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Droit Ă  l’information : La loi du silence  
actuel n°164/165, jeudi 18 octobre 2012
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Deux fonctionnaires du ministère des Finances se sont retrouvés poursuivis par leur employeur, l’Etat, pour avoir divulgué des documents à des journalistes. Un procès très médiatique sur fond de débat sur le droit d’accès à l’information.

 

Abdelmajid Louiz et Mohamed Réda, fonctionnaires de l’Etat, sont poursuivis pour « divulgation du secret professionnel ». Le 9 octobre, à l’ouverture de leur procès, des dizaines de militants politiques et associatifs ont répondu à l’appel de la Fédération démocratique du travail (FDT), syndicat proche de l’USFP. « C’est un procès inique, dont l’objectif est de faire taire les voix qui combattent la rente », s’offusque la FDT dans son communiqué. « Les honnêtes personnes sont jugées et les voleurs protégés », scandent les manifestants qui brandissent des pancartes appelant au non-lieu.

Le parcours des deux personnes poursuivies en état de liberté provisoire ajoute encore plus à l’intrigue. Ce ne sont pas de simples

fonctionnaires, mais des hauts cadres des finances avec une formation solide. Abdelmajid Louiz est directeur adjoint au sein de la

trésorerie du Royaume. C’est un ingénieur d’Etat diplômé de l’ENA de Paris. Mohamed Réda est lui aussi ingénieur d’Etat, à la retraite depuis 2006. Il justifie d’un MBA de Sup de Co Paris et d’études à l’université de Harvard.

 

Aux origines du scandale

« L’affaire des primes » est née en juin 2012, quand le quotidien Akhbar Al Youm publie un « scoop ». Il s’agit de documents officiels prouvant que l’ancien ministre de l’Economie et des Finances et chef du RNI, Salaheddine Mezouar, a accordé des primes au Trésorier du Royaume, Noureddine Bensouda, qui en a fait de même à l’adresse du ministre. En tout, il s’agit de montants oscillant entre 70 et 90 000 dirhams, pour un total dépassant les 400 000 dirhams. L’affaire fait grand bruit. Salaheddine Mezouar réagit, expliquant que cette pratique est courante, permise par une loi datant de 1949, et arguant que ces primes sont tout à fait légales. Lors de l’émission « 90 minutes pour convaincre » diffusée le 28 septembre sur Medi 1 TV, il met le tapage médiatique suscité par cette affaire sur le compte du gouvernement. « Il s’agissait de salir mon image […] L’attaque contre moi était destinée à détourner les citoyens de la contestation des augmentations du prix des produits pétroliers. » Le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, rétorque le lendemain, le 29 septembre, lors d’un meeting avec des militants du PJD à Oujda : « Tu étais ministre des Finances. Tu avais le droit de prendre directement cette indemnité autant que tes prédécesseurs. Pourquoi demandes-tu à un autre fonctionnaire de cette administration de signer pour toi, alors que tu en es le chef hiérarchique ? »

 

Héros ou simples délateurs ?

L’affaire a des allures de règlement de compte, entre Benkirane et Mezouar et leurs partis respectifs. Elle accouche aussi de deux procès. Le premier pour enquêter sur la légalité de ces primes. Il a été ouvert à l’initiative du ministère de la Justice, dirigé par le pjdiste Mustafa Ramid. Le second porte le sceau de l’istiqlalien Nizar Baraka, actuel ministre de l’Economie et des Finances. Il poursuit les deux fonctionnaires pour « divulgation du secret professionnel ». Les accusés nient pour leur part avoir fourni les documents à Akhbar Al Youm. Au caractère politico-médiatique de « l’affaire des primes » s’ajoute le procès des deux fonctionnaires, élevés au rang de héros de la liberté d’expression pour ceux qui les soutiennent, et réduits à celui d’employés indélicats par le ministère qui les poursuit. Dans le fond, l’affaire interroge les limites entre la liberté d’information et le devoir de réserve imposé aux fonctionnaires de l’Etat. En plus de l’intrigue politique. En effet, l’article 18 du statut général de la fonction publique, sur lequel repose en grande partie l’accusation, est plutôt clair, il stipule que « tout fonctionnaire est lié par l’obligation de discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les faits et informations dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Tout détournement, toute communication contraire au règlement de pièces ou documents de service à des tiers sont

formellement interdits. » L’article précise même que la levée de l’interdiction n’est possible que sur décision du ministre.

Un autre texte, l’article 449, à la base pensé pour le secret médical, enfonce le clou en élargissant ces dispositions au fonctionnariat en général. Il stipule que « (tout) dépositaire, par état ou profession ou par fonctions permanentes ou temporaires, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, ont révélé ces secrets, sont punis de l’emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 1 200 à 20 000 dirhams. »

 

Constitution vs code pénal

En somme, un fonctionnaire de l’Etat s’expose à des poursuites à chaque fois qu’il communique avec les médias. Et ce, quelle que soit la nature de cette communication.

Taoufik Bouachrine, directeur d’Akhbar Al Youm, s’insurge contre ce procès et parle de « terrorisme ». « Le plus grave c’est qu’ils font peur aux sources des journalistes. A terme, ils vont tuer la presse d’investigation », nous déclare-t-il. Mais si les textes de loi sont aussi clairs, qu’est-ce qui a permis à cette polémique d’émerger ? « Ces textes sont en contradiction avec la nouvelle Constitution qui est la loi suprême », nous explique le député Abdelaziz Aftati. Dans son article 27, la loi fondamentale stipule tout aussi clairement que « les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, les institutions élues et les organismes investis d’une mission de service public ». La Constitution ne limite ce droit que par « la protection de tout ce qui concerne la défense nationale, la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, ainsi que la vie privée des personnes ». « La Constitution est au-dessus de ces lois. Le ministère de l’Economie a engagé des poursuites illégitimes. Comment peut-on considérer comme secret une simple information, utile aux citoyens ? », s’interroge Aftati. Une source proche de la défense va plus loin, expliquant que, même en vertu de la législation actuelle, les poursuites sont caduques. « Le code pénal punit la divulgation de secret et pas le non-respect de la discrétion professionnelle. Or ces documents ne sont pas secrets. » Quelle que soit l’issue du procès, une dizaine d’ONG, dont Transparency, réclame l’abandon des poursuites contre Abdelmajid Louiz et Mohamed Réda ainsi que le changement de la loi pour en finir avec la culture du secret.

Zakaria Choukrallah

*Abdallah Harsi : « Il ne devrait pas y avoir de secret concernant l’usage des deniers publics »

 

Que pensez-vous de l’affaire Abdelmajid Louiz ?

Cette affaire fait douter sérieusement des déclarations de principe d’assurer la transparence dans la gestion de la chose publique. Pourquoi s’inquiéter de la divulgation d’informations relatives à des

indemnités de hauts fonctionnaires, alors qu’en principe, il n’y a pas, et ne devrait pas y avoir de secret concernant l’usage qui est fait des deniers publics ? Après la divulgation de l’information dans la presse, les responsables auraient dû, tout simplement, informer le public de la légalité et non des faits, en faisant prévaloir les textes applicables.

 

Comment établir une frontière entre ce qui relève du droit à l’information et ce qui relève du secret professionnel ?

L’article 27 de la Constitution, qui reconnaît le droit d’accès à l’information, a abrogé tacitement tous les textes contraires antérieurs, y compris les dispositions de l’article 18.

D’autre part, la référence au code pénal dans l’article 18 concerne uniquement les sanctions, et non pas la définition du secret professionnel, car celle-ci n’existe pas. Le secret professionnel étant de nature exceptionnelle, il ne se définit donc pas d’une manière générale. Il n’y a secret professionnel que lorsque le législateur l’impose expressément pour une activité administrative donnée, et pour une catégorie de fonctionnaires déterminée. Or, dans l’affaire qui nous intéresse, il n’y a aucun texte législatif qui interdise aux agents publics de divulguer les informations relatives auxdites indemnités. Et même en admettant que l’article 18 est toujours applicable, l’affaire Abdelamajid Louiz demeure de nature purement administrative.

Propos recueillis par Z.C.


* Professeur de droit public à l’Université de Fès et membre du Conseil national de Transparency Maroc

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