Selon le dernier rapport de la Banque mondiale, près de 14% de la population marocaine vit avec moins de 20 dirhams par jour et par tête. Plus de 4 millions de citoyens sont concernés. Rencontre avec l’un d’entre eux...
Je suis pauvre, mais je me bats ! Jamais je ne tendrai la main, je tiens trop à ma dignité », affirme Rachid avec aplomb. Agé de 47 ans, ce chef de famille a toujours exercé une multitude de petits boulots pour subvenir aux besoins élémentaires de sa femme et de ses cinq enfants.
Tour à tour, il a été livreur, aide maçon, marchand de galettes grâce à un microcrédit qu’il a pu contracter… mais malheureusement son affaire a dépéri. Aujourd’hui, il a enfin un emploi stable. Il est agent de sécurité dans une société de la capitale et perçoit un salaire mensuel de 1 800 dirhams par mois.
Ce poste, il a pu l’obtenir grâce à une connaissance, mais il lui a fallu attendre pour que sa situation soit en règle. Rachid ne se plaint pas, mais déplore le manque d’encadrement des lois protectrices du salarié. « Le problème dans ce pays, c’est pas le manque d’emploi. Moi, je me suis toujours débrouillé pour en trouver. Des petits emplois payés 40 à 50 dirhams la journée, il y en a. Mais sans couverture sociale. C’est ça le gros problème, c’est que le droit n’est pas appliqué. Pour l’emploi que j’occupe actuellement, j’ai dû attendre plus de deux ans avant de pouvoir signer mon contrat, alors que je me rendais au travail tous les jours. C’est anormal ! Mais je n’ai pas eu le choix, si je n’avais pas fait preuve de patience, ce poste m’aurait échappé. »
Grâce à ce contrat, Rachid et sa famille bénéficient de la couverture sociale médicale. Une aide bien précieuse, qui a pu couvrir les frais d’une blessure au bras de son cadet. En revanche, pour ce qui est des soins dentaires, Rachid ne peut pas compter dessus. Il lui faudrait une mutuelle, une assurance inabordable avec ses revenus.
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Douze dirhams par tĂŞte
Selon le dernier rapport de la Banque mondiale, près de 14% de la population marocaine vit avec moins de 2 dollars par jour, soit moins de vingt dirhams. Plus de quatre millions de personnes sont concernées.
Rachid appartient Ă cette frange de la population. Avec son salaire, chaque membre de sa famille dispose de 12 dirhams par jour pour vivre. Bien insuffisant pour joindre les deux bouts.
« Ce n’est pas évident, pour vivre correctement, il me faudrait au moins 4 000 dirhams par mois. Le coût de la vie n’a pas cessé d’augmenter ces dernières années. 1 800 dirhams, c’est rien de rien. L’essentiel de mon salaire passe dans les factures, et la nourriture. Pour habiller mes enfants, financer la rentrée scolaire, ou encore célébrer l’Aïd, j’éprouve de grosses difficultés », explique-t-il.
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Sept dans une seule pièce
Rachid habite un quartier périphérique de la capitale, pas loin de la gare routière. Il partage une petite maison de deux étages avec six familles. Chacune d’elles dispose d’une pièce principale de 40 mètres carrés.
Le couloir de l’entrée fait office de cuisine commune. Un petit réchaud, une grande caisse en bois pour stocker la vaisselle, pas de réfrigérateur. Dans l’unique pièce de vie, une petite fenêtre, le lit des parents coincé dans le fond.
A même le sol, au pied du lit, trois matelas encadrent une petite table. Sur le meuble en formica vieilli, un téléviseur. L’inventaire de la pièce s’arrête là . A la nuit tombée, ce qui fait office de salon la journée se transforme en couchage pour les enfants. « La pièce est petite, on se serre. De toute façon, on n’a pas le choix. Pour trouver un logement plus grand, il me faudrait un autre salaire », confie-t-il.
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« Mon association caritative, c’est mon épicier »
Nourrir sa petite tribu est la préoccupation principale de Rachid. Pour cela, il tient une comptabilité rigoureuse. « Les repas que l’on prend se ressemblent. On mange beaucoup de légumes secs, des haricots, des lentilles, des légumes et des fruits de saison aussi, un peu de poulet, des abats ; quant à la viande rouge, ce n’est pas plus de deux fois par mois. A plus de 70 dirhams le kilo, c’est vraiment trop cher ! », s’exclame-t-il.
Si les associations d’entraide dans le pays sont nombreuses, Rachid lui, n’y a jamais eu recours jusqu’à présent. « Dans mon quartier, il n’y en pas. Et moi je n’ai pas le temps d’aller à leur recherche pour solliciter leur aide. Mon association caritative, c’est mon épicier », lance-t-il sur le ton de la plaisanterie. « Le crédit qu’il m’accorde tous les mois me permet de survivre. Si ce n’était pas le cas, je ne sais vraiment pas comment je ferais », ajoute-t-il plus sérieusement.
De sa situation financière, Rachid n’en fait pas une obsession. Il est avant tout un citoyen qui s’implique et qui s’intéresse à l’environnement qui l’entoure. Feuilletant le journal, il évoque les mouvements sociaux qui agitent le pays et le monde arabe en général, d’un œil critique. « En Tunisie, en Egypte et en Libye, ils ont peut-être fait tomber des dictateurs, mais la situation des populations ne s’est pas améliorée pour autant. Je ne suis pas sûr que le changement passe par la violence », confie-t-il.
Lors des dernières élections, Rachid s’est rendu aux urnes. Il se dit satisfait de la victoire du PJD, et attend beaucoup du nouveau gouvernement tout en précisant que ses attentes ne concernent pas sa situation présente, mais plutôt l’avenir de ses enfants. « A mon âge, j’ai déjà perdu toutes mes illusions, le seul espoir qu’il me reste, ce sont mes enfants. Je m’accroche et je prie chaque jour pour qu’ils aient la possibilité d’avoir une meilleure existence que la mienne », conclut-il.
Hasna Belmekki |