Les propriétaires des logements confiés à General Contractor Maroc attendent toujours la livraison de leurs biens. Ce dossier sulfureux, géré par Benjamin Chetrit, et marqué par la passivité des principaux opérateurs, Der Krikorian et Al Omrane, gangrène l’opération Tamesna. Fathallah Berrada peine à convaincre sur ses capacités de redressement.
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Entre mer et nature ». Les agences de communication ne manquent jamais d’imagination?! Et en arrivant sur le site de la ville nouvelle de Tamesna, mieux vaut avoir de l’imagination… à plus d’une vingtaine de kilomètres de Rabat, la mer est un peu loin. Quant à la nature, si elle est bien présente, elle offre encore aujourd’hui un visage singulièrement ingrat, défigurée sur plusieurs centaines d’hectares par l’immense chantier d’une ville nouvelle qui doit accueillir, à terme, quelque 250 000 habitants. Pour l’heure, l’ensemble, érigé au milieu des champs et des pâturages, dont quelques dizaines de logements seulement ont été livrés, laisse planer bien des inquiétudes parmi la population pionnière.
«?Entre malversation et corruption?». Présentée comme cela, l’affiche est naturellement moins séduisante. Et pourtant. C’est bien de malversation et de corruption qu’il s’agit pour qualifier le cas le plus épineux de la réalisation des premiers logements de Tamesna.
Le dossier de General Contractor Maroc (GCM), cette société à laquelle le holding Al Omrane a accordé le 5 août 2005, l’adjudication de 1?500 logements clés en mains, de 5?000 logements (Lot B), dont 20?% à faible valeur immobilière (VIT?: 120?000 dirhams) avec équipements collectifs à réaliser (école, maison de jeunes et poste), et de quelques dizaines de villas, n’en finit pas de rebondir. On le croyait résolu fin 2009. Il n’en est rien.
Passivité des pouvoirs publics
évoquer ce dossier?–?qui voit des centaines de familles attendre encore en vain un logement pour lequel elles ont versé voici des années de confortables avances – c’est pénétrer dans un univers ou s’entremêlent au mieux la coupable passivité des pouvoirs publics, au pire des comportements empreints d’irrégularités, entachés d’illégalité, où les règles de bonne gestion ont rapidement laissé place aux pratiques les plus scandaleuses.
Au cœur de ce dossier, un holding public – Al Omrane – bras armé du ministère de l’Habitat, et deux associés qui ont déjà défrayé la chronique en 2005, lors de la reprise de la Marina Casablanca par la CDG (lire pages 18 et 19). La justice dira peut-être un jour sa vérité sur les faits qui lui seront soumis. Les plaintes ne manquent pas, déposées par les principaux protagonistes, sous un feu croisé qui ne manque pas de piquant. Benjamin Chetrit, l’homme aux identités multiples (lire encadré), ex-mandataire, fondé de pouvoirs, et président délégué de General Contractor, et André Der Krikorian, président du Groupe Der Krikorian, auront sans doute le loisir de s’expliquer devant la justice qu’ils viennent tour à tour de solliciter. En attendant, les tentatives de sauvetage de General Contractor semblent demeurer vaines?; et les acquéreurs douter du règlement de leur contentieux à l’égard du promoteur.
L’année 2010 a pourtant failli bien commencer. Le 29 décembre dernier, le sourire était de mise. Posant pour la photo, après avoir signé un «?mémorandum d’entente?», Fathallah Berrada, le nouveau patron de General Contractor, Miloud Hachimi, président de l’association Tamesna pour le développement et la solidarité (ATDS) –?une association de clients en colère –, Abdelkader Kaioua, inspecteur régional du ministère de l’Habitat, chargé par Ahmed Taoufiq Hejira d’une mission de médiation et quelques responsables du holding Al Omrane se félicitent d’avoir pu arracher, auprès des repreneurs de la société General Contractor, un calendrier précis de livraison des appartements et villas acquis par les acquéreurs. Mise sur pied en août 2009, après que les clients lésés par des années d’attente de la réception de leurs biens ont sollicité l’arbitrage du ministère de tutelle, la commission de médiation a obtenu des opérateurs une livraison rapide et progressive des logements.
Des ventes illégales
Trois mois plus tard, le sourire s’est figé. Les investisseurs emmenés par Fathallah Berrada, ancien président de la Bourse de Casablanca, n’ont toujours pas convaincu Al Omrane de leurs capacités financières, techniques et juridiques pour assumer, sans nouveaux dommages, la réalisation des programmes confiés à General Contractor. En clair, la surface financière des nouveaux opérateurs apparaîtrait nettement insuffisante, et leurs capacités à mener à bien un chantier d’une telle importance singulièrement limitées. Le holding public a donc annoncé son intention de se substituer à la société défaillante pour assurer la bonne fin des travaux et permettre, enfin, aux acquéreurs de prendre livraison de leurs logements dans les meilleurs délais.
Des primo-actionnaires défaillants, relayés par de nouveaux investisseurs sous l’œil bienveillant de la puissance publique?: le scénario aurait pu être idéal. Mais dans le dossier General Contractor, rien ne semble devoir répondre aux règles de bonne gestion. Et Al Omrane, qui a longtemps préféré ignorer les dysfonctionnements de la gestion de Benjamin Chetrit, se trouve bel et bien contraint de pallier ses propres insuffisances. Les quatre années de gestion pilotées par le mandataire du groupe Der Krikorian n’ont pas fini de révéler toutes leurs turpitudes. Au premier rang de celles-ci, des ventes de logements réalisées en parfaite illégalité au regard de la loi de la VEFA (Vente en l’Etat Futur d’Achèvement), pourtant expressément précisée dans la convention signée entre General Contractor et Al Omrane. Ventes qui ont permis à Benjamin Chetrit d’encaisser des sommes extrêmement importantes au bénéfice de GCM, mais dont la traçabilité laisserait aujourd’hui grandement à désirer. Et sur l’utilisation desquelles la Justice aura sans doute à se prononcer.
La détresse de clients toujours en attente de livraison, le désarroi d’entreprises non payées, l’arrêt progressif des chantiers, le non-respect du cahier des charges?: les éléments n’ont pas manqué qui auraient pu et auraient dû susciter la mobilisation d’Al Omrane. Le holding public, en charge de l’aménagement de la ville nouvelle de Tamesna, est pourtant resté sourd et aveugle à tous les signaux d’alarme. Une telle cécité pose question(s).
Une convention bafouée
Ainsi, s’agissant du non-respect de la VEFA, la réponse de Nabil Kerdoudi, PDG d’?Al Omrane Tamesna ne manque pas de surprendre?:?«?Effectivement, dans l’ancien accord, cela n’a pas été fait. Mais, il faut dire que la majorité, voire la quasi-totalité des ventes réalisées jusqu’à présent par les autres promoteurs dont Addoha, qui est pourtant coté, ne respectent pas cette disposition légale. Nous avons veillé à remédier à cela. Nous avons l’engagement de GCM à livrer tous les clients qui ont versé des avances et à respecter les dispositions de la VEFA pour les futures transactions.?» Et, interrogé sur la passivité de son holding sur les dysfonctionnements de la gestion de GCM, la réponse de Nabil Kerdoudi demeure tout aussi désarmante?:?«?Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ! On voyait bien à un certain moment qu’il y avait des risques. GCM était confronté à de graves problèmes financiers, stratégiques et de gestion. Ce qui ne lui a pas permis de respecter ses engagements vis-à -vis de ses clients. On ne pouvait pas payer à sa place ses fournisseurs. Pour le programme Amal 1 (recasement des bidonvillois), nous avons continué à payer les entreprises pour éviter que le chantier ne s’arrête. Sur ce programme, GCM assure juste la maîtrise d’ouvrage... »
«?Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse?!?» Respecter la «?convention de partenariat?» signée entre les deux partenaires le 25 novembre 2005 peut-être… Celle-là même qui, en son article 14 stipule que « la présente convention sera résiliée de plein droit sans qu’il soit besoin d’accomplir une quelconque formalité dans les cas suivants : (…) manquements graves aux règles de l’art (…), non-respect des prescriptions techniques définies dans le cahier des charges et/ou engagements souscrits par le partenaire, dépassement supérieur à six mois de l’échéancier d’exécution prévu?». Un article 14 qui, si Al Omrane avait assumé ses responsabilités en temps opportun, aurait sans doute évité aux acquéreurs, tenus de longs mois dans l’ignorance, de menacer de recourir à la justice pour se faire entendre.
Le rĂŞve tourne au cauchemar
Etait-ce trop demander, s’étonnent aujourd’hui les clients lésés, que de s’assurer de l’état d’avancement du chantier, du respect du cahier des charges, de la légalité des contrats passés par le prestataire??... «?Franchement, observe cet acquéreur d’un appartement Hiba qui aurait du lui être livré en octobre 2008, quand on voit comment le citoyen marocain est protégé dans cette affaire, cela ne donne pas envie d’acheter au Maroc… J’ai hésité entre soit acheter au Bled, soit en France, et je pense que j’ai fait un très mauvais choix… Quelle galère?!?»
Sur le papier, il est vrai, tout permettait d’envisager une réalisation exemplaire, permettant à nombre de Marocains de réaliser leur rêve d’accès à la propriété, dans un environnement de cité moderne dotée des meilleurs équipements et services. Et si le rêve a rapidement tourné au cauchemar pour quelques milliers d’entre eux, c’est bien en raison du comportement douteux du gestionnaire de General Contractor, de la passivité de son partenaire français, et de l’incroyable force d’inertie qui a animé des années durant le holding Al Omrane Tamesna. Une inertie qui confine parfois à la complicité.
La convention qui lie Al Omrane et GCM est on ne peut plus claire. Or, les entorses à cette convention ne manquent pas qui, au fil du temps, auraient dû alerter les responsables d’Al Omrane. En cause?:?le changement d’actionnaires réalisé à l’occasion d’une augmentation de capital le 10 février 2006 par Benjamin Chetrit –?en dehors de tout respect de procédure?–?; l’absence de divers procès-verbaux au fil de la construction (dossiers de permis de construire)?; la mise en place des financements selon chaque phase?; le non-respect des dates d’achèvement ; le non-respect de la clause des modalités de paiement des terrains?; l’absence de transfert de propriété?; les irrégularités dans les rapports trimestriels de commercialisation et les rapports trimestriels relatifs aux investissements réalisés… Autant de dysfonctionnements, à tout le moins d’interrogations, à même d’alerter sur la gestion de GCM. Il faudra attendre la mi-2009, la mise en place de la commission de médiation et surtout les négociations entamées, pour assurer la reprise de GCM par de nouveaux actionnaires et dévoiler progressivement l’étendue des dégâts engendrés par la gestion de Benjamin Chetrit, avec le soutien qu’André Der Krokorian n’hésite pas à qualifier «?d’abusif?» de la BMCE (lire interview pages 20 et 21).
Fausses factures
La reprise de GCM par Fathallah Berrada et ses associés leur réservera bien des surprises. «?Malversations et fausses factures?», selon un proche du dossier, conduiront les nouveaux actionnaires et André Der Krikorian à porter plainte contre Chetrit. Trois plaintes déposées auprès du procureur du roi à Casablanca n’ont pas laissé l’ex-mandataire de GCM insensible, qui a, à son tour, déposé plainte contre André Der Krikorian. «?C’est une vieille affaire?», affirme aujourd’hui Benjamin Chetrit à actuel. «?Elle n’est plus d’actualité. J’ai retiré ma plainte. Nous avons signé un accord avec Der Krikorian, et nous avons même prévu qu’il n’y aurait plus d’agression entre nous. Je devais être payé de mes actions. Je les ai récupérées, il n’y a plus de procédure en cours… Vous savez, Der Krikorian, c’était le président, moi je n’étais que le délégué…?» Plaintes retirées ? André Der Krikorian dément ! L’épilogue pénal demandera assurément quelques années de procédure…
Pour l’heure, c’est de la livraison des logements en bonne fin d’achèvement dont il s’agit. Et de la responsabilité de l’opérateur. Mais quel opérateur?? Fathallah Berrada affirme tout mettre en œuvre pour redresser la situation et procéder à la livraison des logements dans les meilleurs délais. Al Omrane fait valoir des réserves sur les capacités du repreneur, et, surtout, sur la légalité du transfert de propriété. Un différend qui pourrait, là aussi, faute d’un accord en cours de négociation, et compte tenu des enjeux financiers, se terminer devant les tribunaux.
Car s’il est permis de s’interroger sur l’intérêt porté par les partenaires de Fathallah Berrada aux chantiers de Tamesna, eu égard aux multiples dérives enregistrées, sans doute faut-il voir au-delà de ce seul projet. L’enjeu financier en cours n’est naturellement pas neutre. L’achèvement du programme concédé à GCM devrait, selon un fin connaisseur du dossier, se monter à quelque 631,8 millions de dirhams. Un somme à mettre en parallèle avec les quelque 630 millions de dirhams à recouvrir pour le solde de la vente des villas et logements. En clair, le dossier pourrait se solder par une opération blanche, ou en très léger déficit.
En réalité, l’intérêt des nouveaux action-naires se porte sans doute moins sur Tamesna que sur les deux pépites que détient GCM. La société serait en effet propriétaire de 5 hectares à Salé, et de 6 hectares à Mohammedia/Ben Slimane. Deux lots qui pourraient, selon André Der Krikorian, laisser respectivement 140 millions et 240 millions de dirhams de marge nette à leurs gestionnaires. De quoi nourrir l’activisme des nouveaux bailleurs de fonds de GCM pour tenter de conserver la maîtrise des chantiers en cours à Tamesna.
Henri Loizeau |
Chetrit, l’homme aux multiples identités
« André Der Krikorian était le président, moi, je n’étais que le délégué… », affirme aujourd’hui Benjamin Chetrit, face à la conjonction des dysfonctionnements révélés sur sa gestion. Délégué certes, mais avec les pleins pouvoirs. La procuration signée par le président du groupe Der Krikorian, le 9 août 2005, ne supporte aucune ambiguïté. Benjamin Chetrit y est désigné comme étant « le mandataire », à l’effet de « régir, gérer, administrer, tant activement que passivement tous les biens et futurs du constituant », alias Der Krikorian. Un mandataire qui n’hésite pas parfois à se prévaloir, dans des documents parfaitement légalisés, de plusieurs identités : tantôt Benjamin Chetrit, tantôt Jaimes Benchetrit. à quelle fin ? |
Les eaux troubles de la Marina Casablanca
«?Je serai à l’inauguration de la Marina?!?» André Der Krikorian ne pèche pas par pessimisme. Accusé de toutes les turpitudes, condamné par la justice française sur la foi des plaintes déposées par son ex-associé, le patron du groupe Der Krikorian veut encore croire en la justice. L’avenir lui donnera, peut-être, raison. « Moi, affirme aujourd’hui cet octogénaire toujours amoureux du Maroc, je ne connais qu’une vérité, celle que disent les tribunaux.?» Or, selon ses dires, la Cour suprême du Maroc vient – après trois années de procédure – de casser le jugement de la Cour d’appel qui a, dans un premier temps, donné raison à son ex-associé Lévy. Le dossier de la Marina Casablanca devrait donc être à nouveau plaidé. La transformation de la SA en SARL aurait été fondée sur des faux. Avec cette décision de la Cour suprême, André Der Krikorian ne désespère pas de refaire valoir ses droits devant la justice française et d’engager une demande de révision de son procès. Un procès qui, selon Der Krikorian, a permis à Lévy d’obtenir la vente de tous ses biens, et la saisie de 80% de sa retraite.
Le patron du groupe français continue d’ailleurs de réfuter tout «?échec?» dans le dossier de la Marina. Certes, la CDG, a repris le dossier en échange d’une indemnité de 380 millions de dirhams. Mais c’est bien les conditions d’évaluation de cette indemnité qui pourraient poser question. Car, au moment de la mise en œuvre des financements nécessaires par General Contractor sur l’opération Tamesna, le blocage du dossier, par l’Office des Changes, du rapatriement par Der Krikorian d’une partie de cette indemnité a soulevé bien des interrogations. Rapatrier en France plusieurs dizaines de millions de dirhams n’est pas une mince affaire. Et l’Office des Changes veille à la transparence. Or, selon l’Office, la véracité des justificatifs présentés pour valoriser le montant de l’indemnité n’est pas avérée.
Et les comptes déposés de la Marina, avant sa reprise par la CDG, n’apparaissent pas totalement sincères. Pire, aux yeux de l’Office, la transaction acceptée par la CDG que préside alors Mustapha Bakkouri, en dehors de toute transparence, apparaît quelque peu «?fantaisiste?», alors même que le montant de l’indemnisation aurait du être apprécié au regard des «?remboursements?» des seuls frais engagés par les partenaires sur le chantier. Les factures proposées n’auraient été que fictives, en tout cas inexistantes lors de l’enquête de l’Office des Changes.
Par ailleurs, l’examen des documents signés avec la CDG révèlerait, selon l’un des fins connaisseurs de ce dossier, qu’une partie de l’argent versé par la CDG aurait été détourné par… Benjamin Chetrit, « avec la complicité de l’une des entreprises présentes sur le chantier de la Marina ». Et ce, « par le biais d’une délégation de créances des sommes dues par la CDG au titre du projet, pour le compte de la société Groupe Der Krikorian, mais directement à des créanciers figurant sur une liste annexée à l’avenant signé à cet effet ». La Marina Casablanca version Lévy-Der Krikorian n’a sans doute pas encore livré tous ses secrets…
H. L. |
André Der Krikorian : « Où est passé l’argent des clients ? »
Le patron du groupe Der Krikorian affirme avoir découvert tardivement les dysfonctionnements de la gestion de son mandataire à la tête de General Contractor. Et s’en remet à la justice pour « dire la vérité ». Entretien.
Imprudent, André Der Krikorian? Léger, avanceront certains qui ne manqueront pas de s’étonner de l’absence de contrôle du Groupe Der Krikorian sur General Contractor Maroc et son mandataire Benjamin Chetrit. Un manquement aux règles de bonne gouvernance qui relève, ici, d’une présidence mal assurée. Conscient du risque encouru de « complicité passive », André Der Krikorian assume. Et dit « sa » vérité.
Comment ĂŞtes-vous intervenu sur le projet Tamesna ?
André Der Krikorian : Je venais de finaliser la cession de la Marina Casablanca à la CDG, et de toucher l’indemnité qui nous était due. J’ai remis quelque 90 à 100 millions de dirhams dans Tamesna. J’ai donné plein pouvoir à mon directeur général (ndlr : Benjamin Chetrit). Et je me suis malheureusement aperçu beaucoup trop tard qu’il avait réalisé des fausses factures, détourné de l’argent… Moi, vous savez, je lui faisais entièrement confiance. Je gère plus de cent sociétés en France, et des projets un peu partout dans le monde… Je ne peux pas être en permanence partout. Je n’ai pas encore le don d’ubiquité?! Lorsque les chantiers de Tamesna ont commencé à dysfonctionner, courant avril 2008, j’avais approché la BMCE et nous nous étions mis d’accord sur un contrat de vente de GCM sur la base de 400 millions de dirhams. Un mois plus tard, mon directeur général voyait seul la BMCE en leur proposant de lui accorder un crédit pour racheter mes parts ! Mais la crise est arrivée, le crédit lui a été refusé. à partir de là , Chetrit a arrêté de payer les entreprises et les fournisseurs, et mis en difficulté les chantiers. C’est Air France qui m’a alerté en décembre 2008 car il n’avait pas honoré le paiement de leurs créances depuis plus de trois mois !
Comment avez-vous réagi ?
Je n’étais pas étonné… Mais je me suis dit : il a peut-être été faible et commis quelques erreurs… Chetrit me dit simplement que les ventes ont ralenti, d’où des difficultés de trésorerie. La banque m’a appelé en avril 2009, elle venait de rejeter sept chèques. Je ne pensais pas que le mal était aussi profond. J’ai fait un point avec la BMCE sur les dettes en juin. Je leur ai demandé huit mois pour rétablir la situation. Mais ils ont refusé?! En réalité, je me suis aperçu que la BMCE avait fait du soutien abusif. GCM avait droit à une ligne de crédit de 50 millions de dirhams. Or, ils sont allés bien au-delà . Et quand je suis intervenu, ils ont pris immédiatement des hypothèques?! Ils ne voulaient pas me voir !
Vous étiez pourtantle président de GCM !...
Oui, bien sûr, et je vois bien que l’on pourra peut-être m’accuser de complicité passive. Mais je me suis sans tarder porté acquéreur des actions détenues par Chetrit, avec promesse de les lui régler si je trouvais à revendre. J’ai aussi remboursé toutes les petites victimes. Pas les entreprises, mais les plus modestes des acquéreurs, à titre personnel. J’ai pris des arrangements avec toutes les entreprises, fait connaître publiquement par insertion dans les médias mon programme de redressement. Et je suis revenu devant la BMCE. Ils voulaient que je rapatrie de France quelque 2 millions d’euros (22 millions de dirhams) de capitaux ! Mais dans le même temps, mon notaire m’a présenté des investisseurs et, à partir de juillet 2009, j’ai envisagé la cession car ça devenait insupportable.
Vous n’avez pas pris contact avec Al Omrane ?
Si, bien sûr. Et il y a même eu des réunions avec le ministère de l’Habitat. Le problème est devenu politique. Or, moi, je ne fais pas de politique. Le 9 juillet, j’ai repris les titres de Chetrit. Le 9 septembre, j’ai cédé l’ensemble à mes successeurs, un groupe d’actionnaires emmenés par Fathallah Berrada. J’avais rencontré deux fois Al Omrane qui voulait reprendre, mais j’avais donné ma parole. Al Omrane reste responsable de tout le programme. Ils n’ont pas fait leur travail de surveillance. Ils n’avaient personne pour le faire?! Ils ont trouvé des pigeons, dont Der Krikorian. Quant à Berrada, il a demandé un délai de six mois, et s’est engagé à remettre tout le chantier en piste. Je doute qu’il y arrive ! Ce ne sont pas de vrais entrepreneurs. Ils jouent «?politique?» avec leurs relations. Je le vois comme ça…
Comment avez-vous pu laisser filer ainsi la gestion de votre mandataire ?
Je fais des affaires depuis plus de 50 ans ! Vous savez, il y a des bons et des mauvais. Il faut laisser la justice faire son travail. Laissons les preuves venir… J’ai déposé plainte auprès du procureur sur la base de plusieurs éléments, malversation, détournement de fonds, escroquerie... Si Chetrit était en France, il serait déjà en prison depuis longtemps. Il y a par ailleurs une plainte déposée par Fathallah Berrada à l’encontre de Chetrit après qu’il a découvert des anomalies dans la gestion de GCM.
On peut vous reprocher votre imprudence et vos engagements non tenus…
Plus maintenant ! J’ai fait en sorte que mes successeurs réussissent leur objectif. Après réalisation des opérations en cours, il leur restera les terrains à Salé (5 hectares) et Mohammedia/Ben Slimane (6 hectares). C’est pour ça qu’ils ont repris cette affaire?! Moi, je ne pouvais pas continuer, ni réinvestir, car je ne peux pas rapatrier de fonds en France. Je ne regrette qu’une chose?: ne pas avoir repris l’ensemble plus tôt pour le revendre en temps opportun.
Propos recueillis par Henri Loizeau |
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