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Couples mixtes : Amours sans frontières
actuel n°148, vendredi 29 juin 2012
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Si au vert et rouge, nous faisons de plus en plus le choix d’ajouter d’autres couleurs, le choix de l’ouverture sur l’autre, cet étranger que nos ancêtres redoutaient tant, le choix de la liberté. La mixité est devenue monnaie courante au Maroc. Non sans risque.
Dossier réalisé par Asmaa Chaidi Bahraoui
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Le mariage mixte, c’est le calcul des probabilités les plus improbables. » Cette déclaration-choc de Hassan II à une journaliste française, lors d’une interview, peut paraître anecdotique mais, en y regardant de plus près, le monarque était plutôt un homme éclairé. Au Maroc, en l’absence de statistiques et d’enquêtes sur le sujet, nous sommes partis à la rencontre de quelques couples maroco-étrangers, histoire de vérifier la véracité de ces propos. Le couple en soi étant assujetti à toutes sortes de discordes, comment vit-on au quotidien avec un étranger ? Comment affronte-t-on le regard de la famille, du voisin, le poids de la société ? Trois couples ont bien voulu se prêter au jeu des questions. Daouda et Mariam, Tzvetomira et Adil et Fouzia et Robert ont accepté de répondre à nos questions indiscrètes.
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François, mon amour
Une chose est certaine : les couples franco-marocains tiennent le haut du pavé. Avec 5 000 mariages par an de Marocaines avec des Français, nous sommes certains de perpétuer les liens viscéraux qui nous ont longtemps unis et nous unissent encore à l’Hexagone. De surcroît, ce chiffre va crescendo, et se marier avec un étranger n’est plus exclusivement réservé aux hommes. Qu’est-ce qui motive donc ces femmes de tout âge à casser les tabous en s’unissant à des non-musulmans (de naissance) ? Où est passé l’adage populaire nous sommant de ne pas perpétuer le colonialisme en épousant le Français ? Les rapports entre la France et le Maroc étant anciens, des alliances se sont créées depuis quelques générations déjà . Les premiers lettrés francophones marocains ayant ramené dans leurs bagages, à la fin de leur cursus universitaire, quelques belles étrangères. Ils ne vécurent pas forcément heureux. Ces premières unions ont néanmoins donné naissance à de beaux métissages. De génération en génération, cette tendance s’est accentuée, et les vieux clichés se sont évanouis, comme par enchantement. En somme, l’étranger et l’étrangère sont de plus en plus admis dans le circuit fermé des petites familles marocaines, comme pour faire écho à notre hospitalité légendaire. Chacun ayant trouvé chez l’autre ce qu’il ne trouvait pas dans sa propre société : une beauté différente, une liberté, une ouverture d’esprit, un exotisme ou une histoire d’amour… tout simplement.
Africains malgré nous, Maghrébins for ever
Au Maroc, on ne se marie pas seulement avec des Français. La proximité culturelle, la langue partagée, ne sont pas les seules raisons qui font battre les cœurs. Les mariages mixtes se diversifient et se démocratisent. On y trouve un peu de tout : unions maroco-russe, maroco-espagnole, maroco-polonaise, maroco-sénégalaise… même si les unions avec des Français détiennent la palme, ce ne sont pas forcément celles qui fonctionnent le mieux. Contrairement aux idées reçues, ce sont les mariages afro-africains qui réussissent le mieux, même si l’on ne dénombre que cinq unions par an entre Marocaines et Subsahariens. Par ailleurs, malgré les tensions politiques entre l’Algérie et le Maroc, les mariages entre ressortissants de ces deux pays frontaliers sont souvent une réussite. Et pour cause ! Les frontières étant récentes, la question de la nationalité ne se posait pas pour sceller une union. Les mariages entre Oujdis et leurs voisins oranais étaient légion dans l’Est. Ensuite, l’immigration en France s’est chargée de renforcer les liens entre les deux communautés maghrébines. Se considérant viscéralement proches, dans la ghorba (le sentiment d’exil, ndlr), épouser un Algérien, courageux et droit par définition, était privilégié. Les Tunisiens et les Egyptiens viennent en seconde position, selon Hammadi Bekouchi, sociologue.
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Cliché quand tu nous tiens
Entre les Marocains et les Européens, c’est une tout autre histoire. Cela s’explique d’abord géographiquement et puis, historiquement. A propos des mariages avec des étrangers, chacun a sa petite idée, et y va de son propre cliché. Certaines femmes aspirent à plus de liberté en épousant un Français. Des hommes recherchent dans les yeux bleus et les formes plantureuses des Européennes de l’Est, une certaine forme de féminité, un tempérament calme et susceptible de s’adapter à la culture marocaine avec ses sacro-saintes traditions, sa religion, son machisme, sa belle-famille et tout le tralala… C’est ainsi qu’une vague d’unions avec des Polonaises, Russes, Ukrainiennes a envahi le Maroc depuis que l’on a découvert que l’on pouvait devenir médecin ou pharmacien en suivant des études dans l’ex-URSS. D’autres encore, recherchent juste une carte de séjour, une nationalité… Les clichés étant ce qu’ils sont, il arrive parfois que l’on soit dans de fausses attentes.
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Pour le meilleur mais pas pour le pire
« Les histoires d’amour finissent mal en général », chante Catherine Ringer. Cela se vérifie d’autant plus lorsqu’on est de deux nationalités différentes et que la société dans laquelle nous vivons n’accepte pas notre douce moitié. « Il a fallu que je me fasse psychanalyser pour accepter le regard inquisiteur des gens dans la rue lorsque j’ai commencé à sortir avec Sébastien », raconte Ayda, 29 ans, cadre bancaire. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, nous sommes mariés, j’ai surpassé mon malaise, mais pas lui. » « Sans vraiment que j’en sois consciente, je redoutais grandement le regard de ma famille, des voisins et de la société lorsque je sortais accompagnée de ce gawri, mon mari », témoigne Niima, 38 ans, gérante d’un magasin de maroquinerie haut de gamme. « Heureusement que nous avons fait le choix d’aller vivre dans son pays. En Suisse, nous baignons dans l’anonymat », assène Niima. Si la plupart des jeunes Marocaines d’aujourd’hui préfèrent rester au pays, c’est parce qu’elles ont réussi là où beaucoup de jeunes hommes ont échoué. Elles sont autonomes financièrement. Elles n’ont pas besoin de gawri pour avoir un visa. L’Europe, elles connaissent. Elles y ont fait leurs études. Ainsi, Salma et Alex se sont séparés moins d’un an de mariage plus tard, parce que tous les deux étaient très attachés à leur pays respectif. La société marocaine est en pleine mutation. Elle s’éloigne des traditions rigides et s’émancipe de plus en plus. L’on devait s’attendre à ce que les mariages mixtes suivent la tendance des mariages maroco-marocains, avec leur lot de déceptions, de rejets et de divorces. « Aujourd’hui, tout est démocratisé. On nage dans un cafouillis, pas forcément dans le bon sens. Les nouvelles vertus de la société libérale nous plongent forcément dans un environnement à risque », conclut le sociologue.
Asmaa Chaidi |
Fouzia et Robert : « On avait les mêmes valeurs »
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Youssef n’a rien vu venir. En organisant une soirée anniversaire à Paris ce 17 septembre 2002, l’ami commun de Robert et de Fouzia n’imaginait pas bouleverser la vie de ses deux amis. Tous trois étaient ou avaient été des collaborateurs de Paribas au Maroc, mais si Robert et Youssef avaient l’habitude de se fréquenter, Fouzia ne connaissait de Robert que l’aspect professionnel. Et si Robert avait quitté Paribas en 1989, après huit années passées au Maroc, pour regagner la France, Fouzia était, elle, toujours cadre bancaire à Casablanca, à la Société Marocaine de Dépôt et de Crédit (SMDC). « Cette soirée, je ne voulais pas y aller ! », observe encore aujourd’hui Robert. Divorcés tous les deux, le Français et la Marocaine, alors tous deux quinquagénaires, n’envisageaient pas de se remarier un jour. « Le destin, reconnaissent-ils, en aura décidé autrement. »
La soirée anniversaire n’est pas restée sans lendemain. Quelques coups de fil et rendez-vous plus tard, « les choses se sont déroulées avec un naturel impressionnant », déclare Robert. Neuf mois plus tard, familles et amis se retrouvaient pour célébrer le mariage de ce nouveau couple mixte. « Nous souhaitions vivre ensemble, déclare Fouzia, or au Maroc, on ne peut pas vivre maritalement. Nous nous sommes mariés pour respecter la loi. » Pour respecter la loi, certes. Mais surtout par amour.
Depuis, le couple partage son temps entre le Maroc et la France. Neuf mois à Casablanca, trois mois dans les Landes, autre fief familial. « J’aime mon pays, note Robert, mais quand j’y reste trois mois, je me dis “je veux revenir chez moi !” » Au Maroc ! « Dans les couples mixtes, observe Fouzia, le problème peut parfois venir de la religion. Or, moi, je suis de culture musulmane, mais pas pratiquante. Je vis tout aussi bien à l’occidentale qu’à la marocaine. ça n’a donc pas changé grand-chose dans ma vie. » « Ni l’un ni l’autre ne sommes pratiquants, ajoute Robert. Mais, musulman ou chrétien, nous avions les mêmes valeurs, d’ouverture et de tolérance. Des valeurs communes aux deux religions. »
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Quelques frictions
Leurs différences culturelles affleurent pourtant, parfois. Sans qu’elles soient pénalisantes, loin de là . « Robert exprime plus son amour pour moi, il peut être plus expressif dans les sentiments, plus… tactile », note Fouzia. Ce à quoi Robert répond : « Elle peut être représentative de l’éducation de la femme marocaine, sans vénération mais omniprésente et très attentionnée… » Trop ? « ça peut arriver ! », au point parfois d’avoir envie de dire « laisse-moi respirer... »
Leur double culture surdimensionne-t-elle les difficultés inhérentes à toute vie de couple ? « Si cela arrive, il faut laisser passer… mais, oui, ça peut arriver », reconnaissent-ils. Entre un Robert, plutôt cartésien, méticuleux ascendant maniaque et une Fouzia assez encline à prendre, par exemple, la défense du personnel de la maison, il peut y avoir quelques frictions. « On laisse passer l’orage, mais ça peut être cash… »
Mais, observent-ils, « on ne se crée pas de contraintes. Nous ne sommes guidés que par une seule chose. Se faire plaisir et faire plaisir aux gens que l’on aime ». L’Aïd ou Noël sont célébrés avec autant de plaisir et d’enthousiasme. « Je suis un épicurien devant l’éternel et je trouve un plein épanouissement à vivre toutes les fêtes, familiales ou religieuses », remarque Robert. « Mon mari m’apporte tout ce que je ne connais pas sur l’art culinaire, l’art de vivre », note Fouzia. La « mixité » leur serait presque étrangère. « Nous sommes avant tout un couple, observent-ils. Etre un couple mixte, ce n’est ni un handicap ni un avantage. Ou peut-être si, un avantage en ce qu’il apporte une ouverture certaine. Nous nous enrichissons mutuellement, intellectuellement, socialement, sentimentalement. Au fond, un couple mixte, c’est une vraie relation d’amour. »
Y.B. |
Cinq raisons d’un échec
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1. « “Vous êtes toutes des assistées !” est le premier reproche qu’Alexandre m’a fait. C’est que du haut de mes 25 ans, je vivais encore chez mes parents avant de l’épouser. Par conséquent, même après être devenue “madame untel”, il a fallu que ma nounou vienne me donner un coup de main pour la gestion de la maison. Monsieur, lui, est devenu “marocain” en me laissant prendre en charge toutes les tâches ménagères. » Loubna, gestionnaire dans un cabinet d’audit.
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2. « Il a refusé de se convertir à l’islam. Concrètement, je veux dire. Je ne me voyais pas continuer à vivre avec un homme qui buvait de l’alcool à table en plein mois de Ramadan, sans respect pour ma religion. J’en ai peut-être fait un peu trop en voulant, au départ, lui imposer à tout prix ma religion. Au fond, je n’ai jamais intégré le fait qu’il soit athée. Je n’ai pas respecté ses convictions et il en a fait de même à mon égard. Heureusement que nous n’avons pas eu un garçon. Il se serait opposé à sa circoncision ! Ma fille, au moins, je peux encore l’orienter vers mes propres valeurs. » Karima, 33 ans, banquière.
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3. « “Ta famille est une tribu !” c’est la remarque préférée de John pour critiquer mon attachement à ma famille. L’Anglais de base qu’il est n’arrivait pas à concevoir que je puisse financer les séances de dialyse de mon petit frère, arguant que cet argent (que j’ai gagné en travaillant dur) serait mieux employé dans la construction de notre ménage, et que mon frère n’avait qu’à se débrouiller en attaquant le gouvernement de mon pays en justice pour non-assistance à personne en danger. » Khadija, 57 ans, directrice d’une crèche.
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4. « Il manque de galanterie, chose que j’apprécie énormément chez les hommes. Je ne conçois pas de mettre la moitié de mon salaire dans les dépenses de la maison alors que Matt gagne cinq fois le mien. » Sofia, gérante d’une galerie d’art.
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5. « En se convertissant à l’islam, mon mari, de nationalité allemande et athée à la base, s’est complètement radicalisé. Il m’a demandé de porter le voile. » Leila, 30 ans, secrétaire. |
Daouda et Mariam Mbaye
« L’amour dure au moins 20 ans »
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Daouda et Mariam représentent certainement le meilleur exemple d’ouverture et d’acceptation de l’autre. Mariés depuis plus de vingt ans et parents de quatre enfants, pour ce couple, seul l’amour a droit de cité.
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actuel : Racontez-nous votre rencontre…
Daouda et Mariam Mbaye : C’est par le plus heureux des hasards que nous nous sommes connus. Nous avons traversé la rue, quasiment au même moment ! Elle sortait d’une laiterie, et moi je ne sais plus d’où je venais ce jour-là ... Nous avons échangé nos adresses et promis de nous revoir...
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Quelles sont les difficultés auxquelles vous vous êtes heurtés lorsque vous avez décidé de vous unir ?
Mises à part les précautions d’usage de nos deux familles, ce qui nous a beaucoup gênés, c’était surtout toute la paperasse à réunir. Il y avait énormément de documents à fournir. Outre les certificats de célibat et capacité reçus respectivement de Dakar et du consulat du Sénégal à Casablanca, il fallait des autorisations des ministères de la Justice, des Affaires étrangères et de l’Intérieur du Maroc... Toutes ces démarches sont venues s’ajouter aux tractations chez l’adoul...
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Le fait d’être de la même religion a-t-il facilité votre alliance ?
Je crois que oui, vu que les non-musulmans doivent se convertir au préalable !
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Avez-vous été confrontés à des problèmes d’ordre interculturel en vivant ensemble ?
Nous avons tenté autant que possible, d’éviter le fameux : « Tu sais, chez nous... ». Néanmoins, je dois avouer qu’il existe des différences fondamentales entre nos deux cultures. Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, cela nous rapproche. Souvent, on est plus indulgent l’un envers l’autre. Nous nous disons que c’est parce qu’il(elle) vient d’ailleurs qu’il(elle) ne comprend pas... Ce fut le cas lorsque j’ai dû héberger à la maison, d’abord un ami d’enfance, qui a débarqué de Dakar sans m’avertir, puis deux amis de ma femme, dans les premières années de notre mariage. J’allais au travail et je laissais ma femme avec trois jeunes hommes qui n’étaient pas mes frères. Elle et sa famille l’ont mal pris et me l’ont fait savoir. Avant de leur trouver un autre hébergement, j’ai dû trancher, soutenant qu’au Sénégal, cela était possible, que notre amitié était sincère...
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Le fait de vivre dans le pays de votre femme plutôt que dans le vôtre n’est-il pas une concession en soi ?
Il n’y a pas l’ombre d’une concession. Dans notre cas, mon épouse est prête à me suivre dans n’importe quel pays. Si demain mes projets sont amorcés au Sénégal, nous prendrons le premier avion.
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Hassan II avait dit lors d’une interview : « Le mariage mixte, c’est le calcul des probabilités les plus improbables. » Qu’en pensez-vous ?
Quand on s’aime, on ne calcule pas. Pour nous, la lune de miel dure depuis plus de vingt ans. Pourvu que ça continue !
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Le regard des gens dans la rue a-t-il évolué depuis votre mariage ?
Le fait que ma femme soit elle-même issue d’un mariage mixte a peut-être rendu le regard des gens plus indifférent. Cependant, dès qu’elle s’exprime en darija, souvent, elle se voit rétorquer : «Mais y avait-il pénurie de Marocains pour que tu te maries avec un Sénégalais ? »
Etre issus de parents mixtes, est-ce une richesse pour les enfants ?
C’est un très grand acquis. Les enfants bénéficient d’une double culture. Leurs deux nationalités se complètent. Elles ne se heurtent pas. Souvent, ils sont très sévères vis-à -vis des compatriotes de l’un ou l’autre. La gabegie, la corruption et l’absence de politique de développement cohérente, par rapport au potentiel de mon pays sont vilipendées par mes enfants, surtout par les plus grands. Tout comme ce désir de quitter le pays, perceptible chez les jeunes Sénégalais. D’un autre côté, mon aînée n’avait pas cinq ans lorsque, dans un bus, elle a rabroué en darija deux jeunes garçons, plus âgés qu’elle, qui semaient la pagaille dans le bus. Après son speech, des adultes ont chassé les petits malotrus au feu rouge suivant... Cette réaction spontanée de ma fille, qui en général est très placide, me surprend jusqu’à ce jour.
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Adil et Tzvetomira
« Envers et contre tout ! »
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« C’est au Niger que j’ai rencontré celui qui allait devenir mon mari : Adil. C’était en 2005, lors des Jeux de la francophonie où j’étais membre du jury du concours de peinture. Nous nous sommes revus par la suite, notamment en France. Deux ans plus tard, en 2007, je devais venir au Maroc pour préparer une thèse de doctorat sur l’art marocain, que je viens d’ailleurs de décrocher. C’était pour moi l’occasion de le retrouver et d’« officialiser » notre relation.
C’est une belle histoire d’amour, mais côté administratif, nous vivons une véritable galère. Et nous ne sommes toujours pas au bout de nos peines : je dois sortir tous les trois mois du territoire marocain, nous n’avons pas encore d’acte de mariage marocain, nous n’avons que l’acte bulgare. J’ai même envisagé de quitter le Maroc si ce problème de papiers n’était pas résolu. Mais ce n’est pas évident car Adil a ses engagements professionnels ici, et il y a aussi les enfants…
Sur le plan culturel, j’éprouve quelques difficultés d’adaptation au mode de vie local. Par exemple, pendant le Ramadan, je suis obligé de jeûner d’une manière ou d’une autre, car vu l’environnement, c’est gênant de manger devant les gens.
J’apprends aussi à m’adapter à certains comportements comme la non-ponctualité des gens qui arrivent avec une heure de retard aux rendez-vous.
Avec mon mari, je n’ai jamais eu de choc culturel lié, par exemple, à la religion. C’est peut-être dû au fait qu’il est artiste, le milieu artistique étant par définition un espace ouvert. C’est peut-être aussi parce qu’il a beaucoup voyagé et vécu à l’étranger… J’aurais aimé avoir plus de contact avec sa famille vu que je suis très attachée à la mienne, mais ce n’est pas le cas. Heureusement que son cercle d’amis est très large et vivant, ce qui me permet de vivre l’Aïd et les autres fêtes religieuses un peu comme en famille. »
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Interview avec Hammadi Bekouchi, sociologue
« La Marocaine préfère rester dans son pays natal »
L’indigence du site du haut-commissariat au Plan n’aidant pas, nous nous sommes tournés vers un sociologue pour répondre à nos interrogations sur le sujet. Pourrait-on aujourd’hui parler de phénomène de mariages mixtes au Maroc ? Etat des lieux avec Hammadi Bekouchi.
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actuel : Quel regard portez-vous sur la mixité aujourd’hui au Maroc ?
Hammadi Bekouchi : La mixité se démocratise et s’élargit de plus en plus dans notre pays. Avant, dans les années 70 et 80, les mariages mixtes étaient l’apanage des Marocains qui partaient faire leurs études à l’étranger. Ils épousaient surtout des Françaises, vu que le pays le plus en vue pour y poursuivre ses études à l’époque était la France, et bien entendu, également, pour des raisons de proximité culturelle, notamment celle de la langue. Viennent en second lieu les Belges, puis les Américaines. Ces couples-là sont en grande majorité d’un niveau culturel universitaire. Ils sont architectes, médecins, professeurs… Leurs conjointes le sont aussi, puisque c’est sur les bancs de l’université qu’ils les ont, pour la plupart, rencontrées. Ces jeunes hommes venaient, essentiellement, d’un milieu assez aisé. Il y en avait bien sûr qui étaient issus d’un milieu modeste, mais grâce à leurs études, ils accédaient à un rang plus élevé. Ils faisaient donc le choix de retourner au pays avec leurs épouses qui, a priori, ne connaissaient pas grand-chose à la culture marocaine. Elles débarquaient avec l’enthousiasme du touriste qui va à l’aventure pour découvrir l’exotisme. C’était l’époque des années de plomb mais cela ne les dissuadait pas de s’installer au Maroc. Arrivés donc au pays, ces couples se heurtaient à une réalité dure qui les changeait complètement de la vie estudiantine douillette qu’ils menaient jusque-là . L’intimité de la cité universitaire laissait place à des tentatives permanentes de distanciation de la belle-famille. D’où le malaise. Les conjointes patientent jusqu’à ce que les enfants arrivent à l’âge des études supérieures, puis repartent vers leur pays. Les hommes se retrouvaient donc seuls. La première génération de couples mixtes travaillait plus dans le secteur administratif que dans le privé. Cantonnés dans une communauté qu’ils ont créée – car ils n’étaient ni complètement marocains ni complètement européens –, ils vivaient leur mixité tant bien que mal.
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Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Les premiers couples mixtes étaient constitués d’hommes marocains avec des étrangères. Ce sont donc les hommes qui ont déclenché cette « tendance ». La culture marocaine, ils la vivaient à l’extérieur dans le sens où, pour manger marocain, ils devaient partir au restaurant. On ne trouvait pas forcément chez eux le sempiternel salon marocain. On ne recevait pas sa mère plus de trois jours à la maison par exemple. Aujourd’hui, avec la mixité qui se démocratise, ce sont énormément de femmes qui décident d’épouser des hommes d’une nationalité différente. Mais entre la première génération et celle d’aujourd’hui, il y a eu la diaspora marocaine qui a permis de franchir un énorme gap. Nous avons pu voir beaucoup de femmes d’origine marocaine se marier avec des étrangers. Ensuite, il y a eu une vague de jeunes femmes de classe moyenne (travaillant dans des agences de voyages, des secrétaires…) qui ont commencé à immigrer à l’étranger via un mariage mixte. La tendance s’est donc inversée.
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On assisterait donc au Maroc à une nouvelle mixité menée essentiellement par les femmes…
En effet. Et ces femmes-là , contrairement aux hommes, imposent la culture marocaine au sein de leur foyer. On mange marocain et on s’habille aussi marocain, ne serait-ce que pendant les fêtes. Ce sont elles qui, généralement, orientent le couple. Le salon marocain redevient incontournable et la mère vient passer trois jours et reste six mois avec sa fille. La plupart des Marocaines adoptent cette approche affective qui amène leur homme vers leur sphère. Il y en a d’autres qui préfèrent adopter la culture du conjoint. Elles fument, boivent à table… Dans tous les cas, quel que soit le niveau culturel du couple, c’est la femme qui commande la pratique du foyer. L’une des raisons qui font que l’on voit de plus en plus de Marocaines mariées avec des Occidentaux, et vivant au Maroc, est l’afflux d’investisseurs étrangers. Quant au Marocain qui se marie avec une étrangère, c’est souvent dans le dessein d’aller vivre à l’étranger. La Marocaine, elle, préfère rester dans son pays natal.
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Qu’en est-il des parents, du regard de la société ?
Aujourd’hui, bon nombre de parents préfèrent même voir leurs filles mariées avec des étrangers qu’avec des Marocains. Entendez par étranger, occidental. Le cas des mariages avec des hommes du monde arabe est particulier. Après l’Algérie avec qui nous avons d’excellents rapports, grâce à une très forte mixité émanant de la diaspora, la Tunisie et l’Egypte arrivent en second lieu. Puis, les alliances avec le reste des nationalités du monde arabe restent confinées dans une certaine frange de la société qui se retrouve dans une condition malsaine (filles qui se prostituent…). Dans ce cas-là , il arrive que le père ou même le frère abdiquent en contrepartie du confort matériel que leur offre cette union.
Il faut savoir qu’au Maroc, 5 000 mariages par an se font entre Marocaines et Français. La carte de la bénédiction est entre les mains de la mère. Le père, même s’il peut être réfractaire au départ, finit par céder. Aujourd’hui, la plupart des parents ont compris que le bonheur et l’épanouissement de leurs filles étaient importants. En revanche, il y a moins de cinq mariages par an qui se font chez nous entre des Marocaines de couleur claire et d’autres nationalités africaines. Il faut le dire : nous sommes racistes. Nous n’avons rien compris à la mixité culturelle. Nous gardons viscéralement des complexes vieux comme le monde. Bien entendu, cela est très lié au regard de l’autre. Nos préjugés, nous les créons nous-mêmes. En sortant dans la rue avec un étranger, une femme s’imagine que tout le monde la regarde parce qu’on la juge. Or, au Maroc, tout le monde regarde tout le monde et on la dévisagerait même si elle était en compagnie d’un Marocain. Evidemment, tout le monde a cette peur de l’inconnu. D’ailleurs, si vous allez demander par exemple à des parents français s’ils acceptent que leur fils se marie avec une étrangère, ils vous répondront qu’ils préféreraient qu’elle soit du même pays, voire de la même région. C’est valable pour les Marocains. Mais la question de la religion est moins importante qu’on pourrait le croire.
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La société est en train d’évoluer. La mixité prend d’autres formes… Tout cela est plutôt positif mais comporte aussi son lot de risques…
Il ne faut pas se méprendre. La mixité prend d’autres formes mais commence aussi à avoir des rochers. Les mariages mixtes ne sont pas tous des rencontres de l’amour. Ce sont aussi des mariages de désamour, des transactions. Autant les jeunes filles peuvent être motivées par la situation financière et l’ouverture d’esprit d’un Français ayant la quarantaine ou même plus, autant les Français peuvent insister pour épouser ces jeunes filles une semaine après les avoir rencontrées, dans le dessein d’avoir leurs papiers le plus rapidement possible. Résultat des courses : le mariage marocain se fait sans problèmes tandis que la retranscription est de plus en plus refusée dans les consulats sous prétexte que le conjoint est beaucoup trop âgé par rapport à l’épouse… Sauf s’ils ont eu des enfants ensemble. L’Occident ferme de plus en plus la porte à ce genre de mariages car qui dit mariage dit nationalité étrangère acquise au bout de quelques années… Aussi, les Occidentaux mariés avec des Marocaines et installés au Maroc ont tendance à endosser la « djellaba » du Marocain en adoptant des comportements machistes. La chaleur de la culture marocaine les séduit autant que l’intimité occidentale qu’ils veulent sauvegarder à tout prix. En somme, ils prennent le meilleur mais aussi le pire.
Propos recueillis par Asmaa Chaidi Bahraoui
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