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Interview
Lahcen Daoudi : « Nous n’avons plus d’argent ! »
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Une interview, sans langue de bois, d’un ministre effaré par l’état des lieux de l’enseignement supérieur. Mais qui croit encore à l’action politique ? Bon courage !
Lahcen Daoudi, ministre de l’Enseignement supérieur, lance une opération mains propres au niveau de son département. Il critique les formations privées des universités, il publie des circulaires qui fâchent… Bref il réagit, comme il peut. Son trait particulier est que contrairement au chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, Daoudi affirme ne rencontrer aucune pression. Et tacle même son boss : « Aujourd’hui, un ministre ne peut plus se cacher derrière les lobbies qui ne veulent pas les réformes. S’il n’arrive pas à faire son métier il devrait démissionner. » Mais en même temps que ses opérations de transparence, Daoudi réfléchit aussi à la situation de plus en plus enlisée de l’enseignement supérieur. Est-ce irrémédiable ? Non, rétorque le ministre. Mais « il y a une incapacité à répondre à la demande ». Daoudi ne veut pas baisser les bras et dit même disposer de la recette magique. « Si ça marche, j’aurai résolu les problèmes du secteur », dit-il. Rêve ou promesse ? Difficile de faire la nuance. Et si ça ne marche pas ? Eh bien, les problèmes resteront inchangées. Pas très rassurant.
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actuel : Les universités se lancent de plus en plus dans des formations payantes. Que pensez-vous de cette tendance ?
Lahcen Daoudi : D’abord, je tiens à préciser que ces formations ne sont pas des masters. Ce ne sont pas des diplômes nationaux, mais des diplômes universitaires (DU) non reconnus par le secteur public. Ce rappel pour dire qu’il y a eu des universités qui ont quand même délivré des DU en tant que master. Ceci est totalement illégal et frauduleux. Comment ne les a-t-on pas vu ? Mais aujourd’hui nous avons mis fin à cela.
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Ces pratiques Ă©taient-elles courantes ?
Pas vraiment je pense, mais c’est relatif. Nous avons quinze universités. Trois ou quatre sur quinze, c’est une fréquence quand même !
Mais au-delà de cet aspect frauduleux, ces formations sont-elles opportunes ?
L’université est autonome certes, mais il faut que ces formations obéissent à certaines normes. Dans certaines facultés les formations payantes sont plus nombreuses que les formations délivrant des diplômes nationaux. Ce n’est pas normal. Sans encadrement, l’argent va remplacer l’excellence qui est l’essence même des masters et des formations continues. Le mélange entre les deux formations doit être bien dosé.
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Et de quelle façon ?
Par définition, un diplôme universitaire est une formation qui dépend du tissu économique où se trouve une université donnée. Elle crée ces formations pour répondre aux besoins du marché local de l’emploi. Or ce principe de base n’est parfois pas respecté. Des masters payants en droit ou en histoire ne riment à rien à mon humble avis. Malheureusement, il y a comme une tendance à fuir les masters vers les diplômes universitaires. Je n’accepterai jamais que l’enseignement privé se fasse au détriment de l’enseignement public.
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Ces diplômes universitaires sont très prisés par les étudiants et les cadres. Cela n’est-il pas dû à la mauvaise qualité de l’enseignement supérieur gratuit ?
Je reconnais que la qualité de l’enseignement a baissé. Les problèmes de sureffectif y sont pour beaucoup. Mais il y a aussi les problèmes pédagogiques. Je ne vois pas l’utilité du système des semestres dans une faculté de droit ou d’économie, où il y a beaucoup d’étudiants. Les absences et autres débrayages font que les quatre mois que dure un semestre ne suffisent pas. On garde le système LMD (licence, master, doctorat), mais pas les semestres. Ils sont plus adaptés aux grandes écoles… Par ailleurs, la problématique du chômage à laquelle vous faites allusion est aussi la faute de l’économie. Dans un pays à faible taux de croissance, la roue économique ne tourne pas. Forcément, le besoin n’existe pas.
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Quid du contenu pédagogique des programmes ? N’est-il pas aussi à l’origine de l’inadéquation entre la formation dispensée et les besoins réels du marché ?
Le problème n’est pas là . Nous avons de grandes écoles publiques qui forment l’élite. Cette année, le taux de réussite dans les épreuves des grandes écoles françaises est exceptionnellement élevé chez les Marocains. Une preuve que l’enseignement public est aussi performant. Maintenant comment voulez-vous que la faculté fonctionne sans encadrement ? Nous avons une moyenne de 1 professeur pour 250 étudiants. Ils ne sont que 13 000 professeurs. C’est dix fois inférieur aux normes internationales en la matière. N’allons pas loin. En Algérie, ils ont plus de professeurs que nous. Même en Tunisie où la population représente le tiers de la nôtre. Plus loin, les étudiants ne sont pas nombreux non plus. Nous avons 480 000 étudiants contre plus d’un million en Algérie !
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Selon vous, pourquoi dénombre-t-on aussi peu de Marocains dans l’enseignement supérieur ?
Parce que l’offre éducative est très insuffisante. Nous n’avons pas suffisamment d’écoles et celles qui existent ne sont pas déployées sur tout le territoire. Un étudiant n’ira pas forcément à une faculté qui se trouve à 200 kilomètres de chez lui ! Le Royaume n’a pas les moyens de former suffisamment de cadres. Nous avons besoin de 7 000 architectes par exemple. Comment les former et où ? Et sur combien de temps ? Nous avons une moyenne de deux techniciens pour un ingénieur tandis que la norme est de 20. Voilà un autre exemple.
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Revenons à ce problème de sous-effectif du corps professoral. N’est-il pas temps de revoir la sélection pour l’accès aux universités ?
Tant que je n’ai pas une offre suffisante en termes de formations professionnelles, je ne peux pas fermer les portes de la faculté devant les étudiants. Croyez-moi, des étudiants brillants qui ont quinze de moyenne ne trouvent pas de place dans les grandes écoles et viennent à la faculté. Il n’y a vraiment pas de place. La chose à laquelle nous réfléchissons aujourd’hui est de mettre en place une sélection pour le passage au master. La sélection est la clé de la réussite. Sans sélection, aucun progrès ne sera fait. Parce que nous ne pouvons plus gérer le sureffectif.
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Les lacunes sont flagrantes. N’est-ce pas une priorité d’y remédier rapidement ?
Je suis d’accord avec vous. Mais le problème est que tout est urgent et prioritaire au Maroc. Mon collègue Mohamed El Ouafa (ministre de l’Education nationale) a aussi une urgence. Il faut recruter des milliers de professeurs. Il nous faut des agents de police aussi (Paris compte plus de policiers que tout le Maroc)… il faut des médecins… le besoin est là .
Mais l’Etat n’a pas les moyens de recruter. Il est dans le besoin, mais sans argent. Si nous recrutons quand même, nous allons plonger le pays dans une spirale de surendettement et revenir au PAS (Plan d’ajustement structurel, ndlr). Il faut chercher un équilibre entre les moyens disponibles et les besoins urgents.
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Et vous, oĂą en ĂŞtes-vous dans cet Ă©quilibre ?
C’est très difficile à réaliser. Franchement, l’Etat tout seul ne peut pas le réaliser. Le secteur de l’enseignement supérieur n’a jamais été une priorité auparavant et on manque de moyens pour tout refaire. Mais il y a un espoir dans le partenariat entre le public et le privé. Je crois en cette solution et, si elle aboutit, j’aurai résolu les problèmes de l’enseignement supérieur au Maroc.
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C’est un rêve ou une promesse faite aux 480 000 étudiants du Maroc ?
C’est un défi. Il est très facile de fixer des objectifs à 100% réalisables et de s’exalter après. Comme promettre d’augmenter le nombre des étudiants de 30 000 d’ici cinq ans. Mais ce ne seront pas de grandes réalisations. Mon projet est de délocaliser de grandes écoles internationales au Maroc, et de faire du pays un hub de la formation supérieure dans toute la région.
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Ce projet est-il déjà lancé ? Et quand devrait-il aboutir ?
Je ne sais pas pour le moment. Nous sommes en phase de discussion avec nos partenaires espagnols, allemands et canadiens. Il y a même les Russes qui ont montré un intérêt pour ce projet. Je vous donne un exemple. Aujourd’hui, avec les problèmes de visas et les moyens que demandent les études à l’étranger c’est de moins en moins pratique. Mon idée est de ramener « l’étranger ici ». Savez-vous que les seuls transferts des parents d’étudiants à l’étranger à leurs enfants nous coûtent 2,6 milliards de dirhams en devises ? C’est énorme !
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Comment cela devrait-il se dérouler ?
Supposons que Polytechnique Barcelone s’installe au Maroc. L’Etat apportera le terrain. Le secteur privé s’occupera des travaux de construction, des campus, des cantines, et autres dépendances. Et le partenaire étranger s’engage à assurer un encadrement de qualité et le matériel nécessaire pour les études. Et je vous assure que beaucoup de Marocains seront prêts à payer. On attirera même les étudiants des pays voisins. Actuellement, nous ciblons les formations que nous ne pouvons pas assurer pour satisfaire tous les besoins. C’est le cas de l’architecture, de la médecine et de l’ingénierie. Quand on n’a pas d’argent, il faut savoir utiliser celui des autres !
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Et si ce projet ne marche pas, on dira que c’en est fini de l’enseignement supérieur au Maroc ?
Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai parlé d’une grande incapacité à répondre aux besoins. Je le répète, sans ces partenariats et cette ouverture sur l’étranger, on ne pourra pas améliorer les choses. Nous avons 18% des lauréats des écoles marocaines qui partent à l’étranger chaque année. C’est une grande perte pour le pays.
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Passons à un autre registre, celui de la bonne gouvernance de votre département. Où en êtes-vous ?
Sincèrement. Cela me rend malade.
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A ce point… ?
Tenez, regarder vous-même (il nous tend une facture), sept stylos à bille achetés plus de 56 000 dirhams ! Ce n’est pas de la gabegie, c’est de la folie. C’est sans commentaire. J’ai aussi des directeurs et chefs de division qui ont touché plus de 380 000 dirhams ces deux dernières années. Des primes de 15 000 dirhams par mois. Des primes indues. C’est du n’importe quoi franchement !
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Les transferts devant la justice doivent se compter par dizaines dans ce cas…
Attention. Il n’y aura pas de chasse aux sorcières. Je prends mon temps et discute en totale concertation avec tous les partenaires. Je ne veux pas prendre de décisions hâtives ou créer de vides polémiques politiciennes. Bien sûr quand le délit est avéré, le dossier est remis à la justice. Par exemple, en cas de faux et usage de faux (tels les faux diplômes, ndlr), je ne me précipite pas. En plus du rapport de mon département, je commande également un rapport à l’Inspection générale des finances. Je dois m’assurer que la sanction tombera à bon escient. Jusqu’à présent, ce sont des cas isolés, mais il ne faut pas les tolérer.
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Avez-vous rencontré des résistances dans votre démarche de lutte contre la corruption qui, semble-t-il, gangrène ce secteur ?
Aucune pression ni d’en haut ni d’en bas. Fini le temps où le ministre pouvait se cacher derrière ceux qui ne veulent pas que les réformes aboutissent. Un ministre a les pleins pouvoirs et est totalement responsable. S’il ne peut pas le faire, il n’a qu’à démissionner.
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Pourtant, des ministres PJD, voir même le chef de gouvernement, se sont publiquement plaints de résistances !
Je vous parle de moi-même. Et voici ce que j’en pense en tant que ministre.
Propos recueillis par A.H.E
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Lahcen Daoudi : « Nous n’avons plus d’argent ! »
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Une interview, sans langue de bois, d’un ministre effaré par l’état des lieux de l’enseignement supérieur. Mais qui croit encore à l’action politique ? Bon courage !
Lahcen Daoudi, ministre de l’Enseignement supérieur, lance une opération mains propres au niveau de son département. Il critique les formations privées des universités, il publie des circulaires qui fâchent… Bref il réagit, comme il peut. Son trait particulier est que contrairement au chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, Daoudi affirme ne rencontrer aucune pression. Et tacle même son boss : « Aujourd’hui, un ministre ne peut plus se cacher derrière les lobbies qui ne veulent pas les réformes. S’il n’arrive pas à faire son métier il devrait démissionner. » Mais en même temps que ses opérations de transparence, Daoudi réfléchit aussi à la situation de plus en plus enlisée de l’enseignement supérieur. Est-ce irrémédiable ? Non, rétorque le ministre. Mais « il y a une incapacité à répondre à la demande ». Daoudi ne veut pas baisser les bras et dit même disposer de la recette magique. « Si ça marche, j’aurai résolu les problèmes du secteur », dit-il. Rêve ou promesse ? Difficile de faire la nuance. Et si ça ne marche pas ? Eh bien, les problèmes resteront inchangées. Pas très rassurant.
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actuel : Les universités se lancent de plus en plus dans des formations payantes. Que pensez-vous de cette tendance ?
Lahcen Daoudi : D’abord, je tiens à préciser que ces formations ne sont pas des masters. Ce ne sont pas des diplômes nationaux, mais des diplômes universitaires (DU) non reconnus par le secteur public. Ce rappel pour dire qu’il y a eu des universités qui ont quand même délivré des DU en tant que master. Ceci est totalement illégal et frauduleux. Comment ne les a-t-on pas vu ? Mais aujourd’hui nous avons mis fin à cela.
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Ces pratiques Ă©taient-elles courantes ?
Pas vraiment je pense, mais c’est relatif. Nous avons quinze universités. Trois ou quatre sur quinze, c’est une fréquence quand même !
Mais au-delà de cet aspect frauduleux, ces formations sont-elles opportunes ?
L’université est autonome certes, mais il faut que ces formations obéissent à certaines normes. Dans certaines facultés les formations payantes sont plus nombreuses que les formations délivrant des diplômes nationaux. Ce n’est pas normal. Sans encadrement, l’argent va remplacer l’excellence qui est l’essence même des masters et des formations continues. Le mélange entre les deux formations doit être bien dosé.
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Et de quelle façon ?
Par définition, un diplôme universitaire est une formation qui dépend du tissu économique où se trouve une université donnée. Elle crée ces formations pour répondre aux besoins du marché local de l’emploi. Or ce principe de base n’est parfois pas respecté. Des masters payants en droit ou en histoire ne riment à rien à mon humble avis. Malheureusement, il y a comme une tendance à fuir les masters vers les diplômes universitaires. Je n’accepterai jamais que l’enseignement privé se fasse au détriment de l’enseignement public.
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Ces diplômes universitaires sont très prisés par les étudiants et les cadres. Cela n’est-il pas dû à la mauvaise qualité de l’enseignement supérieur gratuit ?
Je reconnais que la qualité de l’enseignement a baissé. Les problèmes de sureffectif y sont pour beaucoup. Mais il y a aussi les problèmes pédagogiques. Je ne vois pas l’utilité du système des semestres dans une faculté de droit ou d’économie, où il y a beaucoup d’étudiants. Les absences et autres débrayages font que les quatre mois que dure un semestre ne suffisent pas. On garde le système LMD (licence, master, doctorat), mais pas les semestres. Ils sont plus adaptés aux grandes écoles… Par ailleurs, la problématique du chômage à laquelle vous faites allusion est aussi la faute de l’économie. Dans un pays à faible taux de croissance, la roue économique ne tourne pas. Forcément, le besoin n’existe pas.
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Quid du contenu pédagogique des programmes ? N’est-il pas aussi à l’origine de l’inadéquation entre la formation dispensée et les besoins réels du marché ?
Le problème n’est pas là . Nous avons de grandes écoles publiques qui forment l’élite. Cette année, le taux de réussite dans les épreuves des grandes écoles françaises est exceptionnellement élevé chez les Marocains. Une preuve que l’enseignement public est aussi performant. Maintenant comment voulez-vous que la faculté fonctionne sans encadrement ? Nous avons une moyenne de 1 professeur pour 250 étudiants. Ils ne sont que 13 000 professeurs. C’est dix fois inférieur aux normes internationales en la matière. N’allons pas loin. En Algérie, ils ont plus de professeurs que nous. Même en Tunisie où la population représente le tiers de la nôtre. Plus loin, les étudiants ne sont pas nombreux non plus. Nous avons 480 000 étudiants contre plus d’un million en Algérie !
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Selon vous, pourquoi dénombre-t-on aussi peu de Marocains dans l’enseignement supérieur ?
Parce que l’offre éducative est très insuffisante. Nous n’avons pas suffisamment d’écoles et celles qui existent ne sont pas déployées sur tout le territoire. Un étudiant n’ira pas forcément à une faculté qui se trouve à 200 kilomètres de chez lui ! Le Royaume n’a pas les moyens de former suffisamment de cadres. Nous avons besoin de 7 000 architectes par exemple. Comment les former et où ? Et sur combien de temps ? Nous avons une moyenne de deux techniciens pour un ingénieur tandis que la norme est de 20. Voilà un autre exemple.
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Revenons à ce problème de sous-effectif du corps professoral. N’est-il pas temps de revoir la sélection pour l’accès aux universités ?
Tant que je n’ai pas une offre suffisante en termes de formations professionnelles, je ne peux pas fermer les portes de la faculté devant les étudiants. Croyez-moi, des étudiants brillants qui ont quinze de moyenne ne trouvent pas de place dans les grandes écoles et viennent à la faculté. Il n’y a vraiment pas de place. La chose à laquelle nous réfléchissons aujourd’hui est de mettre en place une sélection pour le passage au master. La sélection est la clé de la réussite. Sans sélection, aucun progrès ne sera fait. Parce que nous ne pouvons plus gérer le sureffectif.
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Les lacunes sont flagrantes. N’est-ce pas une priorité d’y remédier rapidement ?
Je suis d’accord avec vous. Mais le problème est que tout est urgent et prioritaire au Maroc. Mon collègue Mohamed El Ouafa (ministre de l’Education nationale) a aussi une urgence. Il faut recruter des milliers de professeurs. Il nous faut des agents de police aussi (Paris compte plus de policiers que tout le Maroc)… il faut des médecins… le besoin est là .
Mais l’Etat n’a pas les moyens de recruter. Il est dans le besoin, mais sans argent. Si nous recrutons quand même, nous allons plonger le pays dans une spirale de surendettement et revenir au PAS (Plan d’ajustement structurel, ndlr). Il faut chercher un équilibre entre les moyens disponibles et les besoins urgents.
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Et vous, oĂą en ĂŞtes-vous dans cet Ă©quilibre ?
C’est très difficile à réaliser. Franchement, l’Etat tout seul ne peut pas le réaliser. Le secteur de l’enseignement supérieur n’a jamais été une priorité auparavant et on manque de moyens pour tout refaire. Mais il y a un espoir dans le partenariat entre le public et le privé. Je crois en cette solution et, si elle aboutit, j’aurai résolu les problèmes de l’enseignement supérieur au Maroc.
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C’est un rêve ou une promesse faite aux 480 000 étudiants du Maroc ?
C’est un défi. Il est très facile de fixer des objectifs à 100% réalisables et de s’exalter après. Comme promettre d’augmenter le nombre des étudiants de 30 000 d’ici cinq ans. Mais ce ne seront pas de grandes réalisations. Mon projet est de délocaliser de grandes écoles internationales au Maroc, et de faire du pays un hub de la formation supérieure dans toute la région.
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Ce projet est-il déjà lancé ? Et quand devrait-il aboutir ?
Je ne sais pas pour le moment. Nous sommes en phase de discussion avec nos partenaires espagnols, allemands et canadiens. Il y a même les Russes qui ont montré un intérêt pour ce projet. Je vous donne un exemple. Aujourd’hui, avec les problèmes de visas et les moyens que demandent les études à l’étranger c’est de moins en moins pratique. Mon idée est de ramener « l’étranger ici ». Savez-vous que les seuls transferts des parents d’étudiants à l’étranger à leurs enfants nous coûtent 2,6 milliards de dirhams en devises ? C’est énorme !
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Comment cela devrait-il se dérouler ?
Supposons que Polytechnique Barcelone s’installe au Maroc. L’Etat apportera le terrain. Le secteur privé s’occupera des travaux de construction, des campus, des cantines, et autres dépendances. Et le partenaire étranger s’engage à assurer un encadrement de qualité et le matériel nécessaire pour les études. Et je vous assure que beaucoup de Marocains seront prêts à payer. On attirera même les étudiants des pays voisins. Actuellement, nous ciblons les formations que nous ne pouvons pas assurer pour satisfaire tous les besoins. C’est le cas de l’architecture, de la médecine et de l’ingénierie. Quand on n’a pas d’argent, il faut savoir utiliser celui des autres !
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Et si ce projet ne marche pas, on dira que c’en est fini de l’enseignement supérieur au Maroc ?
Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai parlé d’une grande incapacité à répondre aux besoins. Je le répète, sans ces partenariats et cette ouverture sur l’étranger, on ne pourra pas améliorer les choses. Nous avons 18% des lauréats des écoles marocaines qui partent à l’étranger chaque année. C’est une grande perte pour le pays.
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Passons à un autre registre, celui de la bonne gouvernance de votre département. Où en êtes-vous ?
Sincèrement. Cela me rend malade.
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A ce point… ?
Tenez, regarder vous-même (il nous tend une facture), sept stylos à bille achetés plus de 56 000 dirhams ! Ce n’est pas de la gabegie, c’est de la folie. C’est sans commentaire. J’ai aussi des directeurs et chefs de division qui ont touché plus de 380 000 dirhams ces deux dernières années. Des primes de 15 000 dirhams par mois. Des primes indues. C’est du n’importe quoi franchement !
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Les transferts devant la justice doivent se compter par dizaines dans ce cas…
Attention. Il n’y aura pas de chasse aux sorcières. Je prends mon temps et discute en totale concertation avec tous les partenaires. Je ne veux pas prendre de décisions hâtives ou créer de vides polémiques politiciennes. Bien sûr quand le délit est avéré, le dossier est remis à la justice. Par exemple, en cas de faux et usage de faux (tels les faux diplômes, ndlr), je ne me précipite pas. En plus du rapport de mon département, je commande également un rapport à l’Inspection générale des finances. Je dois m’assurer que la sanction tombera à bon escient. Jusqu’à présent, ce sont des cas isolés, mais il ne faut pas les tolérer.
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Avez-vous rencontré des résistances dans votre démarche de lutte contre la corruption qui, semble-t-il, gangrène ce secteur ?
Aucune pression ni d’en haut ni d’en bas. Fini le temps où le ministre pouvait se cacher derrière ceux qui ne veulent pas que les réformes aboutissent. Un ministre a les pleins pouvoirs et est totalement responsable. S’il ne peut pas le faire, il n’a qu’à démissionner.
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Pourtant, des ministres PJD, voir même le chef de gouvernement, se sont publiquement plaints de résistances !
Je vous parle de moi-même. Et voici ce que j’en pense en tant que ministre.
Propos recueillis par A.H.E |