La ville tournée vers la mine a du mal à offrir de nouvelles perspectives à une jeunesse assistée. Entre demandes légitimes et attentes intarissables, tour d’horizon d’une région riche à la population pauvre.
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Au quartier Byout, les journalistes ne sont pas vraiment les bienvenus. « Où étiez-vous quand la ville brûlait ? Personne n’est venu nous voir, vous êtes tous achetés par l’OCP », nous lance un jeune d'un air menaçant.
Ancien village minier désormais rattaché à une ville qui n’a cessé de grandir sous l’effet de l’industrie des phosphates et de l’immigration, Byout est censé être un quartier de classe moyenne abritant les employés de l’OCP et leurs familles.
Il ressemble plus à un quartier pauvre où tout fonctionne au ralenti. Les habitations, des R+2, ressemblent à n’importe quelles maisons d’un quartier périphérique avec à proximité quelques petits commerces.
C’est aussi l’épicentre de la contestation où s’est cristallisée une haine féroce contre l’OCP. « Il aurait mieux valu pour nous que les phosphates n’existent pas, on n’en profite pas. Mais je jure que je ne m’arrêterai pas.
Qu’ils me pendent s’ils veulent, je refuse de voir des étrangers vivre mieux que les fils de mineurs », nous lance Jawad, un joint au « bec ». Ici, les jeunes ne travaillent pas. Ils passent leurs journées attroupés devant les maisons à fumer, à tuer le temps et à espérer un travail à l’OCP.
« La seule solution pour nous est d’aller à Casablanca chercher du travail, mais on ne peut pas le faire. Ici on vit avec nos parents, là bas, il faudrait payer un loyer », s’exaspère Aziz.
Il n’y a pas que les jeunes qui vivent dans le désespoir. Les retraités se sentent également floués. « On a donné notre vie à l’OCP, j’y ai passé trente-et-un ans en tant que peintre de bâtiment et je n’ai rien récolté.
Je suis sous dialyse aujourd’hui et mon fils est au chômage. A l’administration, ils ne nous répondent même pas », s’exaspère Abdelkader Habbach, matricule « 430-540 » insiste-t-il.
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« Une embauche par famille »
Pour l’ancienne génération, l’embauche était automatique. Ils ont donc bâti leur avenir et celui de leurs enfants autour du travail à « l’Office ». Mohamed Admi raconte par exemple qu’il a été convoqué après le départ en retraite de son père qui « tirait à l’époque les chariots de phosphate avant même l’installation complète de la voie ferrée », une fierté pour ce mineur de père en fils.
Autre réalité, autre drame. Celui des veuves d’anciens travailleurs, dont certaines, comme Fatima, perçoivent une pension d'à peine 400 dirhams. Elles viennent toutes spontanément vers nous, certificats médicaux à la main, avec une demande principalement, « qu’il y ait au moins une embauche par famille de retraité ».
Les retraités et leurs enfants se fondent sur « l’article 6 » pour exiger un emploi. Selon eux, cet article de loi obligerait « l’Office » à recruter au sein de la famille en cas de décès ou de mise à la retraite d’un fonctionnaire.
Pourtant, impossible de mettre la main sur cet article et notre source en « off » à l’OCP explique « qu’employer les fils de retraités était une habitude à une époque où le besoin en main-d’œuvre était important.
Cela a fini par faire jurisprudence dans l’esprit des gens. Cela n’a aucune base juridique ». Pour sa défense, l’OCP affirme qu’il ne peut favoriser certains aux dépens d’autres et qu’il est tenu d’embaucher des profils adaptés qui servent l’intérêt général. Mais il n’y a pas que ce problème.
A quelques kilomètres de là , devant le siège de l’OCP, dans le quartier européen, les ouvriers intérimaires font le pied de grue et manifestent. « On fait les mêmes choses que les autres fonctionnaires de l’OCP et pourtant on n’est pas du tout avantagés.
Pour nous le salaire est bas, il est au minimum, soit 2 300 dirhams, et nous ne profitons pas des vacances et des primes comme les employés OCP », s’époumone Mohammed Assad, président d’Unité ouvrière.
Un peu plus loin de la ville, au village de Boulanouar, les conditions de vie sont plus difficiles. Les habitations, toujours des R+2, ressemblent à celles de Byout mais l’éloignement relatif de la ville fait que l’endroit a l’air d’un douar rural, avec sur la droite des bidonvilles. « Ici on mange, on dort et on galère pour payer le grand taxi qui conduit en ville », se plaint Ahmed Dhaimin.
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Pour l’OCP, un « discours stérile »
Mais là où les gens se sentent réellement à l’écart, c’est à Hattane, situé à 17 kilomètres au sud-est de Khouribga. Ce village a été la première localité à se rebeller, en 2006. Il s’agissait à l’époque des victimes des poussières d’usine de séchage, et du dynamitage qui fissurait les habitations.
« C’était une cité prison. Dans les années quarante, le colonisateur y envoyait les ouvriers turbulents et les nationalistes pour les éloigner », explique Abdelaziz Adidi, professeur et spécialiste de la problématique des villes minières. Le village a gardé les stigmates du passé à cause de son enclavement.
Pour l’OCP, il est trop facile de leur jeter ainsi la pierre. « Ces discours sont stériles car, au contraire, l’OCP fait beaucoup. Le club sportif de l’OCK est entièrement financé par le groupe et, à Khouribga, vous pouvez jouer au tennis pour trois fois rien. La faculté est construite sur un terrain de l’OCP, la grande mosquée aussi, etc. », se défend notre source. Mais pour ce jeune, qui nous montre sa ville du haut d’un monticule de terre sur un lieu d’extraction, voir des dizaines de trains passer chaque jour remplis de phosphate et ne pas sentir qu’il en profite a quelque chose de frustrant.
Zakaria Choukrallah |