Comment accélérer la dynamique de développement à la faveur du mouvement de contestation, les réformes politiques sont-elles suffisantes pour mettre le Maroc sur les rails du développement? Analyse d’un professeur et militant libéral.
Hicham El Moussaoui est un jeune professeur en sciences économiques à l’université Sultan Moulay Slimane de Beni Mellal. Il est spécialiste «de la coopération dans le cas des problèmes d’action collective», «de l’impact des politiques publiques sur les incitations au développement» et «du rôle des institutions dans le processus de développement». Il milite également dans le cadre du projet unmondelibre.org, le projet francophone de la fondation Atlas, une ONG américaine pour la recherche économique qui fait la promotion de la démocratie, du libre-échange et de la paix. En juillet, l’association qui fait la promotion du libéralisme a organisé sa quatrième université d’été sur le thème «Afrique et liberté» pour analyser les mouvements de contestation que connaissent la région, ses sources et son impact économique. Hicham El Moussaoui revient dans cette interview sur la vision d’unmondelibre.org de la démocratie et analyse le mouvement de contestation que connaît le Maroc.
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actuel : Vous militez pour la diffusion des idées de liberté, de démocratie et de paix dans le monde. Le printemps arabe vous a-t-il conforté dans votre démarche ?
Hicham El Moussaoui : C’est encourageant pour nous. Plusieurs personnes nous disaient que l’on prêchait dans le désert, on parlait de l’exception arabo-musulmane, que l’on n’est pas fait et pas prêts pour la démocratie. Les révoltes arabes démontrent le contraire. On a toujours eu des démocrates dans le monde arabe, mais on vivait dans des pays non démocratiques. Le cadre institutionnel brime et étouffe la démocratie et la liberté. On ne pouvait donc pas traduire cela dans la réalité.
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Quelle est votre approche pour faire la promotion de la démocratie ?
Notre travail est une bataille pour changer les idées afin d’arriver au développement. Notre constat est le suivant : les politiques et les stratégies arabes pour le développement ont démontré leur échec depuis l’indépendance de ces pays, car l’Etat a toujours été le seul acteur et ne cherche pas l’adhésion de la population en imposant des stratégies du haut vers le bas. Notre approche est de faire le contraire. Pour cela, nous militons pour deux choses. D’abord, mettre l’individu au centre et non plus l’Etat en faisant la promotion de la société civile. En échangeant, on divise le travail donc on crée de la valeur et cela sert la cause de la liberté et de la diversité avec, en parallèle, la notion de responsabilité. Ensuite, nous encourageons les institutions car pour changer l’individu, il faut changer les règles : lois, constitution, règlements, etc. Ce sont les deux ingrédients selon nous pour arriver au développement et à la démocratie.
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Quel est votre regard sur le mouvement de contestation au Maroc, contribue-t-il, selon vous, à la démocratisation ?
Nous sommes à un tournant. On est libéré, il faut s’exprimer et ne pas étouffer la contestation en disant que c’est trop, que les manifestants vont trop loin. Maintenant, sur le fond, le mouvement a été récupéré politiquement. La force et la faiblesse de la démocratie de la rue, c’est justement le manque de leadership et d’idéologie, mais quand l’idéologie s’infiltre, cela provoque le rejet de la population, même si les demandes exprimées sont légitimes. Le 20-Février devrait faire le ménage et définir une ligne.
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Cette contestation a servi au moins à quelque chose, l’élaboration de la nouvelle Constitution. Vous qui défendez les libertés individuelles, quel regard portez-vous sur ce texte qu’on dit être aussi une charte des libertés. La constitution va-t-elle assez loin ?
Il y a des avancées, c’est indéniable, ne serait-ce que le choix irréversible du processus démocratique et l’armature de principes censées défendre les droits : droit à la vie, sécurité des biens et des personnes, droit environnementaux et sociaux, etc. Il reste à traduire tout cela dans la pratique, et là , je me pose des questions. Il faudra beaucoup de temps pour effacer les vieux réflexes autoritaires. La volonté politique n’est pas clairement affichée, mais ce qui est bien, c’est que cette Constitution ouvrira pas mal de débat. Il est trop tôt pour parler d’un modèle marocain comme on entend ici et là . La Constitution sera jugée selon sa capacité d’encadrement et de suivi de ces débats qui vont naître des principes qu’elle a énoncés.
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Comment analysez-vous la manière avec laquelle agissent les autorités face à la contestation, que ce soit au niveau du Mouvement du 20 février ou des différents corps de métiers qui se mobilisent ?
Je suis déçu. L’Etat répète les mêmes erreurs surtout au niveau économique. On continue à subventionner pour acheter la paix sociale, à augmenter les fonctionnaires alors qu’il y a moins d’un an on parlait de la nécessité de réformer la caisse de compensation. On emploie à tort et à travers alors qu’on a besoin de dégraisser l’administration. Avec cette stratégie, on va devoir s’endetter et continuer dans l’économie de rente, qui est génératrice de despotisme politique.
Au niveau sécuritaire, l’Etat serre la vis puis la desserre mais reste attaché à ses vieux réflexes. Je résume cela par la méfiance du makhzen à l’égard des autres pouvoirs. Même la Constitution a conservé l’idée de la délégation du pouvoir et non le renforcement des pouvoirs. Quelqu’un qui délègue un pouvoir peut à tout moment le reprendre.
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Vous défendez aussi le libre échange à l’heure où des experts en économie annoncent que notre économie n’est pas prête…
C’est la pensée ambiante. Même en Europe, cette frilosité protectionniste existe. Je trouve cela hypocrite. En France, les entreprises exportent bien en Chine, non ? Le libre échange, ce n’est pas le chaos. Le libre échange, c’est l’opportunité de gagner plus, et pas forcément autant que l’autre. Le plus important est que, par rapport à la situation initiale, il y ait une amélioration. Le problème, c’est que notre économie doit faire sa mise à niveau. L’Etat surprotège les sociétés donc elles ne seront jamais prêtes. Il faut sortir de l’économie de rente et instaurer les règles du marché et responsabiliser.
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Propos recueillis par Zakaria Choukrallah |