Les déclarations à l’emporte-pièce du ministre pjdiste sont inspirées d’une matrice commune : le Mouvement unicité et réforme. Une association de prédication religieuse aux longues tentacules, fondée avant le PJD et dont sont issus la plupart de ses dirigeants.
Pour réprouver le festival Mawazine, Lahbib Choubani, ministre pjdiste des relations avec le Parlement et la société civile recourt, entre autres arguments, au fait que « la retransmission du festival sur les télévisions publiques perturbe les élèves car elle intervient en pleine période d’examens ». Une idée défendue depuis des années déjà par le MUR, considéré comme la matrice du PJD et son bras idéologique.
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Les récentes sorties de certains responsables du PJD, dont l’élu communal de Tétouan, Amine Boukhoubza, maudissant la mairie qui ose financer des festivals de « prostituées », celles de Mustapha El Khalfi sur le droit de porter le voile à l’écran sur les chaînes publiques, renvoient à des débats moraux qui sont la spécialité du MUR – le militantisme pour le port du voile dans les administrations – et qui rappellent aujourd’hui les liens étroits qui existent entre le parti et le mouvement de prédication religieuse.
« Le système des valeurs du PJD n’a pas changé et puise dans le référentiel du MUR. Il existe une confusion organisationnelle entre le parti et le mouvement. Le PJD est le produit du MUR. Sans le MUR, il n’est rien », estime le politologue Mohamed Darif.
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Avant le PJD, le MUR…
Après avoir mis un moment en sourdine le discours ultraconservateur des islamistes, « l’aile gouvernementale » du PJD se remet donc à puiser dans l’argumentaire de sa matrice originelle, probablement pour satisfaire la base islamiste du parti.
Le MUR, qui avait adressé avant cela une lettre de félicitations au ton très politique à Abdelilah Benkirane après sa victoire aux élections, remet sur le devant de la scène le concept de « l’art propre ». Mises bout à bout, ces prises de positions convergentes replacent le MUR au cœur du débat politique et sociétal, et interpellent sur la nature de sa relation avec un PJD aujourd’hui au gouvernement.
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D’ailleurs, la quasi-totalité des membres dirigeants du PJD ont fait leurs armes au MUR : Abdelilah Benkirane, Mustafa Ramid, Abdellah Baha, Mustapha El Khalfi, Bassima El Hakkaoui... Le premier président du MUR, Ahmed Raïssouni, a également été en même temps le président du Conseil national du PJD. Si le parti ne dispose pas d’un journal officiel, ses positions sont officieusement défendues par Attajdid… le journal du MUR (voir encadré).
Le MUR a préexisté au PJD.
Le mouvement est le fruit de la fusion, en 1996, du Mouvement du renouveau et de la réforme (MRR) de Abdelilah Benkirane, l’actuel Sscrétaire général du PJD (et ancien directeur d’Attajdid) avec la Ligue de l’avenir islamique d’Ahmed Raïssouni, ancienne émanation de la Chabiba islamiya. A l’époque, l’objectif était l’entrée dans l’arène politique. Elle a finalement eu lieu avec la création du PJD en 1998.
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Mêmes combats, discours différents
Prosaïquement, le Mouvement unicité et réforme est une association de prédication religieuse qui a pour objectif « de contribuer à la compréhension de la religion, de ses préceptes au niveau de l’individu, de la famille, de la société et de l’Etat », comme nous l’explique Mohamed Hamdaoui, son président.
Dans les faits, le MUR est un mastodonte qui « collabore et coordonne », selon Mohamed Hamdaoui, avec la section estudiantine islamiste Attajdid Attoulabi, et un réseau de soixante associations féministes réunies sous la bannière du « forum Azzahrae ». Et qui contrôle aussi, selon Mohamed Darif, le syndicat UNTM dirigé par le pjdiste et membre du MUR Mohamed Yatim.
Le terrain de prédilection d’Unicité et réforme touche aux mœurs, qu’il s’agisse de la promotion du port correct du voile, du combat contre la prostitution ou encore de la sensibilisation des jeunes aux méfaits de la cigarette, dernière campagne en date menée par ses adhérents.
A travers cet engagement sociétal et le vaste réseau mis en place par ses « frères », le MUR permet ainsi aux dirigeants du PJD « d’être présents dans le champ de l’establishment tout en restant proches de la base », écrit Malika Zeghal dans son ouvrage Les islamistes marocains, le défi à la monarchie (Ed. La Découverte, 2005).
Cela étant, réduire le PJD a une simple caisse de résonance du MUR serait trop simpliste car le passage en politique à travers les élections locales, puis les législatives, et enfin l’arrivée au gouvernement des islamistes ont « provoqué une distinction de plus en plus nette entre les deux structures », estime le politologue Youssef Belal qui rappelle que l’argumentaire est différent entre les deux instances. Le PJD a un discours politique basé sur un argumentaire économique ou sur l’application de la loi, tandis que le MUR est lié à la tradition religieuse et relève du discours moral.
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Le PJD saute le MUR
Les islamistes marocains dits modérés ont même innové, et évolué, dans la mesure où c’est le politique qui commence à prendre le pas sur la prédication, « contrairement à Ennahda qui avoue vouloir s’inspirer du PJD ou des Frères de Jordanie qui restent otages de la Da’wa », conclut Belal.
Une évolution des discours, perceptible au MUR lui-même. « Nous convergeons sur le projet sociétal dans le cadre d’un partenariat stratégique mais avec une totale indépendance entre nos deux instances. Une situation comparable à la relation qui existe entre les associations de défense de l’environnement et les partis verts en Europe », dixit Mohamed Hamdaoui.
La seule « nuance à apporter à cette nuance » est dans le fondement même de l’islamisme politique, aussi évolué soit-il : le parti, s’il n’est pas l’otage de l’association de prédication, reste lié à quelque chose de plus grand que lui et dont le projet englobe le politique, l’art, la religion dans un tout. C’est ce qui explique les pics moralisateurs de ministres éminemment politiques.
« Il ne peut y avoir de séparation entre le politique et le sociétal chez les islamistes, autrement ils deviendraient laïques », ironise Darif. Le pragmatisme politique du PJD a donc une limite qui s’appelle le MUR. Ce qui le conduit à ne jamais abandonner la rhétorique et les thématiques moralisatrices propres au courant islamiste. Nous voilà prévenus.
Zakaria Choukrallah |