La polémique suscitée par l’affaire #RIPAmina a fait de l’ombre à un autre drame humain qui se joue en parallèle : l’affaire #FreeEzzedine. Un jeune Tazaoui qui se dit victime d’une torture digne des années de plomb.
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C’est l’histoire d’un jeune étudiant, militant d’extrême gauche au sein de l’UNEM (Union nationale des étudiants du Maroc), condamné le 21 décembre 2011 à cinq mois de prison ferme qu’il passe au centre pénitentiaire de Taza, sa ville natale. Ezzedine Roussi n’est pas le seul à purger une telle peine, mais son cas est particulier car il se trouve « entre la vie et la mort », selon sa famille, ses camarades et les jeunes qui se sont mobilisés pour sa cause sur twitter et facebook au sein de plusieurs groupes, comme « Free Ezzedine Roussi » qui réunit près de 700 membres. Ce qui était une affaire « politique » pour les militants se transforme de plus en plus en drame humain de premier plan, au point de faire réagir Hit Radio qui a consacré une émission à ce cas peu médiatisé jusqu’alors.
« Il meurt devant moi »
En grève de la faim depuis presque cent jours, le jeune Ezzedine Roussi, 23 ans, a perdu 24 kilos et n’arrive plus à parler normalement. Ses articulations se sont enflammées et il pourrait bien ne plus être de ce monde à la lecture de ces lignes, mettent en garde les associatifs. Le mardi 27 mars, il se trouvait à l’hôpital de la ville pour être placé sous perfusion et maintenu en vie et, selon des militants, le directeur de la prison se serait rendu sur place pour s’enquérir de son état. Ce n’est pas la première fois que Ezzedine Roussi est transporté à l’hôpital pour recevoir des soins. Son père, Driss Roussi, 70 ans, nous parle de l’état de santé de son fils, la gorge serrée et en pleurs. Il lance un cri du cœur : « Je l’ai vu lundi (26 mars, ndlr) à 10h30. Il meurt devant moi, je ne peux pas vous le décrire, je n’arrive pas à le regarder dans les yeux ! Ce sont les responsables qui lui donnent à boire, qui l’habillent, qui l’aident à s’asseoir. Il n’arrive même pas à parler. Je vous en conjure, si vous pouvez faire quelque chose pour lui... Aidez-moi à le faire soigner au moins. » La peine de prison que purge son fils est un coup dur pour ce vieil homme sans niveau scolaire qui vit très modestement, en périphérie de la ville, avec sa fille et sa femme.
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« Une seule balle et c’en est fini de toi »
Les avocats du jeune militant, Me Abdelkrim Doudouh et Me Khalil El Yaagoubi, ont pour principale priorité de convaincre leur client de se nourrir. Ezzedine Roussi, lui, refuse catégoriquement. C’est que le jeune militant de l’UNEM a des positions tranchées et semble déterminé. Il a été arrêté le 1er décembre 2011 et les faits qui lui sont reprochés sont graves. Selon l’accusation, il a séquestré à la faculté, avec ses camarades, une femme agent de police qu’il a accusée d’espionner son groupe, et lui a fait subir un interrogatoire dans le cadre de ces fameux procès publics organisés dans l’établissement par les étudiants d’extrême gauche. Les accusations retenues contre lui vont « d’insulte à fonctionnaire » à « coups et blessures », « port d’arme », « vol ». Mais le tribunal s’est surtout reposé sur l’article 436 du code pénal relatif à la séquestration et à la détention. Il a ainsi été condamné en première instance à trois mois de prison, puis la peine a été alourdie à cinq mois en appel. Depuis sa cellule, le principal intéressé ne nie pas le « procès » de la policière, mais livre un témoignage qui donne une nouvelle tournure à l’affaire. Il a rédigé une lettre au ton très véhément contre les autorités, titrée « journal de torture », où il décrit les atrocités qu’il aurait subies lors de son arrestation et de son interrogatoire. « J’ai été arrêté par trente agents répressifs, ils m’ont tabassé à coups de matraque jusqu’à ce que je m’évanouisse. Ils m’ont ligoté et tiré par les pieds pour m’amener à la voiture blindée stationnée devant la faculté, porte ouest, du côté du cimetière. Là , ils m’ont déshabillé. Ils ont commencé à m’insulter et à me frapper violemment. A plusieurs reprises, ils ont piétiné ma tête et mon ventre avec leurs pieds. Ensuite un des agents m’a mis un pistolet dans ma bouche en disant “une seule balle et c’en est fini de toi, les années de plomb ne sont pas terminées et tu verras les horreurs que tu n’as jamais vues depuis ta venue au monde”. » Son récit glaçant ne se termine pas là , le jeune militant affirme qu’on lui a mis un torchon de « boue et d’huile de moteur » dans la bouche qui a failli l’étouffer…
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Sans plainte, pas d’enquête
Des assertions très graves, qui, si elles s’avèrent exactes, touchent les droits fondamentaux de l’individu et vont à l’encontre de la nouvelle Constitution qui criminalise fermement la torture. Contacté par actuel, le ministre de la Justice et des Libertés, Mustafa Ramid, affirme qu’il n’a pas reçu de plainte dans ce sens. « Si je reçois une plainte, je peux vous garantir que je ne ménagerai aucun effort pour ouvrir une enquête sur ces déclarations et tirer cette affaire au clair », promet le ministre. Mountassir Drissi, militant à l’AMDH (Association marocaine des droits humains) affirme que son association a saisi le ministère il y a déjà un mois, sans succès. « Ramid a répondu comme pour tous les autres cas durant l’ancien gouvernement. Déposer plainte contre qui ? Une lettre adressée au ministre, une rencontre avec le CNDH, des demandes de visite insatisfaites... Le gouvernement se fiche de Ezzedine », s’insurge-t-il. Mais toujours est-il, aucune plainte n’a été déposée officiellement… L’avocat de Ezzedine n’écarte pas l’éventualité de ce recours mais, pour cela, il faudrait que son client le décide. « La torture est difficilement prouvable quand elle n’est pas attestée dès les premières audiences devant le procureur. C’est techniquement possible, mais très difficile dans les faits. Même dans le procès verbal, il est spécifié que les blessures datent d’avant le procès, ce qui complique la tâche », explique Me  Doudouh. Mais pour l’heure, ce n’est pas ce qui préoccupe le plus l’avocat. Pour lui, il s’agit d’abord de sauver un jeune homme dont la trop forte détermination pourrait lui coûter la vie.
Zakaria Choukrallah
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