Le nouveau ministre de la Communication promet une refonte des médias publics, le droit d’accès à l’information et une batterie de mesures. Réussira-t-il là où ses prédécesseurs ont échoué ? Voici quelques pistes de réflexion et éléments de réponses.
S’il y a une réforme sur laquelle il y a unanimité et urgence, c’est bien celle des médias. Dans les tuyaux depuis les années 2000, initiée par le ministre de la Communication, Nabil Benabdellah, puis mise entre parenthèses lors du passage de Khalid Naciri, elle semble enfin sur les bons rails à l’ère du pjdiste Mustapha El Khalfi.
Cette urgence, le rapport 2012 de Human Rights Watch (HRW), publié le 22 janvier, la met sur un pied d’égalité avec la réforme de la justice. HRW rappelle que le 25 mars 2011, des centaines de journalistes des médias publics ont manifesté pour réclamer « davantage d’indépendance éditoriale ». HRW cloue surtout au pilori les médias télévisuels publics. « La télévision publique marocaine laisse peu de place à la critique directe du gouvernement sur les sujets sensibles […] Les journalistes du secteur public, aussi bien que les spectateurs, se demandent si le processus de réforme enclenché par le roi se traduira par une décision d’ouvrir l’audiovisuel à des programmes plus vivants, plus provocateurs, et à des débats sur les sujets décisifs. »
Mustapha El Khalfi, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, ne s’y est pas trompé en rendant d’abord visite aux journalistes des chaînes publiques et de l’agence Maghreb Arab Press (MAP). Dans la déclaration gouvernementale, le nouvel exécutif ambitionne de « démocratiser » les médias et de « revoir le cahier des charges des chaînes, diversifier l’offre à travers la création de nouvelles chaînes, garantir le droit d’accès à l’information, revoir le code de la presse, mettre en place la justice des pairs et garantir les droits sociaux… »
Ce listing de mesures n’est pas nouveau, mais sa mise en œuvre s’est toujours heurtée au manque de volonté politique. Aujourd’hui, la pression de la rue, le vent de réforme et l’arrivé du PJD au gouvernement redonnent espoir. Et il y a au moins trois niveaux que devrait concerner la réforme.
Â
MĂ©dias audiovisuels publics
De l’indépendance et des chaînes privées
La télévision marocaine n’est pas affranchie du contrôle politique et cela est aisément vérifiable. Un seul exemple peut le démontrer : à l’heure où la presse écrite a suivi les manifestations du 20-Février tout au long de l’année, la télévision publique a paru hésitante.
Elle en a parlé à certaines occasions, allant même jusqu’à inviter des leaders du mouvement à s’exprimer, tandis qu’à d’autres moments, elle a omis de traiter ces informations ou les a abordées sous un angle « orienté », dénonce le M20. A tel point que des journalistes de 2M ont, par exemple, été chassés des manifestations à cause de ce parti-pris.
Mohamed El Wafy, secrétaire général du syndicat de 2M affilié à l’UMT, explique le malaise : « La rédaction n’est pas souveraine. Parfois, la hiérarchie de l’information ou le contenu des sujets sont changés quelques minutes avant la prise d’antenne.
Des événements majeurs sont partiellement ou pas du tout couverts, à l’image de la contestation sociale. » Le syndicat demande en plus de la « démocratisation de la ligne éditoriale », « l’ouverture au pluralisme politique, culturel et social, l’instauration d’un conseil de la rédaction qui travaille de manière professionnelle ».
Ces exigences sont les mêmes pour la première chaîne. La problématique du pluralisme est compliquée dans le cas de 2M à cause de la dépendance envers la publicité, première et principale source de revenus pour la chaîne, contrairement à Al Oula qui vit essentiellement des subventions. Dès lors, il devient injuste de demander à la chaîne d’assurer un service public et de contenter les annonceurs, lesquels ont besoin de programmes de divertissements pour attirer les téléspectateurs.
Afin d’assurer le pluralisme, il devient urgent de rationnaliser les subventions, mais aussi de libéraliser le secteur des télévisions. C’est ce que réclame Younès Boumehdi, patron de Hit Radio, qui avait soumissionné sans succès pour une licence de télévision. « En 2015, le Maroc basculera vers la télévision numérique et il faudra du contenu », explique-t-il. La loi est donc condamnée à évoluer ne serait-ce que pour cela, mais aussi pour permettre une bouffée d’air frais et la professionnalisation du secteur.
La loi régissant l’audiovisuel doit aussi changer, ainsi que les statuts de la Haca, haute autorité de la communication audiovisuelle. De plus, « au Maroc il n’existe aucun cadre légal encadrant la création d’une web TV ou d’une web radio », critique Younès Boumehdi qui fustige l’absence de réflexion sur les nouvelles technologies. L’initiative Daba TV s’est, par exemple, heurtée à ces problèmes en se voyant contrainte d’arrêter de produire du contenu vidéo à cause de l’absence d’autorisation de tournage.
Â
Presse Ă©crite
Rachid Niny doit ĂŞtre le dernier
Les réformes entamées en 2011 sont entachées par la présence d’un détenu d’opinion des plus gênant : le journaliste Rachid Niny. Condamné en mai dernier à un an de prison, l’ex-directeur d’Al Massae fait les frais du code de la presse qui maintient les peines privatives de liberté, et du fait qu’un journaliste marocain peut être condamné par le code pénal pour un délit d’opinion.
Les journalistes de la presse écrite réclament, depuis des années, un nouveau code de la presse qui supprime les peines de prison, les crimes de lèse-majesté et d’insulte à fonctionnaire. Ils appellent à la mise en place de la justice des pairs et de juridictions spécialisées pour éviter les amendes disproportionnées et les procès politiques.
Le président du Syndicat des journalistes marocains, Redouane El Hafiani, appelle également à la concrétisation du droit d’accès à l’information et de la protection des sources. « Il faut aussi distinguer par la loi ce qui relève du confidentiel ou pas, et garantir l’indépendance du journaliste qui fait souvent les frais de lignes éditoriales volontairement floues.
On peut imaginer par exemple le conditionnement des aides par cette clarté et l’élection d’un comité éditorial au sein des journaux », propose Redouane El Hafiani qui espère qu’ainsi la presse jouera pleinement son rôle de contre-pouvoir. Pour cela, il faudrait également améliorer les conditions de travail, garantir des droits sociaux aux journalistes et lutter ainsi contre leur précarisation. « Il faut revoir la convention cadre, le Smig journalistique, l’aide au logement par exemple. Il faut aussi faire respecter les droits à 45 jours de congés annuels, le droit à la formation, etc. », poursuit-il.
Â
MĂ©dias sur Internet
Pas encore reconnus
Febrayer.com, Goud.ma, Lakome.com, Yabiladi.com, Hespress.com… Ces dernières années ont vu l’éclosion de plusieurs sites d’actualités qui se trouvent aujourd’hui en dehors de toute législation.
Les portails d’information jouissent d’une grande marge de liberté mais font aussi les frais de la désorganisation, de la précarité, de l’absence d’aides et de la rareté des revenus publicitaires. Comment préserver ces marges de liberté tout en répondant à la nécessaire organisation du secteur ? Ahmed Najim, fondateur de Goud.ma, préconise d’appliquer les mêmes droits et devoirs qu’à la presse écrite. Mais après la démocratisation des lois bien sûr ! « L’Etat ne reconnaît pas la presse électronique. La seule fois où il l’a fait, c’était pour délivrer un message négatif : ma convocation au commissariat pour la publication d’un sondage (les sondages ont été interdits pendant la période de la campagne électorale, ndlr). »
Ahmed Najim accuse l’Etat de favoriser la désorganisation en ignorant ces médias qui commencent à avoir un lectorat beaucoup plus important que celui de la presse traditionnelle. Hespress est ainsi le septième site en termes de visites au Maroc, selon l’outil de mesure d’audience Alexia, et cumule plus de 100 000  visiteurs uniques par jour.
Le fondateur de Goud espère que la presse électronique bénéficiera également des aides publiques, surtout que les revenus publicitaires ne sont pas pour l’heure développés. L’espoir est grand de voir se professionnaliser davantage un secteur qui participe du nouveau visage médiatique.
Zakaria Choukrallah |