Ils ont Ă©chappĂ© Ă lâhorreur de la guerre. Mais depuis leur retour au pays, les rapatriĂ©s de Libye peinent Ă se reconstruire. Déçus par le manque dâassistance et de soutien des autoritĂ©s, beaucoup envisagent dĂ©jĂ de repartir. Or la stabilitĂ© dans ce pays en reconstruction est loin dâĂȘtre garantie. TĂ©moignages.
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Repartir. PrĂšs de huit mois aprĂšs son retour au pays, Mohamed nâa que cette idĂ©e en tĂȘte. «âJe vais retourner en Libye, mĂȘme si les choses sâannoncent difficiles. Je sais que je vais devoir attendre pour obtenir un visa. Je patienterai le temps quâil faudra. Mais câest une certitude, je repartiraiâ», affirme-t-il avec conviction.
AgĂ© de 40 ans, pĂšre dâun petit garçon, cet ancien employĂ© dâune sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine a passĂ© plus de dix ans dans ce pays avant dâĂȘtre contraint de fuir lorsque la guerre a Ă©clatĂ© le 15 fĂ©vrier dernier. Aujourdâhui, malgrĂ© toute sa dĂ©termination, Mohamed Ă©prouve des difficultĂ©s Ă refaire sa vie dans son pays natal. «âJe nâai pas rĂ©ussi Ă trouver un emploi. Je traverse une vĂ©ritable galĂšreâ», tĂ©moigne t-il.
Une réinsertion trÚs difficile
Comme lui, prĂšs de 18â000 Marocains ont Ă©tĂ© rapatriĂ©s par le ministĂšre chargĂ© de la CommunautĂ© marocaine rĂ©sidant Ă lâĂ©tranger, au dĂ©but du mois de mars, alors que 2â000 autres sont revenus au pays par leurs propres moyens avant le dĂ©clenchement de lâopĂ©ration militaire de lâOTAN.
GĂ©rant dâun petit cafĂ© durant 14 ans Ă Misrata, Abderrahim a Ă©tĂ© contraint, lui aussi, de quitter la Libye Ă la hĂąte. Le retour au pays de cet homme de 42 ans est teintĂ© de dĂ©ception. «âJe suis revenu au Maroc pour y trouver protection et paix. Mais en dĂ©finitive, câest la misĂšre et le chĂŽmage qui mâattendaient. Je dois dĂ©sormais mener une autre guerre pour survivre. Jâai vraiment lâimpression dâĂȘtre devenu un Ă©tranger dans mon propre pays.â»
Dans sa fuite, il nâa pas pris grand-chose. Juste une valise et rien dâautre. Il nâa pas pu rĂ©cupĂ©rer ses Ă©conomies car, dans le chaos gĂ©nĂ©ral, les portes des banques sont restĂ©es closes. AprĂšs avoir gagnĂ© la Tunisie par ses propres moyens, il a pu avec soulagement monter Ă bord dâun avion affrĂ©tĂ© par le gouvernement.
«âCâest dur de laisser 14 ans dâune vie derriĂšre soi. Mais jâĂ©tais vivant et convaincu que jâallais rebondirâ», martĂšle-t-il. Si lâaccueil fut chaleureux lors de son arrivĂ©e Ă lâaĂ©roport de Casablancaâââil y avait lĂ nombre dâofficiels et de journalistesââ, sa condition est rapidement tombĂ©e dans lâoubli.
Aujourdâhui, il se dit déçu par le sort qui lui a Ă©tĂ© rĂ©servĂ© aprĂšs son retour de Libye et dĂ©plore lâabsence dâun soutien qui aurait pu lui permettre de se rĂ©insĂ©rer. «âNous sommes dans une prĂ©caritĂ© absolue. Nous avons fui une guerre. Nous demandons seulement de lâaide afin de vivre dignement et de pouvoir recommencer quelque chose, rien dâautre. Mais visiblement personne ne nous a entendus. Et ce nâest pas faute dâavoir essayĂ©â», confie-t-il.
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Une demande dâaide toujours en attente
Regroupés au sein de la Coordination nationale de soutien des Marocains de Libye, Abderrahim et les autres rapatriés ont haussé le ton à de nombreuses reprises pour se faire entendre par les autorités.
Des manifestations ont Ă©tĂ© organisĂ©es devant les wilayas de plusieurs provinces du pays. Certains rapatriĂ©s ont mĂȘme campĂ© durant plusieurs semaines Ă Rabat devant le ministĂšre chargĂ© de la CommunautĂ© marocaine rĂ©sidant Ă lâĂ©tranger. En vain. «âDâannexe en ministĂšre, chacun sâest renvoyĂ© la balle. Aucun officiel nâa Ă©tĂ© en mesure de nous venir en aide. Aucune proposition ne nous a Ă©tĂ© faiteâ», explique-t-il.
La dĂ©ception de Abderrahim se lit sur son visage. Il dĂ©nonce les atermoiements des autoritĂ©s. «âPeu avant notre prise en charge et notre rapatriement, des fonctionnaires de lâEtat nous ont promis une indemnitĂ© de 20â000 Ă 40â000 dirhams ainsi que des logements sociaux pour nous aider Ă recommencer une vie au Maroc. Mais nous nâavons rien obtenu de tout cela. Notre survie, on la doit Ă la gĂ©nĂ©rositĂ© de nos familles ou Ă la solidaritĂ© des habitantsâ», ajoute-t-il avec amertume.
AgĂ©e de 54 ans, Fatima a vĂ©cu la mĂȘme mĂ©saventure. Cette ancienne femme de mĂ©nage a vĂ©cu plus de dix ans Ă Tripoli. Elle comptait refaire sa vie dans son pays natal. Mais aujourdâhui, elle peine Ă contenir son exaspĂ©ration, et ses bagages sont dĂ©jĂ prĂȘts. Fatima veut repartir dĂšs que possible.
«âJe nâen peux plus. Câest difficile de solliciter continuellement lâaide des autres. Je nâai pas dâemploi et aucun revenu. Je voudrais tellement pouvoir retrouver ma vie dâavant. Une vie dĂ©centeâ», confie-t-elle.
Les autorités affirment avoir fait le nécessaire
Pour les autoritĂ©s, tout a Ă©tĂ© fait dans les rĂšgles. Une cellule a Ă©tĂ© mise en place pour gĂ©rer le retour des rapatriĂ©s dĂšs le dĂ©but de la guerre civile et de nombreux blessĂ©s ont Ă©tĂ© pris en charge dans les hĂŽpitaux de la capitale. Selon le reprĂ©sentant des affaires sociales de cette cellule, JaĂąfar Debbar, lâEtat a bien rempli son rĂŽle. «âLes obligations qui nous incombent ont Ă©tĂ© assurĂ©es.
A savoir, lâobligation de protĂ©ger la vie des Marocains rĂ©sidant en Libye et le rapatriement de ceux qui souhaitaient revenir au pays. Nous avons Ă©galement procĂ©dĂ© Ă lâinsertion Ă©ducative des enfants. De plus, les blessĂ©s ont pu bĂ©nĂ©ficier dâune assistance mĂ©dicale, et un accord conclu avec la sociĂ©tĂ© El Omrane permet aux rapatriĂ©s dâaccĂ©der Ă des logements sociaux.
Pour ce qui est du domaine de lâemploi, il nous est difficile dâintervenir sur ce point car il faut savoir que la plupart de ces rapatriĂ©s sont des ouvriers. Concernant les indemnitĂ©s, tout cela nâest quâune rumeur. LâEtat nâa jamais pris dâengagement dans ce domaine. Rendez-vous compteâ! Si câĂ©tait vraiment le cas, les 160â000 Marocains rĂ©sidant en Libye seraient tous revenusâ!â», argumente-t-il.
Lâattente du dĂ©part des rapatriĂ©s de Libye sera peut-ĂȘtre moins longue que prĂ©vue. Suspendus durant prĂšs de huit mois, les vols entre Casablanca et Tripoli ont repris le 21 novembre. Et selon un fonctionnaire du consulat libyen, des accords entre lâEtat marocain et le Conseil national de transition, visant Ă faciliter le transit des rapatriĂ©s, sont en cours de discussion.
Lâimpatience gagne dĂ©jĂ les rapatriĂ©s, comme le prouve la file dâattente quotidienne devant le consulat de Libye Ă Rabat. Certains ont mĂȘme pris leurs propres dispositions afin de regagner leur pays dâaccueil, comme lâexplique Ali, rapatriĂ© et candidat au dĂ©part lui aussi.
«âPlusieurs rapatriĂ©s sont dĂ©jĂ repartis il y a quelques jours. Ils ont embarquĂ© pour Tunis et, aujourdâhui, ils attendent un laissez-passer au poste frontiĂšre de Ras Jdir. Dâautres sont toujours coincĂ©s Ă lâaĂ©roport de Carthage. Mieux vaut parfois compter sur soi-mĂȘmeâ», conclut Ali avec dĂ©pit.
Hasna Belmekki |