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Mohammed VI : Stratégie gagnante
actuel n°152, jeudi 26 juillet 2012
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Le roi n’a pas attendu le Printemps arabe pour lancer la démocratisation du pays. Le style, les idées et le rythme, tout l’oppose à la léthargie d’une classe politique empêtrée dans des querelles intestines. La rue, qui a bien saisi cette dynamique, a épargné la monarchie dans ses colères. C’est un peu pour cela que le bilan politique du règne reste si contrasté.
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« Traverser la tempête du Printemps arabe sans chavirer», les chefs d’Etat arabes en ont rêvé, Mohammed VI l’a fait. Sans mettre en péril les grands équilibres, Mohammed VI a su, dès le départ, jeter assez d’ancres autour du navire pour affronter au mieux la tempête. Dans l’art de gérer la contestation, aucun chef d’Etat arabe n’a réussi, jusqu’à présent, à affronter avec autant de brio des défis inédits dont la mauvaise maîtrise aurait transformé l’état de grâce en cauchemar. Les incertitudes de la révolution du jasmin, les balbutiements de la révolution libyenne et le bourbier syrien sont toujours là pour le rappeler. Les vingtfévrieristes le lui ont d’ailleurs bien rendu, puisque les jeunes contestataires ont pris soin, dès le départ, de laisser le souverain en dehors de la mêlée tout en dénonçant de manière toujours aussi virulente les maux politiques et sociaux qui minent le quotidien des Marocains. Cela a démarré par une Constitution marocaine qualifiée « d’avancée démocratique historique » par toutes les chancelleries étrangères. La montée au pouvoir des islamistes procède de la même logique. « La contestation politique a pris fin avec les réformes annoncées par le souverain. Aujourd’hui, elle n’a plus de raison d’être même si les attentes sont toujours aussi grandes. Mais ce qui est certain, c’est que, contrairement aux autres pays arabes, et à aucun moment, les manifestants n’ont remis en cause le régime », explique Benkirane. Evidemment le chef du gouvernement n’est pas le mieux indiqué pour défendre un bilan qui porte si peu sa griffe. En effet, on ne peut que déplorer une politique à deux vitesses : celle du roi qui met le turbo à tous les chantiers qu’il lance, et un gouvernement empêtré jusqu’au cou dans des dissensions internes qui n’en finissent plus. Un an après le vote de la nouvelle Constitution, l’équipe Benkirane a juste réussi à faire passer trois lois organiques sur la vingtaine que compte la Charte constitutionnelle. Et encore, la loi n°29-11 sur les partis politique et n°27-11 sur la Chambre des représentants, a été expédiée à la veille des législatives anticipées pour des raisons que l’on devine aisément. Ainsi, après six mois d’exercice, Abdelilah Benkirane s’est contenté de militer pour une seule loi organique, celle qui détermine les champs d’action respectifs du roi et du chef de gouvernement en matière de nomination aux emplois supérieurs de la haute administration ! C’est bien, mais c’est trop peu. Même si cette loi précise, pour la première fois de l’histoire du Royaume, le partage des pouvoirs entre le gouvernement et le Palais concernant la nomination des dirigeants des grandes sociétés publiques. Cette réforme a réduit drastiquement les prérogatives du monarque qui, malgré tout, garde la main sur quelque 37 entreprises publiques ; ce qui n’a échappé à personne.
Ce n’est d’ailleurs pas là l’essentiel de ce partage des pouvoirs. Sur le plan de la bonne gouvernance, le conseil des ministres se réunit désormais sur simple demande du chef de gouvernement.
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Des avancées constitutionnelles
Ce dernier siège au Conseil supérieur de sécurité (le roi peut même lui en déléguer la présidence). Et, concurremment avec le roi, il dispose du pouvoir de dissoudre le Parlement. Avancée démocratique importante, la désignation du Premier ministre qui était le fait du prince passe obligatoirement par la sanction du suffrage universel puisque le roi doit impérativement désigner le chef du gouvernement au sein du parti arrivé en tête aux élections législatives. Par la suite, les membres du gouvernement sont nommés sur proposition du chef de gouvernement (comme ce qui se fait dans l’Hexagone). S’il peut renvoyer un ou plusieurs ministres, le roi ne peut le faire qu’après consultation du chef du gouvernement. Là n’est pas l’essentiel de « la révolution constitutionnelle » que le roi a fait valider par le peuple durant l’été 2011. L’indépendance de la Justice et la séparation des pouvoirs, obsession des défenseurs des droits de l’homme et principale source de griefs des vingtfévrieristes, font partie des priorités du nouveau texte qui stipule, dans son article 109, que « toute intervention dans les affaires soumises à la justice est proscrite. Le juge ne saurait recevoir d’injonction ou d’instruction, ni être soumis à une quelconque pression… » Les libertés individuelles, si chères aux progressistes – dont la fameuse liberté d’expression –, ne sauront plus souffrir de restrictions : « La liberté de la presse est garantie et ne peut être limitée par aucune forme de censure » (art. 28) ; « Les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration ou les institutions élues » (art. 27).
Toujours sur le plan des libertés individuelles, on ne mesurera jamais assez la portée de l’article qui précise que « le roi, Amir al-mouminine (Commandeur des croyants) veille au respect de l’islam. Il est le garant du libre exercice des cultes ». Autrement dit, le roi représente l’unique rempart contre l’hégémonie des prêcheurs de la haine qui divisent la société dans la plupart des pays musulmans. Précision de taille : la nouvelle Constitution a consacré la culture hébraïque comme une composante de l’identité culturelle plurielle du Maroc. Résultat, cette disposition, qui fait du Maroc l’unique pays musulman où le souverain est « Commandeur des croyants » – indépendamment de leur religion –, est là pour rappeler la place des juifs dans la communauté nationale.
Rupture avec le passé
Et le fait d’imaginer que la mise en place de ces fondamentaux de la démocratie s’explique par un machiavélisme politicien, concocté par les hommes de l’ombre du sérail, dans une réponse précipitée aux soubresauts du Printemps arabe, relève au mieux de la myopie politique et au pire de la démagogie. La dynamique enclenchée par le roi dès son accession au pouvoir est là pour le rappeler. La réorganisation en profondeur des institutions a démarré avec la fin du règne précédent. Le limogeage de Basri, pour ne citer que ce cas, est plus qu’un geste symbolique. Il marque une profonde rupture avec le passé par la mise à l’écart d’un commis de l’Etat qui a cristallisé autour de sa personne toutes les rancœurs liées aux exactions des années de plomb. De même, la création de l’IER suit la même logique. Faire le procès des hommes de Hassan II, alors que beaucoup d’entre eux étaient encore au pouvoir, ne fut pas chose aisée ; le résultat a dépassé les espérances. Aujourd’hui, la torture, les disparitions forcées et les procès bidon appartiennent au passé. Les prisonniers d’opinion ont été indemnisés jusqu’au dernier centime. Les recommandations concrètes de l’IER, le rétablissement de la vérité sur les cas de disparitions et de décès non encore élucidés, la réparation individuelle et communautaire et les réformes institutionnelles et législatives sont pratiquement soldés, même si beaucoup de recommandations, comme celle de la nécessité de juger les tortionnaires, sont restées lettre morte.
Du côté du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), on reconnaît à l’unanimité que les attentes sont énormes et qu’il reste toujours des zones d’ombre. Mais on insiste sur « la dynamique créée par l’IER qui a permis de tourner la page des violations graves des droits de l’homme, consolidant à coup sûr le passage vers la démocratie ». Malheureusement, le roi, à lui seul, ne peut incarner un nécessaire renouvellement du politique. Le « rêve marocain » ne relève pas de la chasse gardée du souverain : l’espoir d’un monde meilleur pour ce pays passe par un rétablissement des comptes, un interventionnisme tangible et une exigence de vérité des gestionnaires du pays. Les islamistes au pouvoir ne peuvent plus se dédouaner en évoquant l’hégémonie du Palais sur la prise de décision. Ce n’est pas pour rien que la contestation, un brin libertaire, qui fleurit dans ce pays est essentiellement critique contre l’ossification de la classe politique. Aujourd’hui, les hommes d’appareil rêvent toujours de faire perdurer le « vieux Maroc ». C’est trop tard. Tant pis pour eux, parce que depuis quelque temps, la peur a réellement changé de camp.
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Abdellatif El Azizi |
Discours du 9 mars. « Je vous ai compris » !
Ce fut vraiment une sortie inattendue. En effet, le contexte était marqué par des bouleversements intenses dans le monde arabe, le 20-Février battait le pavé, le bouillonnement de la rue était impressionnant, les manifestations se suivaient et ne se ressemblaient pas. Tous les chefs d’Etat arabes regardaient, hébétés, le monde s’écrouler autour d’eux. Au Maroc, la contestation se précisait, l’exigence de réformes politiques profondes inscrites en noir et blanc sur toutes les pancartes. Le Royaume restait pourtant le seul pays arabe où les manifestants n’appelaient pas à la chute du régime. Dans la soirée du 9 mars 2011, sans crier gare, le roi prenait de court tout le monde avec son discours, le premier après les manifestations du mouvement du 20-Février. Cette allocution royale répondait directement aux principales revendications de la rue. Dès le départ, le roi a donné officiellement le ton d’une nécessaire démocratisation du Maroc, avec notamment une réforme constitutionnelle qui réconciliera enfin les institutions avec la société marocaine. Pour cela, le roi a tracé les contours d’un agenda clair et précis : une commission ad hoc, présidée par Abdelatif Mennouni qui devait entamer une concertation large avec « les partis politiques, les syndicats, les organisations de jeunes et les acteurs associatifs, culturels et scientifiques qualifiés », est tenue de rendre sa copie avant la fin du mois de juin. Ce n’est pas tout, puisque dans le discours du souverain, il a été dit qu’il ne s’agissait pas d’une réformette pour obtenir la paix sociale et calmer les ardeurs de la rue. Le roi précisait que cette réforme profonde de la Constitution formerait « un socle solide pour bâtir un compromis historique ayant la force d’un nouveau pacte entre le trône et le peuple ». C’est pour cela que le souverain avait tenu à être précis dans son allocution évoquant les grands axes de la réforme constitutionnelle qui devait donner un sens à cette « exception marocaine ». Il s’agissait donc de « la consolidation de l’Etat de droit et des institutions, l’élargissement du champ des libertés individuelles et collectives, ainsi que la garantie de leur exercice. Cela devrait se faire notamment à travers la constitutionnalisation des recommandations judicieuses de l’Instance équité et réconciliation (IER), ainsi que des engagements internationaux du Maroc en la matière».
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IER. Solde de tout compte ?
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C’est le plus joli coup de Mohammed VI : faire le procès des années de plomb au lendemain de la disparition de Hassan II. La décision est prise en novembre 2003, mais l’esprit de l’Instance équité et réconciliation (IER) – chargée de faire la lumière sur les graves violations des droits de l’homme perpétrées entre 1960 et 1999 – remonte à beaucoup plus loin. Alors qu’il était prince héritier, Mohammed VI avait souvent eu des accrochages avec feu Hassan II sur la question des droits de l’homme. Une fois au pouvoir, il lui a d’abord fallu convaincre les anciens prisonniers politiques de sa volonté de marquer une véritable rupture avec le passé. Ce qui n’était pas une mince affaire vu la nature des exactions commises par des tortionnaires notoires. Driss Benzekri, un opposant virulent au régime, est convaincu par le roi en personne de piloter cette folle entreprise. Grâce à un inventaire et à la publication des atrocités – notamment à travers les témoignages des victimes –, les hommes de Benzekri, qui avaient pour mission d’enquêter sur les violations flagrantes des droits humains, en particulier les disparitions forcées et les détentions arbitraires, ont rencontré beaucoup de difficultés. Mais le résultat dépasse les espérances : un rapport détaillé en 2005, des auditions publiques retransmises en direct – qui ont fait pleurer les Marocains – et quelques milliers de dossiers d’indemnisation bouclés en un temps record. Sans conteste, l’IER a accompli un travail remarquable. Benzekri passe désormais, même après sa mort, pour « un visionnaire » qui ne s’est pas trompé sur la sincérité de M6 s’agissant de solder ce lourd passé. Mais une question se pose aujourd’hui : à quoi sert de mettre des journalistes derrière les barreaux et d'emprisonner un jeune rappeur, illustre inconnu de surcroît ?
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La nouvelle Constitution. Coup d’Etat au sommet
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Les réformes constitutionnelles sont en général menées dans la durée, à petit feu, après de larges consultations politiques. Celle de 2011 est une exception. Fille du Printemps arabe, elle constitue un cas d’école en matière de gestion des crises, puisque le référendum qui a validé le nouveau texte a conduit à la mort clinique du 20-Février. Pour une raison très simple : c’est que la nouvelle charte est allée beaucoup plus loin que les revendications de la société civile. En effet, les axes de cette réforme constitutionnelle démocratique s’appuient essentiellement sur la prééminence des droits de l’homme et la constitutionnalisation de l’amazighité du Maroc – une demande récurrente des mouvements amazighs mais aussi du du 20-Février. Elle a donné au chef du gouvernement une autorité réelle, elle affirme le contrôle parlementaire. A cet égard, le chef du gouvernement est tenu de venir s’expliquer devant l’Assemblée nationale sur les choix politiques de la majorité. La Constitution fait désormais de lui le « chef d’un pouvoir exécutif effectif, et pleinement responsable du gouvernement, de l’administration publique, de la conduite et de la mise en œuvre du programme gouvernemental ». Au moment où les manifestants appellent à la chute de « la corruption, de la prévarication et de l’injustice », la Constitution inscrit l’indépendance de la justice au sommet des priorités de la réforme. « La consolidation des mécanismes de moralisation de la vie publique et la nécessité de lier l’exercice de l’autorité et de toute responsabilité ou mandat publics aux impératifs de contrôle et de reddition des comptes » a permis au gouvernement d’ouvrir la boîte de Pandore des ripoux. Rédigée dans le feu de l’action, la Constitution reste sujette à critique ; mais sans les armes de ce texte, les rapports de la Cour des comptes n’auraient pas pu déboucher sur le passage par la case prison de personnages aussi influents que Alioua ou Benallou. |
Entretien avec Tawakul Karman, le Nobel du Printemps arabe
Regards croisés : vu d’ailleurs
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C’est la plus jeune et l’unique femme arabe à avoir obtenu un prix Nobel de la paix. Son principal fait d’armes : avoir été une figure de proue de la révolution yéménite. Un exploit en soi dans une dictature ultraconservatrice. actuel l’a rencontrée durant son séjour dans le Royaume.
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Actuel : Vous avez été invitée au Royaume pour prendre part au congrès du Parti justice et développement (PJD). Quel regard portez-vous sur ce qui s’est passé au Maroc pendant l’année 2011 ?
Tawakul Karman : Dans tous les autres pays arabes, les peuples ont brandi des slogans qui appelaient à la chute des régimes, sauf au Maroc. On peut comprendre ainsi que les Marocains ont fait le choix de réformer les institutions dans le cadre de la stabilité. Les réformes proposées par le roi dans le cadre de la nouvelle Constitution ont bénéficié d’une large adhésion des Marocains. Le nouveau texte a été largement plébiscité par la communauté internationale qui l’a qualifié d’avancée démocratique réelle. A travers le référendum sur la Constitution, c’est finalement au peuple qu’est revenu le dernier mot. Et je suis convaincue qu’il s’agit-là d’une voie qui permettra, à coup sûr, à ce pays de s’orienter définitivement vers une monarchie constitutionnelle en bonne et due forme.
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Comment s’est passée votre rencontre avec les cadres du PJD et avec Abdelilah Benkirane ?
Je suis particulièrement satisfaite de l’accueil qui m’a été fait par les cadres du PJD et leur secrétaire général. Par contre, je souhaite rencontrer d’autres personnalités pour me frotter à d’autres sensibilités politiques. Ma visite est très courte, mais j’essaierai quand même de faire connaissance avec d’autres figures politiques, en particulier les jeunes du 20-Février. Enfin, si j’ai encore le temps…
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Selon vous, islam et démocratie peuvent-ils faire bon ménage ?
Je crois que la démocratie n’est contredite par aucune des trois religions monothéistes. Elles ont en commun la défense des valeurs de liberté, de dignité et d’égalité. Par ailleurs, j’estime qu’il est nécessaire d’appliquer les principes de démocratie sans aucune référence religieuse. L’islam n’est pas le problème, on le voit bien à travers l’exemple du Maroc, pays musulman et tolérant. Le terreau de l’intégrisme, c’est la misère, l’exclusion et l’inégalité de l’accès aux richesses.
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En ce qui concerne votre pays, le Yémen, ne pensez-vous pas que le Printemps arabe s’est vite transformé en printemps islamiste ?
Je n’aime pas l’expression « Printemps islamiste ». Même si les islamistes ont gagné quelque autorité par le biais des urnes, l’islam politique ne pourrait prétendre à une quelconque paternité sur les révoltes des peuples arabes qui ont mis à bas leurs despotes. Les révolutions arabes sont parties de manière spontanée sans être instiguées par quiconque…
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Mais les islamistes ont surfé sur la vague et profité de la situation…
Ce qui s’est passé au lendemain de la révolution est une véritable leçon de démocratie, n’en déplaise à l’Occident. Les urnes ont fait émerger ceux qui ont été plébiscités par la volonté populaire. Ceux qui sont montés au pouvoir aujourd’hui, ce sont ceux-là mêmes qui ont été opprimés auparavant par des régimes autoritaires. Ils ont enfin accès à la politique. Je pense que leur marginalisation est une forme d’extrémisme et d’exclusion. C’est là où réside le danger. Nous devons connaître la réalité de ces mouvements, faire en sorte qu’ils soient mis à nu. Après tout, c’est aux peuples de les juger. S’ils ne répondent pas aux aspirations des populations, les électeurs les sanctionneront rapidement. C’est cela qu’on appelle communément la démocratie.
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Qu’est-ce que le Prix Nobel a changé dans votre vie ?
Si j’ai obtenu ce prix, c’est justement parce que notre voix est devenue plus audible dans le monde. Il faut dire aussi que le regard de l’Occident sur nous a beaucoup changé. La réputation de terroristes qui collait aux Yéménites, et que le régime avait confortée pour avoir la bénédiction de l’oncle Sam, a vite volé en éclats après la chute de ce dernier. Désormais, même en tant qu’arabes et musulmans, on nous crédite de la volonté de favoriser le dialogue et la paix. Par ailleurs, je vous signale que j’ai fait don de la somme d’argent qui va avec le prix (500 000 USD, ndlr) au peuple yéménite parce qu’il le mérite bien.
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Comment voyez-vous la situation aujourd’hui au Yémen ?
Nous nous acheminons doucement mais sûrement vers la finalisation des objectifs de la révolution. Nous avons commencé par faire tomber le dictateur, et maintenant nous allons pousser vers la sortie les patrons des services sécuritaires et les hauts gradés de l’armée qui ont tiré sur le peuple sans ménagement. Il faut démanteler tous ces réseaux qui ont été au cœur de la corruption du système, et mettre ensuite en place une nouvelle Constitution.
Propos recueillis par Ali Hassan Eddehbi
Regards croisés : Paroles de femme
Entretien avec Asmaa Lamrabet, médecin spécialiste en hématologie-cytologie.
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Asmaa Lamrabet a exercé pendant huit ans comme bénévole dans des hôpitaux publics, en Espagne et en Amérique latine, avant de rentrer au bercail. Engagée dans la réflexion sur la problématique de la femme en islam, elle est, depuis 2011, directrice du Centre des études féminines en islam au sein de la Rabita Mohammadia des oulémas du Maroc. Elle est également auteure de quatre livres et de plusieurs articles sur le thème de l’islam et la femme.
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actuel : Comment qualifiez-vous la situation de la femme marocaine aujourd’hui ?
Asmaa Lamrabet : Cela dépend de quelle femme marocaine on veut parler. Il y a de grandes disparités socioéconomiques et culturelles entre les citadines et les femmes rurales. Mais en général, si l’on compare avec d’autres pays qui ont les mêmes standards socioéconomiques, on peut certainement avancer que les femmes marocaines ont vu leur situation s’améliorer. Certaines d’entre elles sont plus autonomes, plus indépendantes, hautement qualifiées et plus ambitieuses ; ce qui est parfois en décalage avec certaines réalités dont celle d’un gouvernement où les femmes brillent par leur quasi-absence ! Mais le Maroc a toujours été le pays des contradictions… A côté de cela, nous avons eu notre premier parti politique (PSU) dirigé par une femme ! Les femmes s’émancipent et évoluent, mais un certain microcosme politique refuse de l’accepter.
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En 2003, le code de la famille a beaucoup fait parler de lui. Pourtant, nombre de ses dispositions ne sont pas mises en vigueur par les tribunaux (cf. le mariage des mineures). Ce genre de dérogation ne porte-il pas atteinte à l’esprit de ce texte ?
Absolument. La réforme du code de la famille constitue une grande avancée sur le plan de la symbolique par sa vision réformiste des droits des femmes. Hormis la Tunisie, le Maroc reste l’un des seuls pays qui bénéficient d’un code des plus novateur et des plus progressiste dans le monde musulman. Mais celui-ci a donné très peu de résultats concrets du fait que les réformes qui devaient l’accompagner n’ont jamais eu lieu. Car si les lois sont importantes, elles ne sont pas suffisantes à elles seules. Et c’est exactement ce qui s’est passé avec ce code où les contraintes et les obstacles à l’application sont dus au fait que l’on a fait une impasse majeure sur la question de l’éducation de la population aux valeurs de l’égalité des sexes, et aussi en refusant l’instauration d’une véritable réforme du champ religieux. Le référentiel religieux étant incontournable dans notre société, il est illusoire de vouloir imposer des lois alors que les mentalités ne suivent pas ; car elles sont sclérosées par des siècles d’éducation religieuse archaïque et des interprétations complètement dépassées ! C’est l’exemple flagrant du mariage des mineures qui reste toléré, voire encouragé alors que nous avons des lois avant-gardistes comme celle qui stipule que les deux époux sont coresponsables du foyer conjugal et qui, faut -il le rappeler, ne se retrouve dans aucun autre pays musulman !
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A part le code de la famille en 2003, quelles sont les évolutions qu’ont connues les droits de la femme au Maroc depuis cette date ?
Il ne faut pas minimiser ces droits qui, même s’ils restent encore de l’ordre de la symbolique, constituent d’énormes avancées juridiques, comme ceux de la réforme du code de la famille. Je pense spécialement aux facilités accordées au mariage, à la suppression de l’obligation du tuteur qui reste optionnel, à la protection des droits des enfants, à la coresponsabilité de la charge du foyer, etc. Il y a aussi la nouvelle Constitution qui consacre dans son article 19 l’égalité entre les sexes. C’est là un grand chantier qui reste ouvert. Mais, sincèrement, je ne vois pas encore les prémices de son application concrète !
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Faut-il lever toutes les réserves sur la convention internationale des droits de la femme, notamment l’égalité dans l’héritage ?
La majorité des conventions internationales sont des conventions dont les finalités sont celles de la justice, du bien commun et de l’égalité des êtres humains. Celles concernant les droits des femmes ou CEDAW répond aux mêmes exigences, et je pense qu’il faudrait arrêter de « créer » des restrictions dès qu’il s’agit des droits concernant les femmes en particulier. Ces « spécificités culturelles » récurrentes à chaque débat sur cette question ne font que refléter la confusion psychologique et la crispation identitaire qui règnent dans notre société. Quant à la question de l’héritage, elle doit être revue du point de vue de l’interprétation religieuse car le texte sacré au sujet de cette question propose d’autres issues concernant l’égalité dans la succession. C’est notre lecture de la réalité sociale qui est devenue injuste, puisque les changements sociétaux sont profonds et que les femmes travaillent autant sinon plus que les hommes. En refusant de voir ces nouvelles réalités, nous sommes tout simplement en contradiction avec les principes de l’islam cautionnant ainsi une profonde injustice en privant les femmes de leur part égalitaire.
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Dans d’autres pays, la montée au pouvoir des islamistes risque de bloquer le processus d’amélioration de la condition de la femme. Au Maroc, les islamistes, encouragés par la conjoncture actuelle, ne font-ils pas obstacle à des réformes encore plus audacieuses en faveur de la femme ?
Il est vrai que la montée des islamistes au pouvoir s’accompagne en général d’une vision plus rigoriste de la condition des femmes. Néanmoins, loin des clichés, je crois que chaque société privilégie ses propres priorités et adopte sa propre stratégie. Au Maroc, certaines avancées sont déjà là , encore faut-il les voir appliquer sur le terrain. Cependant, il faudrait la mobilisation et la vigilance de tous afin de préserver ces acquis, de lutter contre la culture de la discrimination des femmes, et de promouvoir l’application de l’égalité dans tous les domaines. L’histoire de notre société nous prouve que la misogynie n’est pas inhérente à une idéologie ou à un parti politique en particulier : elle transcende malheureusement toutes les catégories sociales et politiques.
Propos recueillis par Ali Hassan Eddehbi |
Fouad Omari, maire de Tanger et député PAM
Regards croisés : Paroles d’élu
Pour le maire de Tanger et député PAM, les réformes politiques promises par la Constitution tardent à venir. Entretien.
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actuel : Pourquoi les maires ont-ils si mauvaise réputation ?
Fouad Omari : L’essoufflement des mairies, voire leur échec à répondre aux besoins immédiats de leurs administrés, vient du fait qu’elles comptent sur le budget de fonctionnement pour financer leurs projets. Si on ajoute à cela une tutelle pesante des walis et autres gouverneurs, on comprend mieux pourquoi les élus n’ont jamais réussi à prendre leur autonomie en main vis-à -vis de l’appareil en raison notamment d’une législation obsolète. Du coup, c’est le principe de réalité qui l’emporte. Un « pragmatisme » qui se fait souvent aux dépens de la politique locale.
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On a pourtant voté une nouvelle Constitution ?
Oui, mais où sont les textes d’application ? Nous travaillons toujours avec l’ancien système. Nous avons besoin des lois organiques pour travailler. Cela dit, il y a clairement un avant et un après-Constitution. Ce texte révolutionnaire est un progrès indéniable pour instaurer la bonne gouvernance. Mais beaucoup reste encore à faire pour convaincre une classe politique déconnectée.
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Que vous a apporté l’INDH en matière de politique de proximité ?
Politique de proximité et politique sociale sont les deux éléments majeur de la philosophie de l’INDH. C’est un élargissement du champ du politique à ceux qui agissent réellement sur le terrain, à savoir les ONG. Pour nous, il s’agit là d’un apport inestimable dans la mesure où les financements sont souvent orientés vers des activités génératrices de revenus. Pour notre part, au niveau de la mairie de Tanger, sans l’apport de l’INDH, on n’aurait pas pu mener à terme le raccordement généralisé de toute la population à l’eau et l’assainissement. Bien entendu, d’une manière générale, l’INDH n’a pas pour vocation de se substituer à une politique gouvernementale défaillante.
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Je m’adresse maintenant au parlementaire. Où est passée l’opposition dont votre formation fait partie ?
Le PAM exerce effectivement son rôle de parti d’opposition mais dans la sérénité. Une opposition démocratique doit tenir compte de l’état d’urgence que traverse le pays, ce qui impose une certaine retenue. Les griefs contre l’équipe actuelle au gouvernement ne manquent pas mais il faut cultiver une intelligibilité de la conjoncture qui ne remette pas en cause une libéralisation politique acquise difficilement. Comment faire pour remobiliser les bases et fédérer les forces du changement ? On est parfaitement conscients des vices de ce raisonnement mais l’intérêt général du pays passe avant les considérations politiciennes.
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Comment expliquez-vous ce décalage profond entre le rythme imposé par le roi et le cafouillage qui semble marquer le travail du gouvernement ?
Qu’on ne nous ne dise pas que le gouvernement n’a pas les moyens de sa politique. Au lendemain des législatives qui ont propulsé les islamistes au pouvoir, Benkirane disposait de pouvoirs accrus pour s’attaquer au redressement du pays. Le chef de la majorité fait face certes au défi d’opérer à chaud, sous la pression de la crise économique et du bouillonnement de la rue, mais il a comme avantage d’avoir enfin les mains libres aux commandes, en vertu de la nouvelle Constitution. Si la majorité est incapable de répondre aux attentes des citoyens, c’est que les islamistes veulent le beurre des délices du pouvoir et l’argent du beurre de l’opposition, car ce gouvernement donne l’impression d’être en même temps au pouvoir et dans l’opposition.
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Quels sont les chantiers qui vous paraissent prioritaires dans l’action du gouvernement ?
Rétablir les comptes publics, retrouver la croissance, rendre à l’économie son dynamisme et rendre effective la Constitution par le vote des lois organiques. Or aucun de ces chantiers auxquels le gouvernement devait impérativement s’attaquer n’a été défriché jusqu’à présent par une équipe qui devrait au moins se soucier du respect des engagements pris auprès de ses électeurs.
Propos recueillis par Abdellatif El Azizi
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Le chaînon manquant
S’il est vrai que le Maroc a enregistré des avancées remarquables, beaucoup reste à faire toutefois. Notamment sur le front de la justice sociale et de l’égalité entre les citoyens.
Par Fouad Benseddik
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Mohammed VI n’a pas cultivé le goût de son père pour les sommets avec les chefs d’Etats arabes. Il a vu juste, évitant de s’afficher avec eux, bien avant que la plupart soient balayés par les Printemps 2011. Il a entretenu les bonnes alliances avec l’Europe et l’Amérique. Même si la coopération en Méditerranée reste bloquée, le Maroc apparaît comme le partenaire le plus fiable de la rive Sud. Il regagne sa place en Afrique de la meilleure façon qui soit, via le secteur privé. Sans doute aura-t-il intérêt aussi à regarder de plus près les routes de l’Asie.
La singularité du Royaume est de n’être ni une ex-province du califat ottoman, comme le reste des pays arabes, ni une créature postcoloniale. C’est un Etat étendu sur un territoire vaste comme un empire, qu’il a défendu pendant 13 siècles, et qui a été, à partir du XIXe siècle, méthodiquement saucissonné par les puissances européennes. La souveraineté sur le Sahara se pose aux Marocains en termes de libération nationale. Cette défense de l’intégrité territoriale est une constante sans laquelle il est difficile de comprendre la politique marocaine des dix, des quarante ou des cent cinquante dernières années. Le défi aujourd’hui est de réussir l’intégration de la société et de l’économie des provinces du Sahara, du bas vers le haut, en construisant le bon équilibre entre la démocratie locale, la justice sociale et la sécurité.
La machine de l’Etat a techniquement bien fonctionné au cours des dix dernières années. L’anticipation sociale et la justice ont cependant besoin d’être renforcées. Les choses auraient été dramatiques sans l’INDH. Le pays a paré aux urgences. Mais cela ne peut pas suffire à corriger les inégalités. Retisser la cohésion sociale suppose de garantir, même s’ils sont limités, l’effectivité des droits sociaux et l’égalité devant la loi. Ce qui exige de la volonté politique. Or la vie politique marocaine est plate. Les partis classiques qui, certes, ont longtemps enduré la répression, ont fini par s’enfermer dans une singulière situation de rente. Si on les critique, on sert les adversaires de la démocratie ; si on les ménage, c’est la démocratie qu’on retarde. Le PJD, il faut le reconnaître, a secoué ce cercle vicieux en gagnant sa place, par la base, grâce à une capacité d’organisation que ses compétiteurs seraient bien inspirés de méditer.
La société civile a mieux respiré ces dernières années, dans les journaux et les radios privées. Les associations se sont multipliées. Elles ont encore besoin de fabriquer leur propre maturité et d’observer des règles, notamment de démocratie interne. La nouvelle Constitution a donné des compétences renforcées aux organisations patronales et syndicales. Mais elles seules ne peuvent suffire à faire vivre la représentation, la régulation et la médiation. Les associations d’architectes, d’avocats, de comptables, de médecins, de notaires, de pharmaciens, de sportifs, et de tous ceux qui créent de la richesse, des arts ou du savoir, ont une responsabilité sociale qui a besoin de s’exprimer. L’autonomie et la vitalité des corps intermédiaires sont le chaînon manquant de la démocratie marocaine. |
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