Le pique-nique de protestation contre le « centre de Témara » a tourné au drame. Les manifestants ont été violemment dispersés avant même leur arrivée sur les lieux. Récit d’une journée rocambolesque.
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Les photos d’Oussama Khlifi, cofondateur du 20-Février, font le buzz. On y voit « le Che de Salé » étendu sur le sol, le visage en sang, inconscient. Transporté à l’hôpital, il s’en sortira avec le nez cassé et une fracture.
Ce dimanche 15 mai, les forces de police ont violemment dispersé une manifestation organisée par les jeunes du 20-Février l’après-midi à Témara. Ils ont particulièrement ciblé les meneurs du mouvement, dont Oussama Khlifi et les salafistes, sauvagement frappés et pistés dans les ruelles de la ville. Des manifestations du 20-Février à Mohammédia et à Fès ont également été réprimées, augurant peut-être un tour de vis sécuritaire.
Un quasi état de siège
Tout commence dans la matinée, devant Aswak Salam de Hay Riad à Rabat. Le Mouvement du 20 février, les salafistes et les ONG s’y donnent rendez-vous pour se regrouper, avant d’avancer vers le centre de détention présumé de Témara, qui se trouve à quelques encablures dans la forêt. Les militants prévoyaient d’organiser un pique-nique de protestation pour réclamer la fermeture du centre.
Mais très tôt ce matin-là , l’avenue Mehdi Ben Barka est quasiment en état de siège. Tous les uniformes sont de sortie : forces auxiliaires (FA), forces anti-émeute équipées de gilets pare-balles et même les forces spéciales cagoulées et des « policiers » en civil armés de matraques.
Les voitures et les passants sont filtrés, fouillés et les manifestants potentiels tenus à l’écart. Tous les prétextes sont bons pour les éloigner. La voiture d’une famille d’islamistes est par exemple embarquée à la fourrière ; ses passagers et leurs bagages déplacés dans un taxi. La raison : permis expiré.
Des vingtfévrieristes qui arrivaient de Casablanca nous affirment que leur voiture a été suivie, qu’ils ont été arrêtés, puis frappés avant que leur véhicule ne soit réquisitionné. L’objectif est clair : empêcher coûte que coûte le rassemblement.
Journalistes tabassés
Vers 9h45, l’ordre est donné de disperser la foule. L’assaut est d’une rare violence. Un témoin rapporte une scène particulièrement choquante : « J’ai vu un policier soustraire à une femme en niqab le portrait de son fils détenu, donner un coup de pied à la fillette qui l’accompagnait et la rouer de coups à terre. » Achraf Taïeb Gouissane, membre du 20-Février, raconte comment lui et ses amis ont été accueillis : « En descendant du bus à Hay Riad, des policiers en civil nous ont encerclés. Ils étaient sept ou huit.
Ils on commencé par nous rouer de coups de matraque. Il m’ont frappé au visage puis ont commencé à me gifler. » A notre arrivée sur les lieux, les policiers en civil armés de matraques et les forces auxiliaires poursuivaient encore des jeunes.
Les journalistes n’y échapperont pas. Abdelmajid Bziouate, photoreporter du groupe Eco-Médias a reçu un coup à la nuque, le journaliste d’Al Ittihad Al Ichtiraki, Mokhtar Ziani, a été également frappé. Le journaliste d'actuel est poussé violemment à deux reprises, étant traité de « fils de pute » et de « pédé ».
Des jeunes fuient, poursuivis par la police, vers le siège du parti USFP qui se trouve aux environs. Certains militants, sous le coup de la colère, menacent de se jeter d’un toit à proximité, mais n’échappent pas pour autant aux coups.
« L'Etat protège la DGST »
Les manifestants ont du mal à se coordonner. En même temps qu'une conférence organisée pour dénoncer l'intervention, quelques dizaines de manifestants entament une marche vers le Parlement.
Cette fois, les slogans sont particulièrement virulents et vont jusqu’à des appels « à la chute du régime ». Les manifestants seront accueillis par une armée de FA stationnée devant le Parlement, qui les disperse. La ville de Rabat est sens dessus dessous.
La violence de la réaction policière qu'actuel a pu constater est niée par le gouvernement. Khalid Naciri, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, déclare le soir même que « les informations disponibles ne font pas état d'une agression systématique de la part des forces de l'ordre ». Pour ce dernier, l’Etat n’a fait que disperser une manifestation non autorisée.
Le samedi 14 mai, les autorités ont effectivement informé les associations et les figures de proue du 20-Février de cette interdiction. Mais pour les organisateurs, toutes les marches du 20-Février ont eu lieu sans autorisation préalable ; pourquoi celle-là dérangeait-elle tout particulièrement ?
« L’Etat protège la DGST (Direction générale de la surveillance du territoire), assène Tariq Mohamed, membre du 20-Février et de la jeunesse USFP, tout ce qu’on voulait faire, c’est un pique-nique symbolique dans les bois. Ce déploiement de force a juste réussi à montrer qu’ils cachent bien quelque chose. »
Une détermination intacte
Khalid Naciri a pour sa part assuré qu’il ne s'agissait pas d'un lieu de détention secret, mais d’« un siège administratif de la DGST ». Le ministre a assuré que l’endroit serait ouvert aux parlementaires, à la société civile et au CNDH.
Le procureur général près la cour d'appel de Rabat a visité les lieux et a démenti l'existence d'un lieu de détention. « Khalid Naciri ment quand il dit que c’est un simple siège administratif », rétorque Khalid Cherkaoui Semmouni, avocat et président du Centre marocain des droits de l’homme, une des ONG participantes. « Les témoignages des personnes torturées dans ce centre auraient déjà dû alerter l’appareil judiciaire. On n’est donc pas très confiants », explique Semmouni.
La réaction des salafistes ne s’est pas fait attendre. Le lundi 16 mai, les détenus de la prison Zaki de Salé se sont soulevés contre les violences subies par leurs proches (voir décryptage p.10). Quant aux jeunes du 20-Février, leur détermination est intacte. Ils ont appelé à de grandes marches ce dimanche 22 mai. En attendant de découvrir peut-être, un jour, ce qui se passe derrière les murs bien gardés du « centre de Témara »…
Zakaria Choukrallah |