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Portrait MRE et politique  Le plaidoyer de Driss Ajbali
actuel n°99, vendredi 17 juin 2011
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Nouvelle Constitution, élections anticipées… Des voix au sein de la communauté marocaine à l’étranger s’élèvent pour leur pleine participation au processus. Les explications de Driss Ajbali, membre et dirigeant du CCME.


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Emigration, citoyenneté et participation politique. Le sujet est vaste. Et c’est en cette période de grandes réformes politiques et institutionnelles que connaît le Maroc que le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger entend s’y attaquer.

Notamment à travers le colloque « Constitution, citoyenneté et immigration » qui devait se tenir ces 18 et 19 juin à Casablanca. L’occasion de jeter la lumière sur les droits à la participation politique des Marocains du monde (MDM).

Des droits qui vont du vote à la représentativité au Parlement, dont la consécration était intervenue dès 2005, à travers le discours royal du 6 novembre. Qu’en est-il aujourd’hui, à un moment où des voix s’élèvent au sein de la communauté marocaine à l’étranger pour faire valoir ses droits ?

Pour en savoir plus, actuel s’est longuement entretenu avec Driss Ajbali, membre influent au Conseil de la communauté marocaine à l’étranger. Pour lui, la participation, dans le sens du vote, ne peut et ne doit pas poser problème.

C’est la représentativité dans l’une ou les deux chambres qui est loin d’être évidente. « Il y a eu à mon avis un ratage de communication qui a accouché d’une escroquerie intellectuelle. Ce ratage est né de la dualité entre les attentes fortes de la communauté marocaine, nées après le discours royal de 2005, et l’évolution qu’a connue le dossier.

Et autant le discours de 2005 ouvrait de larges perspectives notamment pour les camelots, autant la mise en œuvre a butté sur des contraintes incontournables. Nous en avons eu la preuve quand, le 16 juin 2006, Chakib Benmoussa, alors ministre de l’Intérieur, a différé la participation des MDM aux législatives 2007, après accord avec les partis », souligne Ajbali. Revenir, huit mois après, sur une annonce royale fut une première dans l’histoire du pays.

Pour autant, des représentants de la communauté marocaine à l’étranger n’ont pas lâché prise. Certains demandent non seulement à voter, mais à être représentés. D’autres, partant tranquillement du principe que les MDM représentent du 10% de la population marocaine, vont jusqu’à plaider pour que cette représentation soit équivalente à 10% des sièges du Parlement.

Problème d’adéquation

« Ceux qui plaident pour cela sont très peu nombreux, et malgré l’évolution qu’a connue ce dossier, ils s’accrochent religieusement au discours royal de 2005. Pour être précis, il y a exactement cinq endroits dans le monde où il y a une hystérie sur cette question : deux personnes à Madrid, une personne à Amsterdam, une personne à Montréal, deux personnes à Bruxelles et surtout un corbeau qui réside à Nice et qui est par ailleurs fonctionnaire de la police française.

Cette insignifiance n’a d’égal que le fort lobbying mené par ces gens-là sur internet », note le membre du CCME. En 2007, quand les listes électorales ont été ouvertes au MRE, seules quelques rares personnes se sont inscrites en Île-de-France. Et la dernière révision des listes électorales a enregistré une très faible mobilisation de nos MRE.

Driss Ajbali ne manque pas de rappeler que le Maroc fut l’un des premiers pays au monde à avoir eu des députés de l’immigration. « Nous avons connu une expérience entre 1984 et 1992, avec 5 députés issus de l’immigration.

Personne ne l’a sérieusement évaluée. Je l’ai fait et j’ai rencontré les concernés. A la question sur la présence de députés issus de l’immigration au Parlement, la réponse a été négative », nous informe Ajbali.

Et de citer Akka El Ghazi, ancien député représentant les MRE, qui a dû abandonner, en 1984, ses responsabilités à la CGT dont il était l’un des plus grands leaders. La déception personnelle de ce dernier l’a conduit au nomadisme politique au Maroc.

Et au lieu de défendre la communauté qu’il était censé représenter, il s’est empêtré dans les méandres de la politique politicienne locale. « Je vois mal un immigré qui vit à Paris ou Abu Dhabi devenir parlementaire et, partant, se couper de la réalité qu’il est censé défendre.

Et je suis hostile au fait que les gens qui ne payent pas les impôts et qui ne subissent pas les affres du budget puissent le voter », nous dit le conseiller. Qu’en est-il des 53  milliards de dirhams de transferts MRE ? « C’est une épargne, des placements, un bien immobilier ou des dépenses de solidarité. En aucun cas un impôt. »

Un conseil représentatif des MRE

S’ajoute à cela un argument, celui de la difficulté que pose le découpage électoral à l’étranger (voir encadré). « Et en dehors de l’argument technique, pourquoi allons-nous créer une circonscription à Benguerir pour des centaines de milliers de personnes et une autre en Asie pour 6 000 ou 7 000 personnes. Il y a là le risque de l’inégalité citoyenne. »

Bien des parades ont été envisagées pour contourner les difficultés tout en sauvegardant les droits. Une idée a été d’intégrer les MRE à la deuxième Chambre. « Mais on sait aujourd’hui que celle-ci est réservée aux collectivités locales. Et nous n’allons pas créer une région pour les MRE », ironise Ajbali.

L’histoire retiendra également l’anecdote de Mohamed Ameur, ministre délégué au MRE, qui a usé d’une audacieuse métaphore affirmant que l’émigration marocaine était la 17e région du pays. La Hollande avait fait convoquer l’ambassadeur du Maroc pour explication.

Pour Ajbali, « la participation politique ne peut être résumée en un mandat parlementaire. Et tous ceux qui veulent devenir députés aujourd’hui ont le même profil : ils ont échoué leur projet de vie et d’intégration dans les pays de résidence. Ils veulent se notabiliser sur le dos des Marocains ».

 

En guise de solution, le membre du CCME plaide « pour que les MRE soient représentés à la Haca, à l’Ircam, à l’ICPC, au sein de l’institution du Médiateur, dans les conseils d’administration de Banque Populaire et de Royal Air Maroc.

Parce que les MRE seront au cœur des centres de prise de décision. C’est cela une citoyenneté et une représentativité fécondes. » Il en veut pour exemple le fait que la question politique vient en dernier dans l’énumération des préoccupations de nos MRE.

Au top ten, figurent la justice, l’administration, la douane… « Notre urgence est de voir comment mettre à niveau les standards du service public au niveau de ceux des pays dans lesquels ils vivent, particulièrement les pays développés, et où ils ont l’habitude d’être servis comme des citoyens et non pas des fils de...

Et au Maroc, sur la corruption par exemple, les MDM doivent être les premiers à dire non à ce type de pratiques. Car, ce qui est attendu d’eux, ce n’est pas seulement le transfert d’argent, mais aussi celui des valeurs, surtout les plus démocratiques », conclut-il.

Tarik Qattab

Quid du droit de vote ?

En théorie, le droit de vote des MRE est absolu. Mais techniquement, c’est loin d’être gagné d’avance. « Ce droit s’applique pour des échéances comme les référendums ou pour les législatives, à condition que le vote soit effectué au Maroc.

Pour les municipales, un tel droit est Ă  nuancer, parce que la personne censĂ©e voter dans une municipalitĂ© donnĂ©e ne s’y trouve pas effectivement », rĂ©pond Ajbali.  Se pose aussi un problème technique, celui du dĂ©coupage quand on a près d’un million de Marocains en France, mais 600 seulement au Japon.

Des pays comme la France ont quand même trouvé la solution, à savoir un découpage par continent. « La France est une puissance coloniale et administrative avec un conseil qui existe depuis des lustres.

D’autant que les Français, dans une large proportion, ne se considèrent jamais comme des émigrés mais des Français de l’étranger, et ne prennent que rarement la nationalité des pays dans lesquels ils vivent.

Nous avons des centaines et des centaines de Marocains qui ont la nationalité de leur pays de résidence. Se pose la question de la double allégeance », rétorque le membre. L’Europe, où vivent 85% de nos émigrés, est aujourd’hui extrêmement tendue par une extrême droite qui fait de l’émigration son champ de bataille.

« Une fois, nous avions sollicité une députée hollandaise d’origine marocaine pour nous aider à réfléchir sur des questions politiques. Cette invitation a suscité un débat au Parlement et dans les médias de son pays, et une accusation franche de la part de l’extrême droite pour collaboration avec une puissance étrangère », se rappelle Ajbali.

Et d’ajouter : « Vous croyez que nous pouvons toujours nous amuser à contrarier des personnalités comme le maire marocain de Rotterdam qui a lancé un projet ambitieux de partenariat avec la ville de Casablanca sur l’eau. Et les exemples ne manquent pas. » Une réflexion qui jure avec cette forme d’appropriation qui caractérise notre perception du MRE.

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