A quand remonte la derniĂšre fois que vous ĂȘtes entrĂ© dans un bar⊠pour commander une saladeâ?
***
Un bar Ă salades, kĂ©zakoâ? Il y a trois ans encore, seuls les Marocains qui voyagent frĂ©quemment en Europe et aux Etats-Unis auraient pu rĂ©pondre. DĂ©sormais, si vous ĂȘtes un cadre casablancais ou rbati qui travaille dans le centre, il est peu probable que vous ne soyez pas dĂ©jĂ allĂ© au moins une fois dans un bar Ă salades.
Le principe est simple. Il sâagit dâun service de restauration rapide, mais pas dâun self-service, et au lieu dâun hamburger ou dâun panini, le client est invitĂ© Ă composer lui-mĂȘme sa salade.
On commence par choisir sa base (salade verte, roquette, pĂątes, blĂ©, etc.) puis des toppings, gĂ©nĂ©ralement trĂšs variĂ©sâ: de la tomate au saumon en passant par lâavocat ou le parmesan⊠Il ne reste plus quâĂ rajouter la sauce de son choix.
Le concept a vu le jour dans les annĂ©es soixante aux Etats-Unis, oĂč de nombreux restaurants et diners proposaient des buffets ou des corners, mais il a vĂ©ritablement dĂ©collĂ© ces derniĂšres annĂ©es. En France, notamment, les chaĂźnes et franchises Jour et Green Is Better cartonnent.
Une premiĂšre au Maroc
Cependant, quand Charlotte Blasco ouvre, il y a trois ans, le bar Ă salades Tulik, Ă Casablanca, elle est loin de se douter de lâengouement suscitĂ©. «âCâĂ©tait une premiĂšre au Maroc, alors on ne savait pas trop si ça allait marcher. On espĂ©rait toucher les gens qui voyagent et qui connaissaient le concept, parce quâĂ lâĂ©tranger, le phĂ©nomĂšne a pris tellement dâampleurâŠâ»
Qui aurait pariĂ©, il y a trois ans, que la sainte trinitĂ© «âbio, frais et bonâ» ferait tellement dâadeptes au Marocâ? Pas les banques qui avaient refusĂ©, Ă lâĂ©poque, dâaccorder un prĂȘt Ă Charlotte Blascoâ!
Aujourdâhui, on compte au moins quatre bars Ă salades Ă Casablanca ââle dernier a ouvert ses portes il y a quelques semaines Ă peineââ et un Ă Rabat. Ils partagent la mĂȘme dĂ©co style cantine chic. Et Ă 13 heures, en semaine, ils font presque tous le plein, mĂȘme si on note un lĂ©ger «âcreuxâ» le vendredi, jour du couscousâ!
La clientĂšle est majoritairement fĂ©minine, entre 25 et 40 ans, et active. «âA lâheure du dĂ©jeuner, on compte 90% de femmesâ», commentent Loubna et AĂŻcha Haddioui, du Gossip, un restaurant avec salad-bar prĂšs du LycĂ©e Lyautey.
«âIl y a quelques jours, un homme est venu me demander si Tulik Ă©tait rĂ©servĂ© aux femmesâ», raconte Charlotte Blasco en riant. Samia, 34 ans, qui exerce dans lâĂ©vĂ©nementiel, alterne, du lundi au vendredi, bars Ă salades et autres fast-food «âservant de la nourriture fraĂźche et Ă©quilibrĂ©eâ».
«âAvant lâarrivĂ©e du premier bar Ă salades, quand je nâavais pas le temps de rentrer chez moi pour dĂ©jeuner, câĂ©tait pĂątes, pizza, sandwich, ou sushisâ», explique-t-elle en concluant «âpas trĂšs sain, ni trĂšs lĂ©ger. Je devais rentrer chez moi, si je voulais ââbienââ manger. Ce qui nâest plus le cas.â»
Les hommes sont fidĂšles
Pour autant, la clientĂšle nâest pas exclusivement fĂ©minine. Charlotte Blasco, qui estime Ă 30% le nombre de ses clients masculins, note quâils sont «âtrĂšs fidĂšlesâ». «âCertains sont venus parce quâils avaient des problĂšmes de santĂ© ou parce quâils avaient besoin de se mettre au rĂ©gime...»
Et chez Gossip, qui est ouvert aussi le soir, on ajoute «âque ce sont surtout des couples qui viennent dĂźner en sortant du travailâ». Enfin, et câest le plus surprenant, les Ă©tablissements les plus proches de Lyautey servent beaucoup de...lycĂ©ensâ! La preuve que le green est tendance, des LyautĂ©ens qui, il y a quinze ans, nâauraient lĂąchĂ© leur McDo pour rien au monde, font dĂ©sormais la queue pour manger de la saladeâ!
Il faut dire que lâatout minceur nâest pas le seul attrait des bars Ă salades. Les accros mettent en avant «âla fraĂźcheur des produits, la variĂ©tĂ©, lâaspect bioâ». Tomates confites, quinoa, pousses de soja, ou encore saumon et diffĂ©rents types de fromage, etc.
«âIl ne sâagit pas de manger la mĂȘme salade tous les jours, mais dâexpĂ©rimenter. Et si le mĂ©lange nâest pas goĂ»teux, on ne peut sâen prendre quâĂ soi-mĂȘme,â» commente malicieusement Ghita, responsable commerciale et habituĂ©e. Se dĂ©fendant dâĂȘtre au rĂ©gime, elle ajoute Ă son plateau un fondant au chocolat et une part de quicheâ: «âJe ne suis pas un lapin, aprĂšs tout...â»
DĂ©sir de mieux manger
Enfin, avec une addition moyenne entre 70 et 120 dirhams, point nâest besoin de casser sa tirelire. Cependant, câest encore trop pour certains, et la clientĂšle, il faut le reconnaĂźtre, est assez huppĂ©e.
Leila, responsable marketing de 30 ans, nâest pas convaincue. «â80 balles pour une salade, il nâen est pas question, câest pratiquement de lâarnaqueâ», sâexclame-t-elleâ! Elle prĂ©fĂšre manger au cafĂ© du coin, ou carrĂ©ment au restaurant «âpour faire un vrai repasâ».
La critique nâatteint pas vraiment Charlotte Blasco, qui explique que sans alcool, il faut bien rĂ©percuter sur les salades le prix du loyer et des emballages spĂ©ciaux importĂ©s. Vu le rythme assez soutenu des ouvertures de bars Ă salades et dâautres restaurants proposant du fast-food green, comme la franchise Linaâs ou le petit dernier Fresh&Co, il est Ă©vident quâelle nâest pas la seule Ă voir les choses de cette maniĂšre.
«âLes gens ont moins de femmes de mĂ©nage, moins de temps pour dĂ©jeuner, et en mĂȘme temps, un dĂ©sir de mieux mangerâ», explique la propriĂ©taire de Tulik. Les salades ont de beaux jours devant elles.
Amanda Chapon |