Passion, ambition, déception, idéalisme… Le M20 cristallise, à travers les témoignages de ses fondateurs, tous ces sentiments, ces aspirations et ces craintes. Un an après, l’espoir, lui, reste entier.
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Ils ont été les premiers au Maroc à franchir le pas du virtuel vers le réel, dans le sillage des révolutions arabes. Nizar, Najib et les autres sont apparus dans les premières vidéos de ce mouvement, véritable ovni politique au Maroc. La plupart n’étaient pas politisés, certains avaient ou se sont découvert des affinités avec des partis politiques, mais tous ont marché dès le premier jour dans les rangs du M20. En 2011, c’était bien le « 20-Fév » qui, le premier, avait donné le la : des premières marches au discours royal du 9 mars, des tabassages de police au référendum constitutionnel, en passant par les contre-manifestations des baltagis, la mort de Kamal Ammari et enfin l’arrivée du PJD au pouvoir.
A l’occasion du premier anniversaire du mouvement, qui sera célébré à travers des manifestations nationales à partir du 19 février, les févrieristes reviennent sur leurs réalisations, leurs déceptions, mais surtout leurs aspirations et leurs espoirs. Ils font aussi leur autocritique, parfois sévère, et évaluent, sans langue de bois, un mouvement qu’ils aiment profondément.
Oussama Khlifi (Salé)
• Optimiste
« Le mouvement du 20-Février a réussi à concrétiser un grand nombre de ses revendications. La Constitution, même si elle n’a pas abouti à une monarchie parlementaire, reste une avancée. Au niveau des droits, l’égalité entre la femme et l’homme figure désormais dans le texte légal. La plus importante réalisation est que les Marocains ont tous pris conscience de la nécessité de combattre le fassad. Et c’est à ce niveau que le plus gros du travail reste à faire. Il y a d’abord les mauvaises pratiques politiques qui se perpétuent encore avec le cabinet royal, véritable gouvernement de l’ombre et les partis « cocotte-minute » de l’administration, comme le PAM. Ce fassad est aussi économique, à travers les grandes orientations de l’Etat et les projets structurants, comme le TGV, qui ne sont pas discutés par les représentants du peuple. Les petites entreprises sont lésées alors que les grandes structures ne paient pas d’impôts, etc. Qu’un parti comme le PJD reprenne à son compte le combat contre le fassad ne me dérange pas. Nous devons, en tant que rue protestataire, le soutenir s’il y arrive, et le dénoncer s’il ne s’agit que de poudre aux yeux. »
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Nizar Benamate (Rabat)
• Passionné
« Le 20-Février est pour moi une expérience unique. Je ne pourrai plus jamais revivre une expérience similaire. Je suis fier d’y prendre part. Je me rappelle comment, du petit noyau de personnes qui se retrouvaient dans les manifestations de soutien aux révolutions tunisienne et égyptienne, le groupe a pris de l’ampleur sur Internet, puis dans les rues. Au tout début, je me suis rendu à Marrakech pour retrouver les militants. Alors qu’ils ne me connaissaient que de vue, on s’est tous mis à travailler ensemble sur-le-champ. Le 20-Février, c’est passionnel. Ça a permis l’émergence d’une nouvelle élite jeune qui est passée d’observateur à acteur des événements, tout en posant un vrai débat qui a interpellé même ceux qui n’imaginaient jamais s’intéresser à la politique. Nous avons peut-être fait les choses un peu vite, sans poser les structures qui allaient nous servir après, mais je n’ai aucun regret. La situation sociale du pays est délicate. L’arrivée du PJD, qui a une faible marge de manœuvre, montrera vite ses limites. La Constitution aussi. Et comme les réformes économiques ne peuvent aller sans véritables réformes politiques, ce n’est qu’une question de temps. Et cela poussera la convergence des mouvements sociaux vers le 20-Février. »
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Hosni Al Mokhliss (Casablanca)
• Déçu
« Le discours du M20 est en train de sombrer dans la routine. Nous ne mobilisons plus comme avant, alors que les revendications du mouvement sont toujours d’actualité. Pour y pallier, certains durcissent le ton en appelant à la chute du régime. Au lieu de rassembler, cela disperse les rangs des manifestants. Il faut reconnaître que le Makhzen a réussi à contenir le mouvement et à vider ses rangs à travers les légères réformes, la sortie d’Al Adl, l’arrivée du PJD au gouvernement... Le 20-Février n’a pas, lui, réussi à s’adapter. Il est resté otage des mouvements politiques qui le composent et qui voient leur intérêt avant celui du mouvement. Le M20 a aujourd’hui besoin d’évoluer vers plus de réalisme tout en continuant à manifester. Pourquoi ne pas aller vers la société civile, se saisir de dossiers bien précis comme celui de la Lydec à Casablanca par exemple ? C’est une idée qui n’existe qu’à la marge du mouvement, elle ne fait même pas partie de la réflexion officielle. Mais le M20 n’est pas sacré. C’est un outil de changement, s’il n’assure plus sa mission, il faudra réfléchir à autre chose. »
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Aysha Knidri (Marrakech)
• Réaliste
« Le 20-Février est en train de mourir. Il est temps de faire le bilan et de revoir les objectifs. Nous sommes face à un adversaire (le Makhzen, ndlr), qui a profité du mouvement. Il faut un véritable plan, redéfinir les priorités et simplifier le discours. La solution est de s’orienter vers les revendications sociales. Partout au Maroc, la misère est aux quatre coins de la rue. A Marrakech par exemple, il y a un véritable malaise concernant le prix des factures d’eau et d’électricité. La population n’est pas écoutée et finira par comprendre que le fond du problème, c’est les réformes politiques. Il ne faut plus rester dans l’idéalisme. On est en 2012. »
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Najib Chaouki (Rabat)
• Rebelle
« Le changement est possible. Le peuple marocain est déjà mûr pour la démocratie et la liberté. Mais le souci est que la classe politique ne l’est pas. Les partis, les syndicats, certains intellectuels, journalistes, sportifs et d’autres forces de l’élite qui ont droit de cité freinent les aspirations démocratiques et nourrissent la culture du Makhzen. Ils tirent profit des pratiques de corruption, de népotisme et propagent l’idée que le peuple, analphabète, représente un danger pour la sécurité du pays. Ils utilisent la force, la religion et même l’art pour propager cette idée. On a vu comment l’USFP, le PI et le PJD ont applaudi une Constitution pourtant en deçà des promesses du discours du 9 mars. La solution est de se rebeller contre les acteurs politiques et sociaux. Comme les coordinations contre la cherté de la vie l’ont fait à l’encontre des syndicats. Il faut s’unir aux mouvements sociaux nés au lendemain du 20-Février, ceux qui se sont soulevés dans les petites villes, les indignés des bidonvilles, etc. »
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Abouammar Tafnout (Casablanca)
• Visionnaire
« Le 20-Février a été un électrochoc qui a réveillé le Maroc dont le cœur allait s’arrêter. Mais cela n’est pas suffisant. Le M20 est encore une mouvance mais pas véritablement un mouvement : il manque de structure, de répartition des tâches… Le souci est que nous ne sommes pas arrivés à devenir une force de proposition. Attention, je ne suis pas en train de dire qu’il faut se transformer en parti. La contestation doit continuer, dans la rue, sous sa forme actuelle, mais en parallèle, il faut des associations, faire de la politique à l’intérieur des partis, etc. Autrement, la mobilisation va s’essouffler. Et cela donnerait un alibi au PJD pour ne pas entamer des réformes, tout en contentant ainsi le Makhzen qui fait pression de son côté. Les marches du dimanche, ça ne suffit plus. La police ne matraque même plus les manifestants du mouvement car elle a affaire à plus grave désormais, comme ce qui se passe à Taza. Il faut réfléchir à de nouvelles formes de militantisme, comme Greenpeace qui a convié la presse à une manifestation au lieu d’un événement classique ; ils ont déroulé une affiche géante sur laquelle était écrit “ Sauvons le monde ”. Il faut s’en inspirer. »
Ghizlane Benomar (Casablanca)
• Combative
« Le Maroc ne fera pas exception, le changement démocratique est inéluctable. Au début du 20-Février, le mouvement a commencé comme en Tunisie ou en Egypte, mais en prenant en compte la spécificité marocaine qu’est la monarchie. Nous voulons un régime démocratique qui garantisse les droits de la population tout en laissant au roi son trône. D’où l’idée d’une monarchie parlementaire. Cependant, au lieu de répondre à ces revendications, le régime a préféré les ignorer et négocier avec les syndicats à travers le dialogue social et les partis. La solution à cela est de poursuivre la contestation dans la rue. La situation sociale devient intenable, et je pense que cela va s’accentuer. Il faut que les jeunes du mouvement du 20-Février investissent les structures sociales et politiques que sont les partis militants, les syndicats, les associations féminines, amazighes et autres afin de travailler de l’intérieur. Certes, c’est un combat de longue haleine, mais il le faut. »
Zakaria Choukrallah |