ©pression. « Je connais un Marseillais expulsĂ© qui a perdu la tĂȘte Ă force dâattendre. Il parle en français tout seul dans la rue. Moi, je vis avec lâespoir de retourner chez moi. Jâattends », raconte-t-il, inquiet. Son rĂȘve ? « Chez Georges Gumpel, je suis devenu un militant. A Lyon, je levais ma banderole devant le prĂ©fet alors que je nâavais pas de papiers. Jâaimerais militer aux cĂŽtĂ©s de Georges pour la Palestine. »
Recueilli par Zakaria Choukrallah
Hassan Bouyahyaoui, 22 ans, expulsé le 10 mars 2 009
« Jâessaye dâĂ©chapper Ă la mort »
« Je vais mâasseoir sur la tĂ©lĂ©. De toutes les maniĂšres, elle ne marche pas. » Ă 19 heures, Hassan vient de rentrer du boulot. Une militante lui a trouvĂ© un emploi dans un garage Ă TĂ©mara. Câest elle Ă©galement qui lâhĂ©berge en lui prĂȘtant une villa oĂč il a installĂ© un mobilier sommaire : une petite bonbonne de gaz, des chaises, un lit Ă mĂȘme le sol et câest presque tout. Son quotidien consiste Ă travailler six jours par semaine, Ă fumer, boire du cafĂ© et rencontrer les deux seuls amis quâil sâest faits Ă TĂ©mara . « Je gagne 10 dirhams de lâheure, mon meilleur salaire Ă ce jour est de 1 800 dirhams. De quoi mâacheter des clopes et payer le transport. Au Maroc, il faut travailler et fermer sa gueule », se dĂ©sole Hassan qui enchaĂźne cigarette sur cigarette : « Le tabac est devenu mon compagnon. Câest de la survie. Jâessaye dâĂ©chapper Ă la mort et de ne pas devenir un clochard. » Le visage fermĂ© et la mine triste, ce jeune arrivĂ© Ă Montpellier Ă lâĂąge de 15 ans et expulsĂ© en mars 2009 sâinquiĂšte pour sa famille. Son pĂšre, handicapĂ© Ă 80 % nâa personne pour sâoccuper de lui et les nouvelles sont mauvaises.
« A lâheure oĂč je vous parle, mon pĂšre est Ă lâhĂŽpital. Depuis mon expulsion, il est tout le temps malade⊠Je reprĂ©sente beaucoup pour lui, on Ă©tait une famille. » Tout sâest enchaĂźnĂ© trĂšs vite pour Hassan. A sa majoritĂ©, il demande un titre de sĂ©jour. En lieu et place, on lui remet six autorisations provisoires de six mois. Sa seconde demande de titre de sĂ©jour est Ă©galement refusĂ©e et cette fois, il aura droit Ă un OQTF (ordre de quitter le territoire français). ArrĂȘtĂ©, mis dans un bateau Ă destination dâOujda, il erre dans les rues de la ville de lâOriental et se fait agresser Ă plusieurs reprises. « Je dormais le jour dans une association et le soir je passais des nuit blanches. » GrĂące Ă RESF, il sâinstalle Ă TĂ©mara en attendant des jours meilleurs . « Les jours passent, puis les mois et bientĂŽt les annĂ©es. Qui sait ce que lâon va devenir⊠» Z. C.
Amina Hourrane, 25 ans, expulsée le 5 février 2010
« Jâai eu peur »
Amina a au moins eu la chance dâarriver adulte (Ă lâĂąge de 20 ans) Ă ClermontFerrand. MariĂ©e Ă un Français depuis quatre ans, elle aurait pu ĂȘtre naturalisĂ©e au bout de la cinquiĂšme annĂ©e. La procĂ©dure pour lâobtention de la carte de sĂ©jour allait bon train et Amina ne sâattendait pas du tout Ă se faire renvoyer au Maroc le 5 fĂ©vrier dernier. Tout sâest passĂ© trĂšs vite pour ce petit bout de femme qui ne parle quâamazigh et français. « Les policiers sont arrivĂ©s par surprise Ă la maison. On mâa emmenĂ©e sans rien mâexpliquer. Jâai passĂ© trois heures au commissariat puis on mâa envoyĂ©e dans cette prison quâils appellent centre de rĂ©tention, explique Amina. Ca mâa fait rigoler au dĂ©but tellement câĂ©tait incroyable. Jâai eu peur, puis jâai trouvĂ© tout cela ridicule », se rappelle-t-elle. Le cauchemar commence vĂ©ritablement dans le centre de rĂ©tention de Lyon oĂč elle rencontre Salima (voir tĂ©moignage). Lâambiance est tendue. AprĂšs le centre et le rapatriement en avion escortĂ© par « deux policiĂšres baraquĂ©es », lĂ voilĂ Ă lâaĂ©roport de Casablanca. Sâensuit une garde Ă vue de trois heures et un transfert Ă un commissariat. « Tâes contente de rentrer au Maroc ? », lui demande un policier. « Non », rĂ©pond Amina. « Tâes raciste alors? », rĂ©torque lâagent. « Ils voulaient mĂȘme dĂ©crocher mon visa, croyant quâil Ă©tait traïŹquĂ© », sâinsurge la jeune femme. Une fois ces « procĂ©dures » ïŹ nies, Amina est relĂąchĂ©e dans le quartier casablancais du MaĂąrif. « Les gens me regardaient. Jâavais peur. Jâai pris un taxi et je lui ai demandĂ© de mâemmener dans un petit hĂŽtel » , raconte-t-elle. Aujourdâhui, logĂ©e chez des bĂ©nĂ©voles, elle rĂ©pĂšte : « Je nâai rien fait, câest la vĂ©ritĂ©. » Z. C. |
Cette France quâon prĂ©fĂšre...
Ă travers lâĂ©cole et le RĂ©seau Ă©ducation sans frontiĂšres (RESF), de nombreux Français soutiennent les camarades de classe de leurs enfants, menacĂ©s dâexpulsion.
Mohamed Abourar est revenu du Maroc le 27 fĂ©vrier dernier. Un succĂšs pour RĂ©seau Ă©ducation sans frontiĂšres (RESF) et bien entendu pour ce jeune Marocain de 18 ans scolarisĂ© en premiĂšre annĂ©e de bac pro au lycĂ©e Valmy Ă Colombes. Il avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© le 17 janvier puis expulsĂ© le 23. Une manifestation, organisĂ©e par le biais de RESF, a rassemblĂ© le 6 fĂ©vrier une centaine de personnes dans les rues de la ville. Le ministĂšre de lâImmigration avait fait savoir ĂȘtre « disposĂ© Ă un examen bienveillant » de sa demande de visa. « Malheureusement, le retour dâun expulsĂ© se rĂ©sume au simple fait du prince », afïŹ rme Richard Moyon, membre de RESF, professeur de français et dâhistoire au lycĂ©e professionnel Jean JaurĂšs de Chatenay Malabry ; le lycĂ©e oĂč, en juin 2004, RESF est nĂ©. « DĂšs lâarrestation de la personne sans papiers, nous devons ĂȘtre trĂšs rapides, nous explique Brigitte Wieser, membre de RESF Ă Paris depuis 2004 Ă©galement. La garde Ă vue dure 24 heures ; câest Ă ce moment-lĂ que le prĂ©fet dĂ©cide de la mise en rĂ©tention. » La plupart du temps, la libĂ©ration a lieu pendant cette garde Ă vue, grĂące Ă la mobilisation organisĂ©e par RESF. « Les manifestations sont trĂšs efïŹcaces, continue Brigitte. Ce quâils (les pouvoirs publics, ndlr) craignent avant tout, câest le dĂ©sordre. »
DĂ©claration dâabandon
Le succĂšs dâune mobilisation repose sur lâĂ©cole. « Le rĂ©seau va bien au-delĂ des militants de toujours, soutient Brigitte. Les parents dâĂ©lĂšves, les professeurs et les Ă©lĂšves nâadmettent pas que des gens soient arrĂȘtĂ©s alors quâils nâont commis aucun dĂ©lit, surtout lorsque cela concerne un de leurs camarades de classe. » Suite Ă une mise en rĂ©tention, la personne menacĂ©e dâexpulsion a 48 heures pour prĂ©senter un dossier au tribunal administratif qui dĂ©cidera ou non de formuler un arrĂȘtĂ© de reconduite Ă la frontiĂšre. GrĂące Ă Internet et Ă un appel Ă signatures pour les pĂ©titions, la mobilisation ne ïŹĂ©chit pas. « Les pĂ©titions mettent Ă mal lâargument qui consiste Ă dire que le sans-papiers nâaurait pas dâattache en France », estime Brigitte. Les mineurs (moins de 18 ans) ne peuvent ĂȘtre expulsĂ©s. « Mais lorsque les parents sont expulsĂ©s, ils ne partent Ă©videmment pas sans leur enfant. Mais, dans un cas dâexpulsion dâune famille chinoise Ă Clermont Ferrand, lâun des deux enfants, nĂ© en France, nâavait pas la nationalitĂ© chinoise. Impossible dâobtenir un laissez-passer chinois, les autoritĂ©s françaises ont donc essayĂ© de faire signer aux parents une dĂ©claration dâabandon. » Un cas isolĂ© qui tĂ©moigne nĂ©anmoins de la dĂ©termination du gouvernement. « Certains mineurs reçoivent une lettre signiïŹant leur obligation de quitter le territoire le jour de leurs 18 ans », prĂ©cise Brigitte.
Depuis 2004, le rĂ©seau a bien grandi. Ce mouvement peu centralisĂ© rĂ©unit les classiques de la dĂ©fense des immigrĂ©s (Ligue des droits de lâhomme, Cimade...), collectifs de dĂ©fense de sans-papiers, mouvements dâextrĂȘme gauche, syndicats (Syndicat de la magistrature, Sud Education), associations religieuses, mouvements de parents dâĂ©lĂšves (FCPE), partis politiques. « Il y a une vĂ©ritable Ă©volution des consciences, estime Richard. On entend les gens dire que la prĂ©sence des politiques dans une manifestation est une dĂ©marche Ă©lectoraliste. Mais je trouve ça formidable que pour gagner des voix, il faille soutenir les sans-papiers. »
Yannick Demoustier, Ă Paris
Pendant ce temps, en EspagneâŠ
En Espagne, la situation est un peu plus humaine mĂȘme si ce sont les jeunes qui dĂ©rangent. Avec lâItalie, ce pays reste le principal point de chute des mineurs marocains en Europe. Ils seraient prĂšs de 5 000 Ă ĂȘtre ballottĂ©s entre la volontĂ© des autoritĂ©s locales de sâen dĂ©barrasser (comme câĂ©tait le cas en Andalousie, qui voulait renvoyer au Maroc 1 000 mineurs non accompagnĂ©s) et le manque de volontĂ© marocaine de les rĂ©cupĂ©rer, comme stipulĂ© dans la Convention signĂ©e en 2003 entre les deux pays et portant sur le rapatriement assistĂ© des mineurs non accompagnĂ©s. En attendant, tout un systĂšme a Ă©tĂ© mis en place pour les accueillir. Sans ĂȘtre parfait, il a au moins le mĂ©rite dâexister. Introduisant le principe de responsabilitĂ© partagĂ©e, ce dispositif se ïŹxe comme prioritĂ© lâintĂ©rĂȘt du mineur. LogĂ©s dans des centres dâaccueil dĂ©diĂ©s, les mineurs vivant dans ce pays reçoivent une formation en vue de leur rĂ©insertion dans la vie active. Les intĂ©ressĂ©s restent cependant menacĂ©s de reconduction aux frontiĂšres Ă tout moment. Comme pour dĂ©jouer les rĂ©sistances marocaines, lâEspagne anticipe en ïŹnançant la construction au Maroc de centres dâaccueil et de formation des mineurs expulsĂ©s. Une façon aussi dâĂ©viter des scĂ©narios Ă la française. Un premier centre a dĂ©jĂ vu le jour Ă Tanger et la construction dâun deuxiĂšme a Ă©tĂ© achevĂ©e Ă Nador.
T.Q
BILLET : Mais que font nos consuls ?
Italie, une trentaine de jeunes Marocains en situation irrĂ©guliĂšre, traquĂ©s par le froid et la police, font le tour des consulats du Maroc pour trouver un autocar censĂ© les rapatrier au bercail. RĂ©ponse des services consulaires : « On nâa pas de budget. » Arabie saoudite : un ami de lâune des pĂšlerines victimes dâun accident de la route tente de faire venir en urgence le consul du Maroc sur place pour signer un document concernant une intervention chirurgicale urgente et dĂ©licate. Le consul Ă©tant aux abonnĂ©s absents, le chirurgien dĂ©cide de surseoir Ă son autorisation. Quant Ă Najlae Lhimer, au moment oĂč elle a reçu la notiïŹcation de son expulsion, elle nâa pas pensĂ© une seconde Ă chercher appui auprĂšs du consulat de son pays. On pourrait multiplier les exemples mais le moins que lâon puisse dire, câest que nos consuls ont mauvaise presse. En thĂ©orie, les activitĂ©s consulaires consistent Ă prĂ©server et Ă dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts des Marocains Ă lâĂ©tranger. Le consulat dĂ©livre des passeports, des attestations, effectue des recherches de nationalitĂ©, dresse des actes dâĂ©tat civil, transmet des piĂšces judiciaires, lĂ©galise des documents, rend visite aux ressortissants marocains incarcĂ©rĂ©s et entretient des contacts avec les autoritĂ©s locales dans la recherche des personnes portĂ©es disparues... Dans les faits, et Ă de rares exceptions prĂšs, les services consulaires ne sâacquittent pas de leurs tĂąches, se contentant dâassurer un service minimum. Pour nos consuls, lâĂ©poque des rĂ©ceptions et des petits fours nâest pas encore rĂ©volue. Hommes de rĂ©seaux, agents Ă©conomiques, voire vĂ©ritables managers de reprĂ©sentations commerciales, les consuls sont recrutĂ©s pour leur connaissance du terrain et leur maĂźtrise du lobbying⊠sauf chez nous oĂč ces diplomates sont souvent choisis sur des critĂšres non professionnels.
Abdellatif El Azizi |
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