Diffuser des idées ingénieuses pour changer le monde. C’est le concept « TEDx ». Un phénomène international qui commence à essaimer au Maroc.
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Noureddine Ayouch, le publicitaire aux cheveux grisonnants en pleine conversation avec une bande de jeunes geeks. Pendant ce temps, le journaliste Fahd Yata serre la main de @citizenkayen (Adil El Fakir), jeune blogueur trublion de la twittoma, qui a fait ce samedi 12 novembre son « coming out », en sortant de l’anonymat du web. Abdelhadi Tazi, universitaire et ancien historiographe du Royaume arrive, le pas fatigué, escorté par les jeunes organisateurs aux t-shirts noirs, fiers d’avoir convaincu une sommité de participer.
Dans la salle, une gamine d’à peine 12 ans présente sur scène le « TEDx Casablanca 2011 » : l’événement qui a permis ces brassages tout à fait inhabituels. C’est un peu cela le concept mondial du « TEDx » (pour Technology, Entertainment, Design) : permettre ce genre de rencontres pour « expérimenter le pouvoir des idées ». Comment ? En choisissant un thème (ce jour-là , c’était « explorer les frontières ») et en appelant des gens porteurs d’idées à se succéder sur scène pour en parler durant 18 minutes chrono. Les places sont limitées.
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Diffuser le plus largement possible
Les quelque 300 participants se sont tous inscrits en ligne pour assister au show. Des semaines avant « l’event », les internautes ont bataillé pour s’arracher les derniers tickets (gratuits) sur les réseaux sociaux provoquant par la même occasion un buzz dans les milieux geek et tendance.
« Qui ne vient pas de Casa ? », crie à l’assistance réunie à la fondation Al-Saoud, à Casablanca, Réda El Ourouba, blogueur et maître de cérémonie. Une bonne moitié de la salle lève la main ! Le TEDx Casablanca fédère et s’est rapidement fait connaître en un peu plus d’un an (le premier TEDx a eu lieu à Casablanca, le 25 septembre 2010). Les conférence sont filmées car un des objectifs est de diffuser le plus largement possible les idées. Ainsi, les vidéos de l’année dernière ont été vues plus de 200 000 fois et le groupe facebook rassemble plus de 4 000 fans.
Les TEDx ont aussi essaimé et on en compte près d’une dizaine aujourd’hui au Maroc : TEDx Oujda, TEDx ENCG-Agadir, TEDx Tanger, TEDx Al-Akhawayn et rien qu’à Casablanca il y a le TEDx Hay, le TEDx Anfa, etc.
Le Maroc est avec la Tunisie un des pays de la région les plus réceptifs à ce phénomène, « sûrement en raison de notre curiosité naturelle à tout ce qui est nouveau et au développement des infrastructure web », pense Réda El Ourouba. Le reste est facile, car il suffit de demander une licence à TED, l’ONG américaine (lire encadré), pour organiser un événement TEDx, le petit « x » signifiant justement qu’il s’agit d’un événement « brandé » avec le concept TED, mais totalement indépendant. Il suffit ensuite de respecter l’esprit des conférences pour utiliser la marque (conférences de 18 minutes, charte graphique, show à l’américaine avec une idée phare ou une expérience personnelle, etc.). Les intervenants peuvent être drôles, émouvants ou ingénieux, à leur guise, mais l’objectif est d’en sortir avec des idées et des expériences qui méritent d’êtres diffusées et connues du plus grand nombre.
« Et Dieu créa TED ! »
Ce samedi par exemple, Amina Slaoui, la vice-présidente de l’Amicale marocaine des handicapés est venue parler des vingt ans de combat pour améliorer le quotidien des personnes à mobilité réduite. « Les gens valides construisent des frontières entre personnes normales et anormales. C’est cette perception qu’il faut changer. Cela peut arriver à n’importe qui et on peut très bien élargir son espace intérieur sans attendre d’aller plus mal. Les frontières finissent par s’éloigner. L’important est d’élargir ses zones de confort », dit cette dame qui a elle-même été foudroyée par un accident qui l’a paralysée.
Dans un tout autre registre, l’intervention du jeune entrepreneur Hamza Aboulfeth a, elle, été un moment très amusant, grâce aux blagues qui l’ont ponctuée. Venu parler de la place de la foi dans son expérience professionnelle, tablette tactile en main et iPhone pour diffuser des versets qui l’inspirent, Hamza a fait rire la salle : « J’ai demandé à Dieu de m’aider et je vous jure, Dieu TED ! »
Pourtant, derrière cette légèreté, se cache un jeune homme qui a lancé à 22 ans une start-up qui réalise, trois ans plus tard, 7 millions de dirhams de chiffre d’affaires. « J’ai vendu un truc qui n’existait pas ! Comme mon banquier ne voulait pas me financer, j’ai juste lancé en prévente des serveurs virtuels que j’ai achetés avec l’argent récolté grâce aux commandes : 150 000 euros en un mois ! Je ne savais pas ce que je vendais, mais j’y ai cru et je pense que c’est grâce à Dieu ! », lance-t-il.
Des modèles marocains…
Plus terre-à -terre, Noureddine Ayouch est venu expliquer qu’avec 3 heures de cours par jour, dont une demi-heure de théâtre, « l’école informelle » lancée dans le monde rural peut faire reculer « la frontière entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ». Comment ?
En étant plus ludique, en bannissant devoirs et punitions corporelles. Et en prenant en compte le fait que les enfants sont aussi une force de travail dans les campagnes. Les résultat sont là  : la plupart de ceux qui suivent cette formation ont un niveau à l’examen d’entrée au collège équivalant à celui des élèves issus d’un cursus classique. Tout en étant plus épanouis.
« Les jeunes Marocains ont pour modèles Gandhi, Steve Jobs ou Bill Gates. Une des raisons qui m’ont poussé à organiser des TEDx, c’est de faire émerger nos propres modèles », explique Réda El Ourouba. « Parfois, ces gens ont fait des erreurs et ils viennent aussi nous dire ce qu’il ne faut surtout pas faire », ajoute Anas Bougataya, autre blogueur venu prêter main forte aux organisateurs qui ne sont au total que huit.
Alors mission accomplie ? La rencontre a confirmé l’intérêt que suscite le phénomène TEDx au Maroc, même si les conférences sont de qualité inégale et dépassent parfois le temps autorisé. Après une rencontre TEDx, le but est de sortir avec plein de nouvelles idées, ce qui n’est pas encore le cas. Mais un jour petit TEDx deviendra grand, car le potentiel est, lui, bien là !
Zakaria Choukrallah |