Le pays est encore trĂšs en retard sur le registre de lâe-gouvernement. Cependant, un plan ambitieux devrait rĂ©volutionner les TIC Ă lâhorizon 2013. Pourquoi sommes-nous donc Ă la traĂźne ? actuel fait le point.
LES MOINS
E-GOUVERNEMENT Pourquoi ça bloque
Tout dâabord, un chiffre qui refroidit : le Maroc est classĂ© 126Ăšme sur 192Ăšme pays dans le dernier rapport 2010 UN Global E-Government Readiness Survey, devancĂ© par la Tunisie (66Ăšme), Oman (82Ăšme), lâĂgypte (86Ăšme) et mĂȘme⊠la Libye (114Ăšme)! Ce rĂ©sultat est loin dâĂȘtre anodin, car il sâagit du classement de rĂ©fĂ©rence Ă©tabli par les Nations unies et ïŹgurant parmi les prioritĂ©s du plan Maroc Numeric 2013.
Quâest-ce qui cloche ? MalgrĂ© tous les efforts dĂ©ployĂ©s par le Royaume pour booster lâadministration en ligne, cette derniĂšre accuse un retard inadmissible, Ă part dans certains secteurs pionniers (sĂ©curitĂ© sociale, douane, justice). Pour une fois, le gouvernement ne balaie pas du revers de la main ce rĂ©sultat. LâAgence nationale de la rĂ©glementation des tĂ©lĂ©communications (ANRT) le reconnaĂźt : le Maroc est Ă la traĂźne comparĂ© Ă des pays comme la Jordanie, la Bulgarie ou lâĂźle Maurice. Le dĂ©partement de Ahmed RĂ©da Chami en est conscient Ă©galement et parle dâune « situation contrastĂ©e » dans le secteur des technologies de lâinformation, et notamment dans la mise en place du e-gouvernement. La corruption endĂ©mique et le manque de transparence sont les principaux freins. « Se mettre sur Internet, câest accepter la critique. Les organismes publics, et a fortiori les partis politiques, ne sont pas encore prĂȘts au dĂ©bat », assĂšne le sociologue Jamal Khalil. Cela Ă©tant, il convient de relativiser les rĂ©sultats du classement : le Maroc ïŹgurait Ă la 140Ăšme position en 2008. Un espoir (qui reste Ă concrĂ©tiser) : le pays projette de passer de 16 services publics « connectĂ©s » Ă 89 en 2013. Ă suivre.
DROITS DE LâHOMME Ennemi dâInternet ?
Quâon lâĂ©crive une bonne fois pour toutes : le Maroc nâest pas un pays ennemi de lâInternet, comme la Tunisie par exemple⊠mais il nâest pas non plus un pays oĂč le bonheur numĂ©rique rĂšgne. Nous sommes huitiĂšme dans le top ten du site Global voices rĂ©pertoriant les pays qui persĂ©cutent leurs bloggeurs. Les raisons de cette mise en garde ? DĂ©but dĂ©cembre dernier, des manifestations Ă©clatent dans la petite bourgade de Taghjijt, dans la rĂ©gion dâAgadir. Un bloggeur, Bachir Hazzam, publie le communiquĂ© des manifestants et Ă©cope pour cela de 4 mois de prison ferme. Son PV mentionne une accusation kafkaĂŻenne : « Diffusion de fausses informations portant atteinte Ă lâimage du Royaume concernant les droits humains. » Pire : Abdellah Boukfou, gĂ©rant dâun cybercafĂ©, est condamnĂ©, lui, Ă un an de prison pour avoir servi « dâintermĂ©diaire ». InquiĂ©tant mais loin dâĂȘtre un prĂ©cĂ©dent. La Blogoma (blogosphĂšre marocaine) se rappelle encore de Fouad Mourtada, condamnĂ© Ă la prison puis graciĂ© pour avoir crĂ©Ă© un faux proïŹl du prince Moulay Rachid sur Facebook. Le cas du bloggeur Mohamed Erraji est Ă©galement restĂ© dans les annales. Ce jeune homme dâAgadir a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ© pour avoir osĂ© critiquer la politique royale dans un de ses billets, avant de voir sa peine muĂ©e en emprisonnement avec sursis. LâĂ©tau se resserre et se desserre donc continuellement autour des libertĂ©s sur lâInternet, ce qui ne prĂ©sage rien de bon. La dynamique de la Blogoma est, elle, bien ancrĂ©e et irrĂ©versible. « Câest le point le plus positif : tout peut ĂȘtre mis sur Internet, ce quâon ne voit pas Ă la tĂ©lĂ© par exemple », analyse le sociologue Jamal Khalil.
MONDE RURAL ET ĂCOLES « zones blanches »
Les « zones blanches » sont les endroits dĂ©connectĂ©s, invisibles sur la carte mondiale. Au Maroc, ces zones dâombre sont lĂ©gion : dans le monde rural mais aussi dans les Ă©coles. Pour y pallier, le ministĂšre de lâIndustrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies projette de crĂ©er 400 centres dâaccĂšs communautaire (CAC) dans nos campagnes et dâĂ©quiper en connexion internet 100 % des Ă©coles Ă lâhorizon 2013. En tout, cela fait quand mĂȘme 9 260 Ă©coles Ă couvrir, 200 000 enseignants Ă former et des parties entiĂšres de la carte Ă faire Ă©merger du nĂ©ant. Des plans comme Injaz, mis en place pour aider les jeunes ingĂ©nieurs Ă sâĂ©quiper en ordinateurs portables ou NaïŹd@, qui propose des ristournes importantes sur lâĂ©quipement Ă lâintention des enseignants, ambitionnent (et rĂ©ussissent) Ă accompagner cette mutation. Peut-ĂȘtre quâun jour, les rĂ©gions les plus reculĂ©es suivront le modĂšle de Rhamna, zone pilote pour la mise en place de la 3G ? Pourvu que cela proïŹte au plus grand nombre...
LES PLUS
DANS LES MĂNAGES Dâabord du ludique
En 2008, seul un foyer sur dix a accĂšs Ă lâInternet. Mais les connexions vont bon train, grĂące notamment Ă lâADSL, puis Ă la 3G en forte progression ces derniĂšres annĂ©es. Pour preuve, les cybercafĂ©s sont en dĂ©clin (baisse des demandes de 44 % en 2008). Cela Ă©tant, la maniĂšre de consommer le Net est encore sous-dĂ©veloppĂ©e dans le Royaume. Plus de 90 % des internautes marocains utilisent la toile « pour chercher de lâinformation ». « Lâattitude adoptĂ©e par nos internautes consiste Ă dire : je suis lĂ , je regarde mais je ne suis pas moi-mĂȘme producteur dâinformation. Câest propre Ă une phase de dĂ©couverte », estime le sociologue Jamal Khalil. Le nombre inïŹme dâutilisateurs de mail en est la preuve, bien que la notion de partage soit de plus en plus prĂ©sente Ă travers les rĂ©seaux sociaux. Lâutilisation, mĂȘme dans ce cas, reste essentiellement ludique et, de toutes les maniĂšres, limitĂ©e Ă une petite partie de la population. « Qui a lâInternet ? Au Maroc, câest un outil câest tout. On est loin de la mutation de la sociĂ©tĂ© pour la simple raison que ça ne bouleverse que ceux qui ont les moyens de changer », conclut le professeur Khalil.
OFFSHORING Précurseur mais pas leader
Dans le domaine de lâĂ©conomie, le pire cĂŽtoie le meilleur. Le pays est trĂšs en avance sur le plan de lâoffshoring : connexion de qualitĂ© et Ă faible coĂ»t, entreprises marocaines leader dans la monĂ©tique⊠Tout cela a permis au Maroc dâĂȘtre une destination offshore de premier ordre pour les entreprises NTIC. Ce constat positif est pourtant Ă nuancer. Selon Abderrazak Mazini, juriste spĂ©cialisĂ© et observateur averti de ce secteur Ă©conomique, « les infrastructures dâacheminement modernes ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©es, mais lâusage du Web ne suit pas ». En effet, lâANRT estime Ă 42 % le nombre dâentreprises prĂ©sentes sur le net en 2007. Loin dâĂȘtre positif, ce chiffre rĂ©vĂšle une stagnation et mĂȘme une rĂ©gression par rapport Ă 2005 qui avait enregistrĂ© 43 % dâentreprises online. Dans le domaine de la consommation, le Maroc est Ă la traĂźne. En termes de e-commerce notamment. Mis Ă part quelques niches â les cybermarchĂ©s par exemple â peu dâentreprises ont osĂ© sauter le pas. Et lâANRT de diagnostiquer les carences : « Faible pouvoir dâachat, absence de cadre lĂ©gislatif, faible diffusion des cartes de paiement, lĂ©gislation de change⊠» Autre volet Ă la traĂźne : la rĂšglementation. Une loi sur la protection des donnĂ©es personnelles a bien Ă©tĂ© promulguĂ©e et ces mesures dites dâaccompagnement ïŹgurent en bonne place dans le plan Maroc Numeric 2013. Mais jusque-lĂ , notre pays semble « rĂ©glementer en urgence et sans dĂ©bat », estime Abderrazak Mazini, « Des juges Ă©minents ignorent encore les composantes dâune loi sur la reconnaissance de lâĂ©crit et des signatures Ă©lectroniques. Le vide rĂ©glementaire constitue un handicap de taille pour le dĂ©veloppement des NTIC », conclut notre juriste.
Zakaria Choukrallah |