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Entretien avec Jean Zaganiaris 
actuel n°136, vendredi 6 avril 2012
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Entretien avec Jean Zaganiaris, docteur en sciences politiques, sociologue et enseignant-chercheur au CERAM*.

Jean Zaganiaris

« Le Maroc n’est pas du tout une société démocratique »

 

 

 

Jean Zaganiaris est au Maroc depuis huit ans déjà. L’enseignant-chercheur vient de commettre un nouvel ouvrage intitulé Ce que communiquer veut dire, publié aux éditions Afrique Orient. Dans ce nouveau livre, le chercheur « rend un hommage à Bourdieu, visant à penser la communication sous l’angle des sciences humaines ». Car, dit-il, l’objectif de ce livre est de parler de communication. En parler non pas forcément d’un point de vue uniquement théorique, avec des méthodes normatives ou des définitions, mais plutôt pour en montrer les dimensions pratiques, les aspects sociologiques, les situations où elle est mise en œuvre. Découverte.

  

Dans votre nouveau livre Ce que communiquer  veut dire, vous tentez de donner une dĂ©finition de la communication Ă  partir des pratiques sociales. Pouvez-vous nous la rĂ©sumer ?

Jean Zaganiaris : Malgré son titre, Ce que communiquer veut dire, mon livre n’a pas pour but de proposer une définition de la communication. Le lecteur lira en conclusion que le titre est un piège. Ce qui m’intéresse réellement dans ce livre, c’est de penser la communication sociologiquement et philosophiquement.

Bien sûr qu’il faut donner une définition de la communication, mais celle-ci est toujours un point de départ, ce n’est jamais un point d’arrivée. L’objectif de mon livre est de penser les pratiques de communication, qu’elles soient verbales ou non verbales, qu’elles soient intra-personnelles ou interpersonnelles. Le tout, dans une conceptualisation philosophique mais aussi à travers des cas pratiques.

 

Peut-on réellement parler d’espace public et d’espace privé au Maroc ?

Bien sûr qu’on peut parler d’espace public et d’espace privé au Maroc. Même si l’islam y est religion d’Etat, le Royaume est constitué d’êtres humains comme dans tous les autres pays du monde, avec leur spécificité, leur différence, leur croyance et leur rapport au monde. Contrairement à certains écrits culturalistes qui laissent entendre que dans l’islam il n’y a pas de sphère privée, je pense que les musulmans sont une nébuleuse et que les homogénéiser à partir de telle ou telle vue normative est une erreur. Sociologiquement, il existe des « islamités » au pluriel plutôt qu’une communauté islamique au singulier. D’ailleurs, l’une des hypothèses de ma recherche est de dire que l’on comprendrait beaucoup mieux les pratiques sociales dans les pays « arabo-musulmans » en ne réduisant pas leur identité au religieux.

Au Royaume, comme dans tous les autres pays où l’islam est religion d’Etat, il y a des espaces privés, d’intimité, où les gens vivent leur vie comme bon leur semble. Et il y a des espaces publics où tout un ensemble de choses sont communiquées, y compris des choses « hchouma », tabou.

 

Pensez-vous que les Marocains se sont accaparés cet espace public ?

Je pense que les années 2000 montrent une appropriation de l’espace public par la société composite marocaine. Nous avons assisté à quelque chose de très important depuis 1998, avec la transition démocratique et le gouvernement d’alternance. Une certaine libéralisation au Maroc a fait que l’espace public a commencé à être accaparé par un embryon de société civile. Qui, je l’espère, se développera ensuite, et s’autonomisera à la fois des sphères politiques du pouvoir et des sphères religieuses. D’ailleurs, la presse écrite incarne très bien cette appropriation de l’espace public, avec l’âge d’or de Telquel ou celui du Journal Hebdomadaire.

 

Peut-on alors parler de démocratie au Royaume ?

Le terme est très difficile à employer. Pour moi la question n’est pas de savoir si le Maroc est démocratique ou pas, mais de comprendre comment les acteurs du champ politique et les populations gouvernées utilisent le terme démocratie. Si on doit parler de démocratie au Maroc, il faut en parler de la même manière qu’en parle Alexis de Tocqueville (penseur politique français). C’est-à-dire qu’à un moment, il y a eu ce qu’on appelle une transition démocratique. On s’est mis à parler de démocratie en tant que régime politique. Mais les mœurs, les lois, les coutumes, les traditions n’étaient pas du tout revues pour qu’on puisse démocratiser.

Par contre, des minorités politisées essaient de se battre afin que la société se démocratise. C’est le cas du mouvement du M20 et de certains cercles politiques. Le Maroc est peut-être un régime démocratique mais pas du tout une société démocratique. Pourquoi ? Parce que la démocratie présuppose la liberté d’expression, elle symbolise tout un ensemble de libertés, de croyance, de disposer de son corps comme on l’entend, d’avoir le rapport que l’on souhaite au religieux.

 

Vous dites que le discours critique du 20-Février représente quelque chose d’inédit dans l’espace public marocain. Pensez-vous que la nouvelle Constitution soit une victoire pour le mouvement ou plutôt pour le pouvoir en place ?

Je crois que la nouvelle Constitution est une victoire pour le pouvoir en place. Car, si on prend historiquement toutes les constitutions qui ont été votées au référendum, c’est toujours des scores de plus de 90%. Le pouvoir en place a réussi à se relégitimer via cette opération juridique. Que ce soit une victoire pour le 20-Février, je ne crois pas.

Pour moi, les textes de loi ne sont rien sans les usages sociaux qu’on en fait. C’est la société, et non le droit, qui permet aux individus de disposer de certaines libertés réelles. L’affaire Amina El Filali a très bien montré cela (voire www.actuel.ma, ndlr). Je veux bien qu’on parle de liberté dans la Constitution. Mais concrètement sur le terrain, dans les pratiques sociales, que se passe-t-il ? C’est de cela dont il s’agit de parler dans mon livre.

 

Vous ne semblez pas convaincu par la métaphore du réseau comme instrument de résistance de la multitude, prônée par Antonio Negri. Vous dites d’ailleurs que le « Net 2.0 » est loin d’être le catalyseur des manifestations du M20. Pourtant, c’est l’avis de nombreux spécialistes…

Je n’ai rien contre les thèses d’Antonio Negri. Cependant je suis contre cette thèse sur le lien symbiotique entre les messages sur Internet et les comportements des gens. Je trouve que c’est assez simpliste de dire que c’est parce qu’il y a eu les réseaux sociaux qu’il y a eu le Printemps arabe.

 

Mais les réseaux sociaux ont tout de même été un catalyseur qui a décuplé la colère du peuple tunisien grâce à la diffusion de vidéos sur la Toile…

Je vais vous proposer deux rĂ©ponses. Avant  l’existence des rĂ©seaux sociaux, il y avait quand mĂŞme des manifestations qui pouvaient prendre une très grande ampleur. Mai 68 (en France) n’a pas eu besoin des rĂ©seaux sociaux pour exister. Les manifestations du pain en 1981 au Maroc n’ont pas eu besoin des rĂ©seaux sociaux pour exister non plus. Des manifestations ont eu lieu, et avec autant d’ampleur que le Printemps arabe, sans que les gens recourent majoritairement aux rĂ©seaux sociaux.

D’autre part, les réseaux sociaux sont une technologie récente. Il ne faut pas confondre la communication comme catalyseur et la communication comme outil. Je pense que les réseaux sociaux ont été un outil, pas un catalyseur. Et je suis convaincu du fait qu’il y a d’un côté ce que les médias ou les réseaux sociaux font aux individus, et il y a aussi ce que les individus font des réseaux sociaux et des médias. C’est d’ailleurs le propos de toute la troisième partie de mon livre. Ce sont des acquis scientifiques qui sont très peu connus au Maroc, et qu’on appelle la sociologie de la réception.

 

Peut-on faire un usage autonome de sa raison au Maroc ?

C’est une idée très forte dans mon livre. Je pars du fait que les Marocains sont des êtres humains comme les autres et il faut les considérer en tant que tels. C’est une idée sur laquelle j’insiste beaucoup. Pour moi, la réponse va de soi. Les Marocains font un usage autonome de leur raison dans l’espace public. Et ce n’est pas du tout incompatible avec la religion, c’est-à-dire avec les incorporations différenciées que certains gens peuvent avoir (ou non) du religieux. Kant dit bien que « l’usage autonome de la raison est lié à la volonté et au courage ». Cela veut dire qu’il ne faut pas entraver la liberté de faire un usage autonome de sa raison, en conditionnant les gens ou bien en les réprimant. C’est là le véritable problème dans beaucoup de pays, qu’ils soient arabes ou pas.

 

Propos recueillis par Ferdinand Demba

* Le laboratoire de recherche de l’Ecole de gouvernance et d’économie de Rabat

 

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