Le e-citoyen marocain prend de la graine et s’attaque à la politique. Liberté de ton, créativité, impertinence et diversité d’opinions. La scène blogoma/twittoma marocaine, encore embryonnaire, affiche un fort potentiel de croissance.
Hyperconnard, 7didane Lahrami, Big Brother, Larbi.org, @citizenkayen… des pseudos derrières lesquels se cachent (ou pas, quand ils choisissent de divulguer leur identité), les blogueurs / twittos marocains.
Une communauté virtuelle en effervescence, de plus en plus politisée, et qui gagne en visibilité depuis le Printemps arabe. Son domaine de prédilection ? Les « blogs » (page Internet où l’on peut publier ses propres textes notamment) et les réseaux sociaux, principalement facebook et twitter.
Cette nouvelle génération d’internautes hyperactifs est globalement jeune, opiniâtre, talentueuse et de différents bords politiques. Pour se présenter, 7didane plante le décor avec beaucoup d’humour.
« Je suis 7didane Lahrami, héros mythique de notre enfance qui a ressuscité dans la peau d’un pirate des eaux virtuelles, et vogue depuis plus de quatre ans et demi sur ces mers. » Analysant l’essor du web 2.0 marocain, 7didane constate avec satisfaction la croissance exceptionnelle du nombre de lecteurs/suiveurs/spectateurs marocains en 2011.
« On l’aura compris, je perçois cet espace, avant tout, comme une scène fantaisiste. Un bac à sable un peu enfantin, innocent, qui peut être un terreau fertile pour des idées créatives. »
Pourtant, jusqu’en 2010, cet espace d’expression évolue de façon timide et les « idées créatives » concernent rarement la chose publique.
Les premiers diffuseurs de contenus ne comptent guère plus d’une centaine de pionniers, généralement un peu « geeks » sur les bords et précurseurs d’Internet. L’on compte alors le « procrastinateur compulsif qui côtoie la poétesse ayant raté sa vocation, l’ingénieur chroniqueur ou l’éditorialiste refoulé, qui échange avec le médecin expatrié désirant garder une fenêtre ouverte sur son pays… », résume 7didane. Bref, malgré la présence de quelques précurseurs, le Net marocain ne paie pas de mine… jusqu’à un certain 20 février 2011.
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Nihilistes contre makhzeniens
A partir de cette date fatidique, la blogoma/twittoma s’enrichit de plusieurs nouveaux intervenants, venus renforcer le clan des cyber-militants actifs. Il est constitué de cadres, d’étudiants au Maroc et à l’étranger, de militants politisés ou non, de retraités, de journalistes, de l’élite du Net marocain, d’entrepreneurs du web, etc.
Tout ce beau monde est galvanisé par le nouveau vent de liberté qui souffle sur le Monde arabe. Il n’hésite plus à commenter, analyser et critiquer la politique, y compris les décisions royales. Dans ce melting pot, on distingue deux principaux profils.
D’un côté, les « nihilistes » qui affichent un penchant presque « paranoïaque » pour la critique, selon les dires de leurs détracteurs. Les « nihilistes » leur rendent la politesse en les affublant du sobriquet de « makhzeniens », et les accusent de soutenir le système par aveuglement ou par opportunisme.
Derrière ce tableau contrasté, on distingue une infinité de nuances et quelques électrons libres. Mais au final, ces chamailleries ne portent pas atteinte à l’intérêt même du média, à savoir faciliter le contact.
« Pouvoir parler à un ministre, un journaliste ou un blogueur connu n’est, par exemple, possible que sur twitter, grâce aux textes courts et concis qui encouragent à répondre », affirme le blogueur Hyperconnard.
Sur les réseaux sociaux, il est possible d’interpeller des personnalités comme Nabil Benabdellah ou Moncef Belkhayat, d’échanger des pics avec le journaliste Fahd Yata, ou encore d’assister à des duels d’idées entre des blogueurs connus comme Big Brother et Larbi.org.
C’est cette fraîcheur et cette facilité de contact qui boostent la scène Internet marocaine. Ainsi, plusieurs initiatives concrètes ont vu le jour grâce aux blogueurs/twittos. Le « Week-end 3assir », organisé par Réda El Ourouba pour redorer le blason de Marrakech après l’attentat d’Argana, en est un bon exemple.
Idem pour le collectif Mamfakinch qui publie 24h/24 l’actualité du 20-Février et parfois, des documents compromettants qui pointent du doigt des officiels. « C’est devenu un moyen gratuit de fournir une caisse de résonance à des points de vue qui ne trouvent pas leur place dans les médias publics », explique Mehdi Lbadikho.
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Comparaison n’est pas raison
En se positionnant en média alternatif, les blogs répondent à un besoin que les médias classiques, sclérosés par la ligne officielle et les vieux réflexes, sont incapables d’assouvir. Pour autant, les médias traditionnels ont commencé à rectifier le tir, comme l’explique Riad Essbai.
« Nous avions commencé à parler de quatrième pouvoir bis, en référence à la presse directement concurrencée. Mais le temps a montré que chaque média avait sa puissance et un rôle à jouer », pense-t-il. Ghali Bensouda va plus loin et affirme que les blogs ont bousculé le champ médiatique et incité les médias classiques à être plus interactifs. A commencer par une présence plus accrue sur le web.
Mais cette force de frappe est loin d’égaler celle des blogueurs d’autres pays. Les plus emblématiques sont les Egyptiens et les Tunisiens. Leur impact a été concret, dans la mesure où ces internautes ont été le fer de lance des révolutions.
Leur audience y est plus importante que celle de leurs homologues marocains. Même si les blogueurs reconnaissent à l’unanimité qu’Internet demeure un catalyseur et non l’instigateur des contestations.
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Cour de récré 2.0
Pourtant, comme le rappelle Riad Essbai, le Maroc est le pays le plus connecté de la région. Le Royaume reste cependant dépourvu d’icônes. Car même si les autorités observent de près l’activité sur Internet, le web y est beaucoup plus libre et le blogging ne comporte pas de risques majeurs.
Le blogueur Fhamathor rappelle, toutefois, l’affaire Fouad Mourtada et Mohamed Erraji, deux internautes emprisonnés bien avant le M20 pour, respectivement, « usurpation de l’identité du prince Moulay Rachid sur Facebook », et la publication d’un billet jugé « attentatoire au respect dû au roi ».
Mais quoi qu’il en soit, la scène Internet marocaine reste très dynamique et diversifiée. Elle accueille des initiatives très intéressantes et osées, comme celles du CJDM (Cercle des jeunes débiles marocains) animé par le très ironique Abou Lahab.
« Le CJDM ? Il sert un peu à tout : publier des billets d’humeur funèbres comme pour Fadwa Laroui, parfois des billets satiriques, méprisants ou moqueurs envers des personnes particulièrement énervantes comme Moncef Belkhayat, etc. », résume Abou Lahab, qui regrette juste que la communauté se prenne trop au sérieux. « ça ressemble presque à une cour de récré d’école privée ! » D’école privée, peut-être, mais qu’est-ce qu’on y est libre et qu’est ce qu’on s’y amuse !
Zakaria Choukrallah |