L’emprisonnement de Rachid Niny a jeté un froid sur le climat des réformes engagées depuis le 20 février, provoquant un vaste mouvement de soutien. Le point sur une affaire où s’entremêlent presse, justice et... politique.
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Je suis fier de payer ma part dans le processus de changement démocratique au Maroc. Et tout cela, ce n’est que le début d’un long chemin. » C’est avec cette phrase pleine de défi que le journaliste Rachid Niny a affronté ses juges lors de sa première comparution lundi 2 mai.
Le directeur du premier groupe de presse en termes de ventes, Al Massae Média, fait face à des accusations particulièrement lourdes : « outrage à fonctionnaire », « mépris des décisions de justice » et « production de fausses preuves relatives à une infraction imaginaire » (articles 263, 264 et 266 du code pénal).
Ces accusations sont prises très au sérieux par le tribunal de première instance qui a même, le 3 mai, refusé au journaliste la possibilité d’être poursuivi en état de liberté. Rachid Niny se trouve, à l’écriture de ces lignes jeudi 5 mai, dans la prison Oukacha de Casablanca.
La défense du directeur d’Al Massae crie à l’acharnement et au procès politique. « C’est un procès d’opinion dans le Maroc d’après le discours du changement du 9 mars. Cette affaire confirme qu’on est véritablement une exception : nous n’avons plus entendu parler d’arrestation de journalistes depuis le printemps arabe », fulmine Youssef Jajili, rédacteur en chef d’un des magazines du groupe, Awal, et désigné porte-parole en l’absence de Niny.
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« Que pensez-vous du terrorisme ? »
Comment, de chroniqueur influent, à la tête d’un journal acheté quotidiennement par 113 400 lecteurs, Rachid Niny est-il passé derrière les barreaux, traité comme un vulgaire criminel ?
Tout a commencé le jeudi 21 avril, quand deux agents de la BNPJ (Brigade nationale de la police judiciaire) débarquent à 8h dans les locaux du quotidien. Rachid Niny n’est pas encore sur place, le « rendez-vous » est donc reporté au mardi suivant, cette fois-ci au siège de la BNPJ. L’interrogatoire de Niny va durer de 11h à 15h30. Le jeudi suivant, la BNPJ convoque une nouvelle fois le journaliste, qui sera retenu sur place avant d’être transféré en cellule de détention.
Dans la foulée, un communiqué diffusé par la MAP va révéler que Niny est interdit de sortie du territoire. Argument, il constitue « une menace » pour « la sécurité de la nation et des citoyens ». « Au début, les accusations relevaient de la loi antiterroriste, avant que nos sécuritaires n’optent pour le droit pénal, en prenant bien soin de diffuser leur communiqué avant même que l’enquête n’ait pris fin. C’est à se demander comment les responsables gèrent les crises et prennent des décisions », s’indigne Youssef Jajili.
Les questions des enquêteurs ont tourné autour des écrits du chroniqueur sur des personnalités publiques, dans neuf de ses fameuses chroniques « Chouf Tchouf ». Il s’agit principalement de Abdellatif Hammouchi, le patron de la DGST (Direction générale de la surveillance du territoire), de Mohamed Jelmad, commissaire jugé pour corruption et défendu par Niny, et d’Ilyas El Omari, lobbyiste patenté.
Les enquêteurs s’enquièrent même auprès du directeur d’Al Massae de son opinion sur le terrorisme et lui demandent de leur fournir ses sources d’information. Le journaliste refuse d’en parler, arguant du devoir de protection des sources. Une question s’impose : au-delà des considérations liées aux sources, Rachid Niny a-t-il les moyens de prouver la véracité des accusations qu’il porte dans les chroniques incriminées ?
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Elan de solidarité
« C’est à eux d’enquêter sur les affaires que nous avons dénoncées et si jamais ils découvrent vraiment que ce que l’on écrit est faux, alors qu’ils viennent nous emprisonner tous ! », lance Youssef Jajili, qui s’interroge : « Quand on a dénoncé Benallou en 2008 avant que la Cour des comptes ne l’épingle, pourquoi personne n’est venu nous accuser d’infraction imaginaire ? Au Maroc, nous avons une marge de manœuvre même par rapport à l’institution monarchique, mais visiblement il y a encore des noms qui sont intouchables. »
A l’extérieur des tribunaux, la pression monte pour réclamer la libération du journaliste. D’abord au sein de la société civile, à commencer par le Mouvement du 20 février qui a organisé plusieurs sit-in devant le tribunal de première instance de Aïn Sebaâ.
Le Syndicat national de la presse a également réclamé la libération de Niny, ainsi que l’ONG Reporters sans frontières qui considère que l’affaire va « totalement à l’encontre des promesses formulées par le roi Mohammed VI dans son discours du 9 mars 2011 ». Une affaire qui s’inscrit plutôt à contre-courant de l’actualité qui semblait voir progresser le débat sur la liberté d’expression et le statut de la presse.
Zakaria Choukrallah |