Aussitôt sorti de prison, aussitôt sur le terrain. Le militant du Rif a repris du service dans la défense des droits de l’homme pour sa région. Il continue surtout à soutenir les cultivateurs de cannabis pour enfin légaliser cette culture.
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Il est reconnaissant. Et pour cause, si le mouvement du 20-Février et le Printemps arabe n’existaient pas, Chakib El Khiyari ne serait sorti de prison que le 18 février 2013. Emprisonné pour son activisme contre la drogue (voir encadré), il sera gracié le 14 avril 2011 en même temps qu’une partie des détenus islamistes.
Celui que l’on surnomme le trublion du Rif est plus que jamais déterminé à poursuivre son militantisme pour que les Rifains, longtemps marginalisés, jouissent enfin de leurs droits fondamentaux.
Trapu, barbe de trois jours et look lambda du Marocain moyen, Chakib El Khiyari n’a pas changé d’un iota. Enjoué, poli et hyperactif, la prison n’a diminué en rien le caractère bien trempé de ce Rifain devenu célèbre pour avoir réussi à faire pression sur les autorités afin qu’elles ferment la lagune de « Mar Chica », plateforme des Zodiacs spécialisés dans le trafic de haschich.
En revanche, son séjour en prison lui a révélé d’autres injustices. « J’ai côtoyé des dealers, des hommes d’affaires, des tueurs et j’ai discuté longuement avec eux. Beaucoup me donnaient leur PV à lire et j’y trouvais des injustices incroyables.
Des gens mis en prison sans l’ombre d’une preuve juste parce que leur nom a été évoqué dans un interrogatoire. Nos prisons sont remplis d’innocents. J’ai aussi écouté des gens au téléphone qui négociaient avec leur famille la somme à donner à un magistrat », se souvient-il.
Le passage dans les geôles lui a aussi valu une nouvelle reconnaissance. La solidarité née autour de lui fait qu’après sa sortie, il a sillonné, pendant deux mois, le Maroc et l’étranger pour recevoir des hommages ou prendre part à des conférences.
Legalise it !
Chakib El Khiyari n’a d’ailleurs toujours pas eu le temps de décider de ce qu’il va faire. Il est pris entre la maladie de son père, dont il s’occupe avec son frère, et les préparatifs de l’assemblée générale de son association, qui doit se tenir bientôt. « Grâce à la médiatisation dont a joui mon affaire et au vent de contestation, de plus en plus de gens sont intéressés par le travail dans le domaine des droits humains.
Nous devons saisir cette chance pour restructurer l’association », pense-t-il. Il est loin le temps où, en 2005, l’ARDH peinait à se faire une place malgré le fait qu’elle soit la première ONG des droits de l’homme à Nador.
« En 1984, les militants ont été sévèrement réprimés à Nador. Nous en avons gardé les stigmates pendant longtemps, mais là , la ville se relève, maintenant plus que jamais. » Le militantisme, Chakib compte le reprendre là où il l’a laissé avant d’entrer en prison.
La première activité de l’ARDH devrait être l’organisation d’une conférence internationale sur les usages thérapeutiques et industriels du cannabis. Un sujet qui lui tient à cœur, car « c’est au centre de l’injustice dont la région du Rif fait l’objet ».
« Il y a des cultivateurs qui ne produisent qu’un kilogramme de résine. Leur revenu ne dépasse pas 6 000 dirhams par an ! Ils vivent dans la misère la plus totale et dans la peur constante que les gendarmes débarquent pour les emmener en prison. Nous militerons pour l’élargissement des libertés grâce aux ouvertures que permet la nouvelle Constitution », explique-t-il.
De Omar Khattabi au 20-FĂ©vrier
Justement, sur la nouvelle Constitution, Chakib El Khiyari a un avis. « Les textes ne suffisent pas. J’ai vu des prévenus en sang, qui disent avoir subi les pires horreurs au commissariat de police, se présenter devant le procureur dans cet état sans que ce dernier n’ouvre une enquête pour savoir ce qui s’était passé. »
C’est pour cela que Chakib est fier du mouvement du 20-Février, avec lequel il a manifesté… deux jours après sa sortie de prison. « Je suis moi-même pauvre (ndlr : en attendant de trouver un travail, lui et son frère vivent de la pension de leur père malade).
J’ai rencontré des jeunes qui n’ont même pas les moyens de se payer un café et qui prennent pourtant tous les risques pour lutter pour un Maroc démocratique », témoigne-t-il.
L’émergence de jeunes militants lui rappelle comment il est lui aussi devenu militant. En 2000, Chakib est étudiant à la faculté, loin de sa ville. Il décide avec des amis de la fac de créer un comité pour réclamer la création d’une université à Nador (ce qui ne sera fait qu’en 2005).
Il est alors désigné pour rencontrer Omar Khattabi, le frère de Abdelkrim Khattabi, symbole de la lutte rifaine et le premier à avoir eu l’idée de créer une association des droits de l’homme (qui inspirera l’AMDH par la suite).
C’est suite à ces discussions avec Khattabi qu’il décide de devenir militant. Aujourd’hui, Chakib El Khiyari inspire à son tour la jeunesse révoltée. « La solidarité dont j’ai bénéficié me pousse à faire encore plus attention à rester fidèle à ma ligne de conduite. Le poids est énorme, je ne veux pas décevoir tous les espoirs que les gens ont placés en moi. » Chakib est un grand militant parce qu’il sait se faire petit et n’abandonne jamais le terrain.
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