Le vent de révolte souffle aussi dans les rangs des infirmiers. Ils manifestent désormais par milliers pour réclamer plus de reconnaissance. Le point sur leurs revendications et la force de ce nouveau mouvement.
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Infirmiers en colère », « baraka men lhogra », « tous pour que le prochain ministre de la Santé soit infirmier », « Intifada à l’hôpital Al-Farabi », etc. Depuis quelques semaines, les blouses blanches sortent des hôpitaux pour donner de la voix, et réclamer une mise à niveau générale de la profession d’infirmier.
Le jeudi 26 mai, près de 3 000 infirmiers ont tenu un sit-in de 24 heures devant le ministère de la Santé, sit-in réprimé par les forces de l’ordre. Cette mobilisation fait suite à un premier mouvement de grève, le 24 mars, auquel 2 000 blouses blanches avaient participé, et surtout à la grande marche sur la principale artère de Rabat, qui avait marqué l’opinion publique le 12 mai, journée internationale de l’infirmier.
Le mouvement va en s’amplifiant. « A partir du lundi 30 mai, nous allons nous cantonner aux seuls actes médicaux autorisés par l’actuelle loi qui est désuette », défie Mohamed Arif, membre du Comité national de la coordination des infirmiers, meneur de la fronde.
La grogne des infirmiers s’explique d’abord par la hogra dont ils se disent victime. D’abord au niveau de la reconnaissance du métier. Ce qu’ignore la plupart des gens, c’est que l’appellation d’infirmier cache en réalité une pléthore de métiers paramédicaux : infirmier anesthésiste, orthophoniste, sage-femme, assistante sociale, technicien de laboratoire, diététicien, etc. Tous ces métiers ne bénéficient pas d’un statut juridique clair, car datant… des années 1960 !
Pas de couverture
« Le professionnel des années 2000 n’a rien à voir avec celui des années 60. Aujourd’hui l’infirmier est formé et doit assurer des actes médicaux. L’actuelle loi ne nous autorise même pas à prendre la tension artérielle ni à faire des points de suture », s’exaspère Arif.
Khawla est sage-femme dans un dispensaire à Rhamna. Elle sort manifester pour des problèmes très concrets liés en premier lieu à l’inadéquation de son statut avec les actes médicaux qu’elle est amenée à réaliser. « Il y a un certain nombre de choses qu’il faut faire avec l’assistance d’un médecin.
Mais en réalité, vu que j’exerce dans le milieu rural, je me trouve obligée de prescrire parfois des médicaments, de prendre en charge des cas graves ou urgents car je ne peux pas en référer à l’hôpital qui n’arrive pas à assurer le service pour ses propres patients. Le résultat est que notre délégation ne nous couvre même pas », raconte-t-elle.
Les infirmiers, quelle que soit leur spécialisation, se trouvent en première ligne. C’est avec eux d’abord que traite le patient. Ils subissent toutes sortes de pressions, comme cette infirmière qui a porté plainte contre un homme l’ayant agressée physiquement parce qu’elle avait le malheur d’être sa seule interlocutrice.
Des risques et des primes
Malgré la nature délicate du métier, l’infirmier reste peu considéré, dénonce la coordination. Pour ces derniers, la deuxième étape après la refonte de la loi est la mise à niveau du salaire et des indemnités.
A commencer par les primes, et en priorité, la prime de risque. Les conclusions du dialogue social mené entre quatre centrales syndicales et le gouvernement ont débouché sur une augmentation des indemnités de… 250 dirhams !
Ce résultat de plusieurs rounds de négociations, jugé en deçà des attentes par la nouvelle coordination apolitique, explique sa montée au front. « Un infirmier court encore plus de risques que le médecin, car c’est lui qui reçoit en premier un tuberculeux par exemple.
Pourtant, il n’est payé que 1 000 dirhams en prime de risque alors que le médecin en reçoit 2 000. En France, la prime de l’infirmier est plus élevée que celle du médecin ! », explique Arif. La nouvelle grille prévoit 1 250 dirhams pour l’infirmier et… 3 000 pour le médecin. Inacceptable pour les infirmiers qui réclament la même somme pour un même danger.
Un ordre des infirmiers
Le salaire, qui s’élève en moyenne à 4 200 dirhams, pose également problème. La formation dispensée dans les Instituts de formation aux carrières de santé (IFCS)– au nombre de 21– et à l’Institut de formation des techniciens ambulanciers (IFTA) est de trois années.
Elle est sanctionnée par un diplôme qui donne accès à l’échelle 9 dans la hiérarchie administrative. Les infirmiers réclament le passage au système LMD (licence-master-doctorat) qui leur permettra de décrocher une licence professionnelle pour aspirer à l’échelle 10, et donc à un meilleur salaire.
« Même les pays arabes similaires au Maroc, comme le Liban, disposent de ce système, et ne parlons même pas des pays développés qui proposent le doctorat depuis longtemps », déplore Mohamed Arif.
A cela vient se greffer la concurrence des infirmiers formés depuis 1998 dans les multiples écoles privées qui ont poussé comme des champignons. « Ils reçoivent une formation moins complète en théorie et en pratique, mais il n’y a aucune manière de nous distinguer.
C’est pour cela que nous réclamons aussi un ordre des infirmiers pour sortir la profession du flou », nous explique ce membre de la coordination. Dans la même optique de clarification, les blouses blanches réclament la mise à jour du REC (référentiel des emplois et des compétences). Il s’agit d’une liste qui précise les spécialités et qui permettra, enfin, aux infirmiers de n’exercer que ce pour quoi ils ont été formés, afin de prévenir les erreurs médicales.
Dans la rue, le mouvement de protestation gagne de plus en plus d’ampleur. Les rangs grossissent et peut-être que cela concernera bientôt la totalité du personnel, qui représente quelque 27  786 infirmiers, toutes spécialités confondues !
Zakaria Choukrallah |