Saviez-vous qu’en remplissant un simple formulaire au tribunal de votre ville vous pourriez sauvez une vie ? Le don d’organes, qui est permis par la religion, dispose d’un cadre légal pour une fois irréprochable, mais demeure méconnu faute de médiatisation.
En onze longue années, seules 800 personnes se sont inscrites sur les registres pour faire don de leurs organes. A Casablanca, six personnes seulement sont inscrites sur ces listes ! C’est dire la situation catastrophique de la greffe d’organe au Maroc, et le peu d’intérêt qui lui est accordé alors même qu’il s’agit, pour des centaines de malades, d’une question de vie ou de mort.
Pire, ces chiffres alarmants ne seraient pas connus si la fille de Mustafa Ramid, ministre de la Justice et des Libertés, n’avait pas soutenu sa thèse de médecine sur cette question. Sensibilisé sur la question grâce aux travaux de sa fille, le ministre s’est dit « choqué » lors d’une table ronde sur le thème du « don des reins, une offrande de la vie », organisée jeudi 8 mars à Casablanca. « Après ma mort, je serai mangé par les vers tout comme chacun de nous. Pourquoi ne pas faire acte de générosité et sauver des vies ? Il n’est pas tolérable d’aller à l’étranger pour se faire greffer. Il y a différentes formes de sous-développement, et c’en est une ! », s’est insurgé le ministre qui a annoncé avoir fait don de ses organes ainsi que sa femme. Grâce au buzz que Ramid a créé, 28 nouveaux donneurs se sont inscrits sur la base de données. Mais c’est loin d’être suffisant.
La chaîne Medi 1 TV a réalisé dans la foulée une enquête sur la question dans le cadre de l’émission « Mouhaquiqoune », diffusée le 18 mars, et qu’il est possible de revoir sur le site medi1tv.com. On y découvre le calvaire des familles qui ne trouvent pas d’organes, comme cette femme contrainte d’acheter en Egypte un rein pour sa fille. Malgré le geste désespéré de la mère, sa fille mourra des suites de l’opération réalisée dans de mauvaises conditions.
S’il y avait eu un donneur au Maroc, non seulement sa fille aurait été sauvée, mais cela aurait aussi compliqué le travail des mafias des organes et permis peut-être à ce jeune, qui a vendu au médecin véreux son rein pour 15 000 dirhams, de se rétracter.
Cela est d’autant plus déplorable que la législation marocaine est, pour une fois, très avancée en la matière et offre un cadre légal satisfaisant pour permettre des greffes dans de bonnes conditions, tout en évitant le commerce d’organes.
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Vingt ans de prison pour les trafiquants
La loi 16-98 en cours depuis le 25 août 1999 distingue entre le donneur vivant et le donneur mort. Le donneur vivant peut offrir un rein par exemple, mais à condition que ce soit gratuit et restreint au premier cercle familial (parent, enfant) ou au deuxième cercle (oncle, tante, neveu, etc.). Cette restriction a évidemment pour objectif d’éviter que le don ne se transforme en vente d’organes.
Le don d’organes après la mort est aussi permis pour la transplantation à des malades ou pour la recherche scientifique après avoir rempli un formulaire. La loi est très stricte envers les infractions, et punit de 5 à 20 ans de prison et de 50 000 à 500 000 dirhams d’amende les cas de vente d’organes. Aussi, seuls les Centres hospitaliers universitaires – au nombre de six dans tout le Royaume – sont autorisés à effectuer des greffes, et ce, pour éviter les dérives commerciales qui pourraient naître d’une généralisation au privé.
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« Problème de sensibilisation »
La religion musulmane est aussi ouverte au don d’organes. Celui-ci constitue un sujet d’ijtihad (interprétation), vu la nouveauté de la question. A l’image du don de sang, la plupart des écoles religieuses, dont le Conseil des oulémas marocains, autorisent le don d’organes et le considère même souhaitable. La seule condition étant l’accord du donneur, qu’il ne subisse pas de pressions et que son geste soit gratuit.
Avec tous ces arguments, comment expliquer alors qu’il y ait si peu de Marocains qui acceptent de faire don de leurs organes ? « C’est un problème de sensibilisation », explique Saïd El Kharrazi, président de la FMAIRTO (Fédération marocaine des associations de soutien des insuffisants rénaux et de transplantation d’organes). « Nous sommes très en retard par rapport à des pays comme la Tunisie ou l’Iran, et cela est dû au manque d’information. Il faudrait que les médias, l’école, les juges et les religieux sensibilisent à la question qui reste très floue pour le grand public », poursuit-il.
En effet, en l’absence d’une médiatisation, la société marocaine continue de croire que le don d’organes est interdit par l’islam et l’assimile à une mutilation du cadavre. Alors que c’est plutôt un acte généreux et souhaitable pour sauver les vivants. Les Marocains ne sont pas aussi familiers du concept de « mort cérébrale », où ignorent tout simplement la possibilité d’offrir ses organes après la mort.
Il existe également un autre frein, lié à la relative complexité de la procédure pour le don après la mort. Il faut se rendre au tribunal pour remplir un registre prévu à cet effet, qui a valeur de testament.
En cas de décès, la famille est informée de la décision du défunt de faire don de ses organes, et le prélèvement est effectué avec l’assentiment de la famille. « Le mot tribunal fait peur aux gens. Il faudrait simplifier la procédure et la rendre souple. En deux ou trois minutes, il devrait être possible de s’enregistrer », propose Saïd El Kharrazi.
Mais d’ici là , pourquoi ne pas faire preuve de solidarité et de citoyenneté et se rendre au tribunal pour faire don de vie ?
Zakaria Choukrallah (futur donneur) |