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Francophonie ? Cacophonie 
actuel n°39, samedi 20 mars 2010
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Au mĂȘme titre que de nombreux autres pays, le Maroc cĂ©lĂšbre, le 20 mars, la JournĂ©e internationale de la francophonie. L’occasion de faire le point sur une langue de moins en moins pratiquĂ©e et de plus en plus indispensable.

Si vous lisez cette phrase, c’est que vous avez un point commun avec 803 millions de terriens : vous ĂȘtes francophone. Le Maroc est l’un des bons Ă©lĂšves parmi les 70 pays francophones qui fĂȘtent leur journĂ©e internationale, le 20 mars. HĂ©las, le Royaume n’est pas rĂ©ellement bilingue et ce sont en fait deux nations monolingues qui se cĂŽtoient au sein d’un mĂȘme pays.

SOCIÉTÉ Une affaire de standing

Selon les chiffres de l’organisation mondiale, prĂšs de 17 % de la population marocaine est parfaitement francophone. La popularitĂ© de la langue de MoliĂšre n’est plus Ă  dĂ©montrer. MĂȘme si l’utilisation du français dans la sociĂ©tĂ© est en perte de vitesse. Le fossĂ© entre une caste francophone, minoritaire mais inïŹ‚uente, et le reste de la population, dont une majoritĂ© ne maĂźtrise que la darija, se creuse davantage. « Et ce n’est pas notre systĂšme d’éducation publique qui va pallier les Ă©carts », commente l’universitaire Ahmed Assid. Le français n’est pas connu par tous les Marocains. « Pour parler et lire le français, il faut avoir frĂ©quentĂ© l’école jusqu’à la ïŹn du secondaire. Comme prĂšs de 50 % des enfants marocains ne terminent pas leur secondaire, il arrive qu’ils oublient ensuite le peu de français qu’ils ont appris », analyse le linguiste Jacques Leclerc, dans L’amĂ©nagement linguistique dans le monde. Bref, le français est connu et utilisĂ© uniquement par tous ceux qui ont fait des Ă©tudes universitaires, qui tiennent des commerces importants, qui font des affaires, qui jouent un rĂŽle primordial dans la vie culturelle du pays ou qui sont en contact rĂ©gulier avec les touristes. La culture française est Ă©galement en perte de vitesse. Les mĂ©dias en sont un exemple marquant. Le taux de pĂ©nĂ©tration quotidien des chaĂźnes françaises ne dĂ©passe guĂšre les 25 % (chiffres Sigma Conseil, 2005), alors qu’il Ă©tait estimĂ© Ă  prĂšs de 30 % un an auparavant ! DĂ©sormais, on ne jure plus que par Al Jazeera, MBC, Al Arabia et Rotana.

ENSEIGNEMENT Un ratage nommé arabisation

S’il est un secteur oĂč la langue française est en nette perte de vitesse, c’est paradoxalement l’enseignement. Le Maroc, qui avait menĂ© tambour battant sa politique linguistique d’arabisation aprĂšs l’indĂ©pendance, a mis la pĂ©dale douce ces derniĂšres dĂ©cennies. Entre les deux pĂ©riodes, toute une gĂ©nĂ©ration a Ă©tĂ© sacriïŹĂ©e. « À cause de l’hypocrisie de ceux qui brandissaient l’arabisation comme gage de souverainetĂ©, tout en plaçant leurs enfants Ă  la mission française, nous nous retrouvons avec des bacheliers qui ne maĂźtrisent aucune langue », martĂšle Assid. Or, si l’enseignement primaire et secondaire a Ă©tĂ© entiĂšrement arabisĂ©, les Ă©tudes universitaires – exceptĂ© le droit et certaines sciences sociales –, restent en français. Aucune jonction entre les deux n’a Ă©tĂ© Ă©tablie. Et la moyenne de 6 heures par semaine d’enseignement du français dans nos collĂšges et lycĂ©es est loin de former des francophones dignes de ce nom. Pour pallier ce dĂ©ïŹcit, les familles les plus aisĂ©es prĂ©fĂšrent recourir aux nombreuses missions françaises que compte le pays, ou alors aux Ă©tablissements privĂ©s oĂč le français est privilĂ©giĂ©. « Tout cela ne forme pas un systĂšme Ă  mĂȘme de compenser le dĂ©ïŹcit de l’école publique », explique l’universitaire. La situation est tellement alarmante que le Conseil supĂ©rieur de l’enseignement Ă©labore actuellement un rapport sur la situation des langues. Il devra rendre sa copie en juillet prochain. Assez pour rattraper un demi-siĂšcle de mauvaise gestion de la diversitĂ© linguistique ? Rien n’est moins sĂ»r.

ADMINISTRATION L’arabe, une (fausse) langue ofïŹcielle

Dans les textes, Ă  commencer par la Constitution, l’arabe est la langue ofïŹcielle du pays. Et dĂšs 1965, de nombreux secteurs et corps de la fonction publique ont Ă©tĂ© arabisĂ©s Ă  100 %. C’est le cas pour la Justice, la police et la gendarmerie. La correspondance ofïŹcielle et les lois sont Ă©laborĂ©es et adoptĂ©es d’abord en arabe. Au Parlement, les dĂ©bats se dĂ©roulent dans la langue de Sibawayh. Mais l’arabe est loin d’ĂȘtre valable partout. Au sein du gouvernement, la langue arabe est naturellement usitĂ©e. Mais dĂšs qu’il s’agit d’un exposĂ© technique au sein du conseil de gouvernement, il est possible de changer pour le français. Pour les secteurs Ă©tatiques, producteurs de richesses et nĂ©cessitant un savoir technique, c’est le français qui prime. « C’est toujours le cas au ministĂšre des Finances, dans les ofïŹces et entreprises publiques et dans des organismes tels que la Caisse de dĂ©pĂŽt et de gestion (CDG) et Bank Al Maghrib. Si l’État tient Ă  la langue arabe, il cherche en mĂȘme temps Ă  se moderniser. Cela passe par le recrutement de proïŹls de technocrates parlant, souvent, le français Ă  titre exclusif », analyse l’économiste Najib Akesbi. Ceci, bien que la grande tendance aujourd’hui soit au bilinguisme. Une tendance qu’explique la volontĂ© d’un grand nombre de technocrates de se muer en politiques. L’exemple de Driss Benhima, Karim Ghellab et Adil Douiri qui ont fourni des efforts considĂ©rables pour pouvoir s’exprimer en arabe ou en darija, est des plus parlants.

BUSINESS Oui, mais pas seulement

Premier partenaire Ă©conomique – et de loin – du Maroc, la France est prĂ©sente dans pratiquement tous les secteurs qui comptent et, par consĂ©quent, Ă  travers sa langue. Le Maroc Ă©conomique est, et restera, encore francophone. À quelques rares exceptions prĂšs. Tout d’abord, l’arabe reste la langue utilisĂ©e dans les secteurs dits traditionnels comme l’artisanat, le commerce, l’agriculture, l’immobilier et la minoterie. Ensuite, ouverture oblige, l’anglais commence Ă  faire son entrĂ©e. Il n’est pas rare de voir des discussions, dans des projets tels que Tanger Med ou encore l’amĂ©nagement du Bouregreg Ă  Rabat, se dĂ©rouler en anglais. Idem dans des secteurs comme la ïŹnance oĂč sont prĂ©sents de nombreux laurĂ©ats des grandes universitĂ©s amĂ©ricaines. Dans les secteurs dits porteurs, la prioritĂ© reste aux laurĂ©ats des grandes Ă©coles parisiennes (Polytechnique, Ponts et ChaussĂ©es, Mines, Sciences Po, HEC
). Les multinationales, les 500 ïŹliales d’entreprises françaises mais aussi les grands groupes marocains recrutent leurs top managers, en prioritĂ©, dans ces Ă©tablissements. Et la grande majoritĂ© des membres de conseils d’administration sont des francophones, certains Ă  titre exclusif. Pour se renforcer et se garantir les places de choix, les anciens Ă©lĂšves de ces grandes Ă©coles parisiennes et d’autres, plus excentrĂ©es (ESC Reims, par exemple), s’organisent en groupes de lobbying. Dans l’entreprise marocaine, quand on parle arabe, c’est uniquement pour passer des instructions Ă  la base.

Tarik Qattab

Lundi aprĂšs-midi, salle Stendhal

  • YounĂšs : Bonjour, vous dĂ©sirez ?
  • Samira : Je voudrais un appartement dans un endroit calme.
  • YounĂšs : Et quel endroit tu prĂ©fĂšres ?
  • Samira : En face Ă  la plage.

Et c’est parti pour cinq petites minutes de nĂ©go. Non, nous ne sommes pas dans une agence immobiliĂšre mais Ă  l’écoute d’un jeu de rĂŽle, salle Stendhal, dans une annexe de l’Institut culturel français de Casa. Le français est parfois approximatif et on glisse vite vers le tutoiement, mais YounĂšs et Samira ont fait de sacrĂ©s progrĂšs depuis qu’ils suivent deux aprĂšs-midi par semaine le cours « faux dĂ©butants » de Madame Jamila Atif. Cette session compte 26 inscrits : un public plutĂŽt jeune, fĂ©minin et voilĂ© mais aussi un Ă©chantillon de ce Maroc adulte qui veut accĂ©der au français parce que, comme l’afïŹrme Fadoua, Ă©tudiante en sciences mathĂ©matiques, « c’est la premiĂšre langue au Maroc » . Le français, premiĂšre langue ? On ne parle pas ici du nombre de locuteurs mais de hiĂ©rarchie sociale. Les 55 000 Marocains, qui viennent chaque annĂ©e apprendre ou perfectionner la « langue de Lyautey » dans les instituts français, savent que la maĂźtrise de la conjugaison et une prononciation correcte sont les sĂ©sames indispensables pour accĂ©der Ă  un monde Ă©conomique dominĂ© par les francophones.

Ils ont pourtant appris le français Ă  l’école. Mais sans enthousiasme. « Au lycĂ©e, ils ne prennent pas le français au sĂ©rieux. J’ai moi-mĂȘme enseignĂ© Ă  des Ă©lĂšves qui sĂ©chaient mes cours du systĂšme public et me retrouvaient le soir au centre culturel français ! » , se souvient Jamila Atif. Ici comme ailleurs, la baisse du niveau dans le public est un pactole pour l’enseignement privé  La moitiĂ© des Ă©lĂšves de la salle Stendhal Ă©tudient en français Ă  la fac des matiĂšres scientiïŹques pourtant enseignĂ©es en arabe au lycĂ©e. Mais il n’y a pas que des Ă©tudiants dans ce cours : une coiffeuse Ă  la clientĂšle francophone, un industriel, une femme au foyer qui veut apprendre pour aider ses enfants, une autre mariĂ©e Ă  un Français, une employĂ©e de maison
 Certains arrivent analphabĂštes et apprennent l’écriture en mĂȘme temps que la langue.

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