Qu’a fait le CNDH depuis son installation par le roi au lendemain du 20 février ? Des militants critiquent le bilan de l’instance censée en finir avec les violations graves des droits de l’homme. Le CNDH se défend et demande du temps.
Le 22 novembre, les célèbres avocats et militants des droits humains, Abdelaziz Nouidi et Abderrahmane Benamrou, animent une conférence de presse à Rabat où ils critiquent sans prendre de gants la manière avec laquelle l’Etat gère le dossier des droits de l’homme.
« Le régime veut mater par des crimes et la peur les organisations politiques et les militants », déclare Benamrou. Abdelaziz Nouidi lui emboîte le pas, estimant même que ce qui se passe au Maroc est « semblable à ce qui arrivait en Tunisie avant la révolution » ! Rien que ça.
Des accusations qu’ils étayent en citant plusieurs affaires, dont celle qui est le thème principal de la rencontre : l’affaire Kamal Ammari, du nom de ce jeune homme mort le 29 mai, après une manifestation du M20 dans des circonstances troubles. Pour les autorités locales, « Kamal Ammari est décédé des suites d’un arrêt cardiorespiratoire secondaire à une pneumopathie ».
Décryptez : il aurait fait les frais d’une maladie antérieure. Mais pour deux associations marocaines indépendantes – l’Observatoire marocain des libertés publiques et le Médiateur pour la démocratie et les droits de l’homme – qui ont mené une enquête sur le terrain, le jeune Safiote a « été tabassé par huit éléments de la police et de la BLIR (Brigade légère d’intervention rapide), pendant 7 minutes », ce qui aurait causé sa mort. Qui croire ? Près de six mois plus tard, l’enquête suit son cours.
« La justice refuse de livrer la vérité, tout comme les légistes qui ne veulent pas communiquer le rapport d’autopsie », s’offusque Abderrahmane Benamrou. Les deux avocats accusent la Justice, les services de polices, les autorités locales et… le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) ! Les deux militants rappellent que le CNDH devait remettre à l’Etat son rapport sur cette affaire, mais que le document est resté lettre morte.
Lourd héritage du CCDH
Installé par le roi le 3 mars dernier, le CNDH était l’une des toutes premières réponses royales au mouvement du 20-Février. Beaucoup d’espoirs ont été placés dans cette instance. Le CNDH a pour mission de surveiller « les cas de violation des droits de l’homme dans toutes les régions du Royaume. Il peut procéder aux investigations et enquêtes nécessaires » (article 4 du Dahir portant création du Conseil).
Mieux, le CNDH peut même anticiper d’urgence « un cas de tension », en se proposant à la médiation. De plus, en héritier du Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) avec de surcroît un pouvoir d’autosaisie, le CNDH poursuit le dossier des cas de violation graves. Cependant, en huit mois, et mis à part la libération d’une partie des détenus politiques en guise de premier signal fort, le CNDH semble montrer des signes de fatigue.
Le CNDH ne collabore pas assez ?
« Il ne faut jamais oublier que le CNDH est une instance officielle, qui en plus hérite du bilan déjà pas fameux du CCDH », fustige Abdelhamid Amine, vice-président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH).
« Nous n’avons pas vu de rapports, pas de poursuites judiciaires enclenchées suite à l’affaire Ammari. Et ce n’est pas la seule affaire où l’on assiste à des tergiversations et à un bilan mince et mitigé », poursuit Amine.
Les associations citent en vrac plusieurs affaires. Il y a les détenus politiques de la Salafia qui croupissent encore en prison, les détenus du 20-Février, l’affaire du chômeur Kamal Husseini, 27 ans, mortellement poignardé lors d’une manifestation à Bni Bouayach, etc.
Khalid Cherkaoui Semmouni, président du Centre marocain des droits de l’homme (CMDH), n’en dit pas moins. Il estime que le CNDH manque de courage et de méthodologie. « L’erreur du CNDH a été de commencer le travail avant même que la structure ne soit mise en place. Au début, c’est Mohamed Sebbar (le secrétaire général, ndlr) qui rencontrait les victimes, visitait les prisons, etc. Or, il faut un travail méthodique et collectif », estime-t-il.
Sebbar et le président Driss Yazami ne se sont pas encore intéressés à des dossiers cruciaux comme les lois sur la presse, le dossier des salafistes, de la torture et des arrestations arbitraires, d’après Cherkaoui Semouni. « Nous avons par exemple contacté le centre sur l’affaire d’un mokhazni arrêté à Ousserd illégalement, transféré à Rabat dans un endroit inconnu sans que la famille ne soit informée et sans assistance judiciaire. Une flagrante violation de la nouvelle Constitution. Le CNDH ne nous a pas recontactés ! », dénonce-t-il.
L7a9ed « mal défendu »
Que répond le CNDH à toutes ces accusations ? « Ils se trompent de cible. On fait tout ce qui est en notre pouvoir », affirme Sebbar. Et d’ajouter que le CNDH planche actuellement sur un bilan qui va « étonner ».
Sur l’affaire Kamal Ammari, Sebbar explique qu’il a envoyé un rapport au ministre de la Justice, qui a saisi le procureur, qui a à son tour réclamé une enquête de la Police judiciaire. « Nous ne pouvons pas communiquer sur une affaire en cours sans interférer avec la Justice », explique-t-il.
Mohamed Sebbar rappelle que le CNDH a, par exemple, dénoncé l’utilisation de la religion lors de la campagne du référendum, qu’il a fustigé les intimidations subies par les boycotteurs, etc. Sur le fond, il affirme que son instance a permis la levée des réserves sur des conventions internationales, qu’elle a indemnisée des victimes d’exactions et a permis de les doter d’une couverture maladie, etc.
« Tout cela, certains choisissent de l’omettre alors que l’on dit la même chose que les associations », assure-t-il. Pour l’affaire L7a9ed par exemple, il nous révèle qu’il a contacté les avocats du rappeur mais que ces derniers n’ont pas de dossier solide. « Il est mal défendu », rétorque-t-il.
Les associations réclament, elles, que le Conseil s’active, car les violations des droits de l’homme doivent faire l’objet d’un suivi pour ne pas tomber dans l’oubli.
Le CNDH est-il en train de se décrédibiliser ou privilégie-t-il simplement de travailler dans la sérénité et sur le long terme ? Le bilan promis par Mohamed Sebbar devrait nous éclairer. Des gestes forts aussi…
Zakaria Choukrallah |