La polĂ©mique sur le voile intĂ©gral dĂ©chaĂźne les passions en France. Le Maroc nâĂ©chappe ni Ă cette « tendance » ni au dĂ©bat quâelle suscite. Le point.
Le niqab, que les Français assimilent Ă la burqa afghane, est lâobjet, depuis plusieurs semaines, de controverses passionnĂ©es dans lâHexagone. Ce qui a mis le feu aux poudres ? La proposition, en juin 2009, dâun dĂ©putĂ© communiste de crĂ©er une « commission dâenquĂȘte sur la pratique du port de la burqa et du niqab sur le territoire national ». La mission parlementaire constituĂ©e, la polĂ©mique sâest enclenchĂ©e, dans le sillage du fameux « dĂ©bat sur les valeurs de la RĂ©publique ». Finalement, le 26 janvier, la commission a rendu un rapport prĂ©conisant la promulgation dâune loi, qui, pour des raisons essentiellement sĂ©curitaires, obligerait hommes et femmes à « pĂ©nĂ©trer Ă visage dĂ©couvert dans les services et les transports publics ».
Trois jours aprĂšs, le Premier ministre a renchĂ©ri et demandĂ© au Conseil dâĂtat de plancher sur des « solutions juridiques » pour parvenir Ă une interdiction « la plus large et effective possible » du voile intĂ©gral, relançant un dĂ©bat qui nâest pas prĂšs de sâĂ©teindre. Surtout aprĂšs le braquage dâune banque en banlieue parisienne, le 6 fĂ©vrier dernier, par deux voleurs recouverts dâun niqab !
Il ne laisse personne indifférent
Ăvidemment, chez nous, il sâen faut de beaucoup pour que le niqab dĂ©chaĂźne les passions de cette maniĂšre. Pourtant, depuis un peu plus dâune dizaine dâannĂ©es, avec le dĂ©veloppement au Maroc des doctrines salaïŹstes et wahabites, une petite minoritĂ© de femmes a adoptĂ© ce voile noir qui les recouvre entiĂšrement, ne laissant apparaĂźtre que les yeux. Et il ne laisse personne indiffĂ©rent. « Prison, aliĂ©nation, aberration » sont des termes que lâon retrouve, dans la bouche de nos compatriotes, pour dĂ©crire le niqab, des termes souvent suivis dâun « lâislam, ce nâest pas ça ».
Une opinion partagĂ©e par nos oulĂ©mas, nos leaders politiques et religieux (voir encadrĂ©). Pour Nadia Yassine, « le port du niqab nâa rien Ă voir avec le dogme. Câest dâabord une tradition arabe qui nâa pas Ă©tĂ© abolie par le ProphĂšte par respect pour les us et coutumes qui prĂ©valaient dans la sociĂ©tĂ© avant lâislam. AprĂšs, une certaine jurisprudence sâen est emparĂ©e, pour sâen servir comme moyen de pression sur la sociĂ©tĂ© et surtout, sur les femmes. » La porte-parole du mouvement islamiste Al Adl Wal Ihsane prĂ©cise nĂ©anmoins ne pas vouloir « stigmatiser les femmes qui le portent, au nom des libertĂ©s publiques, et au mĂȘme titre que les femmes sont libres de porter une minijupe ».
Mais si une partie de la population rĂ©prouve sans Ă©quivoque « les ninjas », beaucoup expriment un avis plus nuancĂ©. Fatiha Mejjati, qui porte le niqab depuis 1995 raconte que « cela se passe trĂšs bien, alors que je vis dans un quartier rĂ©sidentiel oĂč nous ne sommes pas nombreuses Ă le porter. Avec le temps, les gens se sont habituĂ©s : je prends des taxis, le bus, je fais mes courses... Bien sĂ»r, on me regarde et parfois, on sâexclame ââun corbeau !ââ, mais en gĂ©nĂ©ral on me respecte ». En fait, nombre de Marocains, invoquant es libertĂ©s individuelles, et surtout lâislam, nây trouvent rien Ă redire, tout en refusant, en mĂȘme temps, lâĂ©ventualitĂ© de le porter ou de le faire porter Ă leurs mĂšre, femme ou sĆurs, arguant souvent : « Câest un style importĂ©, il nâa rien Ă voir avec nos traditions. » Dâailleurs, selon le sociologue Jamal Khalil, câest aussi pour cette raison que lâon remarque autant les femmes qui portent le niqab. « Beaucoup de femmes plus ĂągĂ©es sâhabillent Ă lâancienne, portant djellaba et neggab qui les couvrent entiĂšrement, mais elles sont moins singularisĂ©es, parce que câest dans lâordre de nos traditions. »
Il nâest acceptĂ© quâen surface
Ainsi, les Marocains, sans condamner le port du voile intĂ©gral, ne lâont pas assimilĂ©, contrairement au hijab qui est pourtant Ă©galement « importĂ© ». Pour Jamal Khalil, ce serait notamment parce que « Ă©conomiquement, socialement, le niqab ne mĂšne nulle part. La femme qui le porte ne trouve pas de travail (ou Ă domicile) et peut difïŹcilement Ă©tudier. Il faut donc quâelle soit prise en charge par son mari, sa famille⊠» Une considĂ©ration aussi terre-Ă -terre quâefïŹcace, et qui explique en partie, selon le sociologue, que son port ne soit pas plus rĂ©pandu dans les milieux dĂ©favorisĂ©s.
Une rĂ©alitĂ© Ă laquelle se heurte Fatiha Mejjati qui nâarrive pas Ă trouver de travail, « malgrĂ© de longues Ă©tudes », et qui ajoute en soupirant : « Je voudrais vivre dans une sociĂ©tĂ© oĂč les femmes sont libres de vivre leur religion. Câest pour cela que je suis allĂ©e en Afghanistan. » Il semblerait donc que le niqab ne soit acceptĂ© quâen surface, pour ne froisser aucune sensibilitĂ© musulmane, mais que, somme toute, une ïŹn de non-recevoir polie est adressĂ©e Ă ses partisans. De la rĂ©sistance passive, en quelque sorte.
Amanda Chapon |