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Demain, un Maroc laĂŻque ? 
actuel n°40, samedi 27 mars 2010
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L’AMDH, la plus importante association des droits humains inscrit la laĂŻcitĂ© Ă  l’ordre du jour de son prochain congrĂšs, le 20 mai. Le dĂ©bat est relancĂ©.

On s’attend Ă  un dĂ©bat houleux mais passionnant du 20 au 23 mai prochain Ă  Bouznika, lors de notre troisiĂšme congrĂšs », s’impatiente en sirotant son cafĂ© Youssef RaĂŻssouni, chef du bureau de Rabat de l’AMDH (Association marocaine des droits humains). Et pour cause, l’association aux 15 000 adhĂ©rents envisage de revendiquer ofïŹciellement la laĂŻcitĂ©, la sĂ©paration du religieux et du politique.

En 2001 dĂ©jĂ , les militants avaient Ă©chouĂ© Ă  inscrire cette revendication dans la charte de l’ONG. Certains avaient estimĂ© que la sociĂ©tĂ© n’était pas prĂȘte Ă  intĂ©grer cette clause. Aujourd’hui, ce point a toutes les chances d’ĂȘtre adoptĂ© lors du congrĂšs de mai, le dĂ©bat Ă©tant arrivĂ© Ă  maturitĂ©. Cette « guĂ©guerre », au sein d’une ONG composĂ©e essentiellement de forces de gauche, renseigne sur la difïŹcultĂ© Ă  dĂ©battre de cette question.

MĂȘme si certaines associations comme le RĂ©seau amazigh pour la citoyennetĂ© (AZETA) ou le RĂ©seau des associations de quartier du Grand Casablanca (RESAQ) ont Ă©rigĂ© la laĂŻcitĂ© en prioritĂ©, peu de militants et d’intellectuels osent franchir le pas. La laĂŻcitĂ© est perçue comme Ă©tant antireligieuse et incompatible avec le rĂ©gime politique marocain (voir dĂ©bat). Elle est toujours confondue avec l’athĂ©isme. « Un État laĂŻque protĂšge au contraire tout le monde, musulmans compris », s’insurge le philosophe Ahmed Assid.

Réalités sociales complexes

Pour le camp des laĂŻcs, la sociĂ©tĂ© marocaine est de facto laĂŻque car plusieurs religions et comportements sociaux (consommation de l’alcool par exemple) y cohabitent. Pour les anti-laĂŻcitĂ©, il ne faut pas simpliïŹ er les rĂ©alitĂ©s sociales complexes des Marocains. « La sĂ©paration entre la religion et l’État est impossible au Maroc. L’islam est trĂšs prĂ©sent dans notre sociĂ©tĂ©. En tant que religion mais aussi en tant qu’éthique », estime SaĂądeddine El Othmani, actuel prĂ©sident du Conseil national du PJD (Parti justice et dĂ©veloppement) et ancien secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la formation. Le dĂ©bat, vieux comme le monde, n’est donc pas prĂȘt de se tarir.

Zakaria Choukrallah

Pas de développement sans laïcité

Une vĂ©ritĂ© historique : tous les pays qui se sont dĂ©veloppĂ©s ont dĂ» sĂ©parer religion et pouvoir politique. « C’est une vĂ©ritĂ© absolue, immuable qui date du XVIĂšme siĂšcle », conïŹ rme l’économistE Mehdi Lahlou. Comment un choix rĂ©solument politique et sociĂ©tal peut-il inïŹ‚uer sur l’économie ? RĂ©ponse : « Mettre de cĂŽtĂ© la religion permet de se concentrer sur les vrais problĂšmes. Au lieu de se concentrer sur la ïŹnanc islamique par exemple, on ferait mieux de nous intĂ©resser aux vrais tares du sous-dĂ©veloppement », assĂšne notre Ă©conomiste. Selon ce dernier, le coĂ»t Ă©conomique de la « non-laĂŻcitĂ© » est Ă©norme.

Il se vĂ©riïŹe tout d’abord dans nos Ă©coles, censĂ©es former les dĂ©cideurs de demain. « Le dĂ©bat au sein de l’élite estudiantine est dominĂ© par le religieux et l’idĂ©ologie, au lieu d’ĂȘtre ouvert sur le monde et les grandes thĂ©ories », s’insurge celui qui est Ă©galement professeur Ă  l’Institut national de statistiques (INSEA). De plus, l’élite dĂ©jĂ  en place, supposĂ©e ĂȘtre ouverte et savante ne joue pas son rĂŽle. « Je refuse le mot Ă©lite en lui-mĂȘme. En rĂ©alitĂ©, nous disposons de notabilitĂ©s qui proïŹtent de leur aura politique et religieuse », conclut Mehdi Lahlou.


Laics et islamistes, le débat

Sommes-nous prĂȘts Ă  sĂ©parer le religieux et le politique ? La laĂŻcitĂ© reprĂ©sente-t-elle notre planche de salut ? actuel Ă  invitĂ© deux intellectuels, un laĂŻc et un islamiste, pour y voir plus clair. Arguments et contre-arguments.

Ahmed Assid, philosophe

LA SOCIÉTÉ ET LA LAÏCITÉ

Les Marocains ne demandent qu’à ĂȘtre laĂŻcs
Ceux qui estiment que la sociĂ©tĂ© n’est pas prĂȘte sont rĂ©fractaires au changement. C’est toujours l’élite qui opĂšre les bouleversements. Cela s’est vĂ©riïŹĂ© en France, oĂč les philosophes des LumiĂšres ont conduit Ă  la rĂ©volution ; au Japon, oĂč l’empereur et une petite Ă©lite ont entrepris de moderniser le pays. Au Maroc, c’est une Ă©lite arabo-andalouse qui a imposĂ© le modĂšle arabo-musulman. Un État laĂŻque protĂšge l’islam et les croyances de tout le monde.

LES INSTITUTIONS ET LA LAÏCITÉ

Compatible avec notre systĂšme politique...
La commanderie des croyants n’est pas l’apanage des seuls musulmans. Qui a toujours protĂ©gĂ© les juifs marocains ? Le sultan, amir al mouminine. Pour rĂ©ussir la transition dĂ©mocratique, il est fondamental de reconnaĂźtre la diversitĂ© religieuse. Il faut entamer une rĂ©forme constitutionnelle qui aille dans ce sens, tout en maintenant les prĂ©rogatives religieuses du roi.

... mais de toutes les maniĂšres, les politiques sont frileux
La diffusion de l’idĂ©ologie wahhabite pour contrer la gauche a eu des effets dĂ©vastateurs. ConsĂ©quence : nous vivons aujourd’hui dans un État Ă  la fois moderne et traditionnel-religieux. Le consensus politique Ă©tabli avec un Makhzen de plus en plus puissant empĂȘche ces forces progressistes d’ĂȘtre vĂ©ritablement sincĂšres. La gauche rĂ©clame la « modernitĂ© », la « dĂ©mocratie ». Mais dans le fond, il s’agit bien de revendications laĂŻques. Tant que ce statu quo durera, nous n’avancerons jamais vers la modernitĂ©.

RELIGION ET LAÏCITÉ

LaĂŻciser, ce n’est pas encourager l’athĂ©isme
C’est de la dĂ©sinformation. L’objectif des intĂ©gristes est de manipuler la population Ă  travers la religion. C’est dans cette optique qu’ils entretiennent l’amalgame entre la laĂŻcitĂ© et l’athĂ©isme. Un État laĂŻque propose au contraire de protĂ©ger les croyances de tout le monde.

NOTRE HISTOIRE ET LA LAÏCITÉ

Nous avons toujours été laïques
La laĂŻcitĂ© relĂšve de notre histoire, de notre patrimoine en plus d’ĂȘtre un concept universel. Il ne s’agit pas d’une valeur importĂ©e comme se plaisent Ă  le dire les intĂ©gristes. Le Maroc a toujours Ă©tĂ© de tradition laĂŻque. Nos ancĂȘtres sĂ©paraient le terrestre et le divin. Les affaires politiques relevaient du conseil Ă©lu, Ă  la tĂȘte duquel il y avait « l’amghar » (chef de tribu). La religion et le spirituel Ă©taient la chasse gardĂ©e du « fquih » (qui ne siĂ©geait pas au sein de la JamaĂą).

Mustapha El KhalïŹ , membre dirigeant du PJD

LA SOCIÉTÉ ET LA LAÏCITÉ

À l’encontre des aspirations de la sociĂ©tĂ© marocaine
C’est une revendication irrĂ©aliste, qui Ă©mane d’une minoritĂ© qui va Ă  l’encontre des aspirations de la sociĂ©tĂ© marocaine. La laĂŻcisation ne va pas de pair avec la dĂ©mocratisation. Il y a mĂȘme parfois contradiction entre les deux. Plusieurs exemples le prouvent : la Tunisie qui est restĂ©e un État policier, la Turquie militaire d’AtatĂŒrk ou la France qui a encore peur du hijab.

Le Maroc n’est pas de facto laïque
C’est un vieil argument. Le Maroc n’est pas de facto un État laĂŻque. Il est vrai qu’il existe des contradictions dans notre sociĂ©tĂ©. Il faut l’avouer, certains prĂ©ceptes de l’islam ne sont pas respectĂ©s. La consommation de l’alcool est par exemple rĂ©pandue. Mais cela ne veut pas dire qu’elle soit tolĂ©rĂ©e. Si vous demandez Ă  un alcoolique quel est son rĂ©fĂ©rentiel, il vous rĂ©pondra naturellement que c’est l’islam. Faire de telles lectures, c’est simpliïŹer trop rapidement nos rĂ©alitĂ©s sociales. Si nous nous rĂ©fĂ©rons aux sondages d’opinion, il est clair que les Marocains rĂ©clament que la religion joue un rĂŽle dans leur vie politique et sociale.

LES INSTITUTIONS ET LA LAÏCITÉ

Incompatible avec Imarat Al Mouminine
Il y a des États dĂ©mocratiques oĂč la religion est trĂšs prĂ©sente. Comme le Royaume-Uni, oĂč la reine est aussi chef de l’Église. Le rĂ©fĂ©rentiel du Maroc est religieux. Nous sommes pour la distinction entre la sphĂšre politique et religieuse. Mais attention, nous n’appelons pas Ă  une laĂŻcitĂ© light. Notre rĂ©fĂ©rence est le prophĂšte qui distinguait entre ses prĂ©rogatives religieuses et ses responsabilitĂ©s de chef d’État. tout en restant ouvert au dialogue (Choura).

RELIGION ET LAÏCITÉ

LaĂŻcitĂ© et athĂ©isme, mĂȘme combat
Nous ne faisons pas du tout l’amalgame entre la laĂŻcitĂ© et l’athĂ©isme. LĂ  n’est pas la question. Cela Ă©tant dit, nous combattons ces deux phĂ©nomĂšnes.

NOTRE HISTOIRE ET LA LAÏCITÉ

Un concept importé
PrĂ©tendre cela, c’est simpliïŹer et travestir l’Histoire. Oui le fquih n’intervenait pas dans les affaires de la communautĂ©, mais c’est oublier le rĂŽle d’arbitrage des zaouĂŻas quand il y avait conïŹ‚it politique. Cette interprĂ©tation erronĂ©e est basĂ©e sur les travaux biaisĂ©s de certains anthropologues orientalistes.

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