Mohamed El Gourch La légende
Câest le Lance Amstrong marocain, le Larbi Ben MâBareck du cyclisme. Un coureur de lĂ©gende. Aujourdâhui, cet octogĂ©naire nâa rien perdu de sa vivacitĂ© et dirige une petite entreprise de semi-remorques. Mohamed El Gourch nâest pas peu ïŹ er de montrer ses photos avec les trois rois, qui lui ont donnĂ©, chacun Ă leur tour, un Wissam. Câest mĂȘme le seul cycliste Ă avoir reçu une distinction royale. Son palmarĂšs nâa jamais Ă©tĂ© Ă©galĂ©. FlorilĂšge : trois fois premier au Tour du Maroc (1960, 1964 et 1965), huit fois champion du Maroc, second aux Jeux olympiques de 1960... « Il faisait mĂȘme des pointes Ă plus de 100 km/h, sur la sinueuse route du Tizi ntast » , se rappelle le journaliste Abdellatif ChraĂŻbi. Pourtant, rien ne prĂ©destinait ce « grand-pauvre » , comme il se dĂ©ïŹnit lui-mĂȘme, Ă une carriĂšre aussi impressionnante. Nous sommes au dĂ©but des annĂ©es 1950, Mohamed El Gourch, alors ĂągĂ© de 12 ans, travaille chez un rĂ©parateur cycliste. Les coureurs cyclistes venaient y rĂ©parer leurs vĂ©los. « Leurs tenues et leur ïŹĂšre allure mâimpressionnaient. je prenais une bicyclette Ă lâinsu du patron pour mâentraĂźner » , nous raconte-t-il.
En 1953, le jeune Mohamed dĂ©cide de sâoffrir un vĂ©lo ordinaire quâil customise lui-mĂȘme. Le jeune El Gourch voue dĂ©jĂ une admiration sans borne Ă la « petite reine » et ne cesse de sâamĂ©liorer. Une annĂ©e plus tard, il participe au Pedalo, une course de prospection. PremiĂšre participation et premiĂšre victoire ! El Gourch participe dans la foulĂ©e au circuit dâoutre-mer oĂč il se classe troisiĂšme... sur 180 coureurs. Rapidement, le jeune espoir passe en premiĂšre division et participe au premier Tour international du Maroc indĂ©pendant : le Tour dâĂgypte de 1957. IntrĂ©pide, le bouillonnant Casablancais refuse une entente avec les Ăgyptiens et dĂ©cide dâen dĂ©coudre, sans Ă©quipe, avec les meilleurs coureurs du monde. Ă lâarrivĂ©e, surprise : « Au classement gĂ©nĂ©ral jâĂ©tais deuxiĂšme avec un Ă©cart de 4 secondes. Jâai mĂȘme gardĂ© le maillot jaune 7 jours ! Gamal Abdel Nasser est venu me fĂ©liciter en personne.
Ă lâĂ©poque, les Ăgyptiens ne connaissaient mĂȘme pas le Maroc et nous appelaient les Marrakchis ! » , se rappelle-t-il avec nostalgie. De retour au bercail, il continue dâaccumuler les victoires. Devenu un symbole du Maroc indĂ©pendant, il dĂ©chaĂźne les passions. Des centaines de milliers de spectateurs assistent Ă ses prouesses. Ses passages sont encadrĂ©s par un important dispositif sĂ©curitaire. MalgrĂ© le succĂšs populaire, le champion dĂ©croche en 1970. « Je serai Ă©ternellement reconnaissant au public, mais jâen veux Ă lâĂtat qui ne sâest jamais rappelĂ© de moi. Et puis, je trouve honteux que la relĂšve nâait jamais Ă©tĂ© prĂ©parĂ©e. » En attendant, Mohamed El Gourch a inculquĂ© lâamour des braquets Ă son plus jeune ïŹ ls (dâune fratrie de dix enfants), AbdelnaĂŻm. « Et pour ceux qui veulent sâentraĂźner avec moi, âmarhbaâ, je fais chaque dimanche 200 kilomĂštres entre Casa et Benslimane ! » SacrĂ© El Gourch.
Mohamed Ghiat Lâoutsider dâantan
Il est lâun des rares survivants de la gĂ©nĂ©ration Mohamed El Gourch. Mohamed Ghiat a commencĂ© Ă faire du cyclisme en 1956, au lendemain de lâindĂ©pendance. Coureur trĂšs sĂ©duisant Ă lâĂ©poque, talentueux et qui tient tĂȘte aux plus grands, El Haj Ghiat, comme le surnomment aujourdâhui ses anciens camarades, nâa pourtant eu quâune courte carriĂšre. En cause : son manque dâesprit de compĂ©tition malgrĂ© ses grandes qualitĂ©s. Le vieil homme coule aujourdâhui une retraite paisible aprĂšs avoir ïŹ ni sa carriĂšre en tant quâarbitre national. MalgrĂ© son passage Ă©clair en professionnel, cet ancien champion du club CMC regrette cette Ă©poque oĂč les « coureurs Ă©taient comme des frĂšres ». « Pour moi, le cyclisme est mort en 1994, aprĂšs les changement survenus Ă la tĂȘte de la fĂ©dĂ©ration » , explique-t-il. Depuis tout ce temps, Mohamed Ghiat observe mais reste insatisfait des rĂ©sultats actuels de nos coureurs.
Mohamed AĂŻt Oufkir Le provincial
Avant dâentrer dans le panthĂ©on des lĂ©gendes nationales du cyclisme, Mohamed AĂŻt Oufkir Ă©tait un petit coureur cycliste de province. Son premier vĂ©lo, il lâa achetĂ© pour la modique somme de 145 dirhams et pour des raisons pratiques : se rendre de chez sa tante, avec laquelle il habitait Ă la campagne, jusquâĂ Marrakech, oĂč se trouve sa famille. « CâĂ©tait Ă©galement un objet ludique : je faisais des courses avec des coureurs amateurs de Moulay Brahim. Lâobjectif Ă©tait dâescalader la montagne pour manger un bon tagine. » Le jeune AĂŻt Oufkir est repĂ©rĂ© par un entraĂźneur qui lui conseille de se rendre Ă Casablanca. « LĂ -bas, jâai participĂ© Ă la sortie des clubs, sorte de Kaddam Adahabi de lâĂ©poque oĂč je me suis classĂ© quatriĂšme. Le club de lâAssociation sportive de Casablanca a signĂ© un contrat avec moi et jâai tout de suite commencĂ© Ă gagner. » TrĂšs rĂ©gulier, coureur Ă©lĂ©gant, fair-play et modeste, il se classe toujours parmi les cinq premiers. LâĂ©popĂ©e commence en 1980 oĂč le jeune AĂŻt Oufkir remporte 6 courses sur piste, puis le Tour de Tunisie de 1982 et enïŹn le championnat du Maroc devant Nejjari. Sans compter les multiples autres courses au Maroc et Ă lâĂ©tranger oĂč il se classe toujours parmi les premiers. Pourtant, un Ă©vĂ©nement dans sa carriĂšre participera Ă lâĂ©loigner des pistes : la fĂ©dĂ©ration pensait (Ă tort, une enquĂȘte le prouvera ensuite) quâil avait trichĂ© et voulait le dĂ©choir de son titre de champion du Maroc en 1982. Mohamed AĂŻt Oufkir, qui a hĂ©ritĂ© de lâintransigeance des gens de la province du Haouz, est blessĂ© dans son amour propre, il sâenvole pour les Ămirats en 1982 oĂč il entraĂźne lâĂ©quipe nationale locale. Ă son retour, il reprend son travail aux Eaux minĂ©rales dâOulmes oĂč il entraĂźne, jusquâĂ ce jour, lâĂ©quipe de lâentreprise.
Mustapha Afandi LâentraĂźneur
Cet ancien coureur de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration, celle de Nejjari, est rĂ©putĂ© pour nâavoir pas la langue dans sa poche. Une « grande gueule » qui en a longtemps voulu Ă la fĂ©dĂ©ration de cyclisme Ă cause de sa lĂ©thargie avant de se voir aujourdâhui propulsĂ© entraĂźneur de lâĂ©quipe nationale. Enregistrant dâexcellents rĂ©sultats, notamment en Afrique : lâĂ©quipe A est aujourdâhui en tĂȘte de sĂ©rie de lâAfrica Tour et lâĂ©quipe B est arrivĂ©e deuxiĂšme face aux Sud-Africains, les maĂźtres actuels des pistes. Le tour du Maroc a Ă©tĂ© relancĂ© depuis 5 ans et on compte enïŹn un vĂ©ritable champion marocain : Abdelati SaĂądoune, sacrĂ© meilleur sportif 2009. Mais lâentraĂźneur rebelle ne compte pas sâarrĂȘter en si bon chemin. Lâancien champion du Maroc, junior en 1976, cherche aujourdâhui le rĂ©sultat europĂ©en et vise les JO de 2012. Afandi rĂȘve dâun vĂ©ritable Tour du Maroc, en 12 Ă©tapes, comme le Tour de France⊠et comme naguĂšre celui organisĂ© au Maroc. Celui qui Ă©tait le meilleur coureur arabo-africain en 1985 se rappelle des annĂ©es 1980, oĂč le Maroc disposait de 20 coureurs, « tous capables de gagner » . Mais pour redorer le blason du cyclisme, il faut rĂ©habiliter lâancienne gĂ©nĂ©ration, selon ce coureur, un des rares Ă avoir dĂ©butĂ© sa carriĂšre trĂšs jeune Ă lâĂąge de 12 ans. « La relĂšve est lĂ et perçoit de bons salaires, mais pour construire, il faut se rappeler des anciens coureurs avant quâils ne meurent tous, explique lâentraĂźneur. Ce sport Ă beaucoup donnĂ©, bien plus que le foot, mais nâa jamais rien reçu » , regrette-t-il.
Houcine Wagas Le roi de la « vitesse »
« Regardez : jâai gravĂ© sur le plĂątre du plafond les anneaux olympiques » , montre Houcine Wagas, ancienne gloire des pistes du vĂ©lodrome pendant les annĂ©es 1970. Aujourdâhui, « lâHaj », possĂšde une droguerie rue Rahal El Meskini Ă Casa, Ă deux pas du cafĂ© oĂč se rĂ©unissent les anciens champions du vĂ©lo. MalgrĂ© ses 70 ans, il tient la forme et se rappelle avec nostalgie la pĂ©riode de 1967 Ă 1974 oĂč il dominait dans lâĂ©preuve de vitesse. Wagas roulait pour le club français du COC, mais se rendait chaque jour Ă son bureau de la municipalitĂ© pour travailler. Le sport ne nourrissait pas son homme, mais tous ces coureurs ne vivaient que pour leur passion. Chaque week-end, des courses Ă©taient organisĂ©es : des allers-retours « classiques » entre les villes de Rabat, Casa, El Jadida et KĂ©nitra, mais surtout des Ă©preuves de poursuite amĂ©ricaine sur les pistes, sa spĂ©cialitĂ©. « Ă lâĂ©poque, le public venait en famille au vĂ©lodrome. CâĂ©tait un vĂ©ritable spectacle car en plus du sport, les organisateurs tenaient le public en haleine avec des dĂ©monstrations Ă moto » , raconte lâancien champion Ă lâallure encore imposante. Si lâambiance Ă©tait bon enfant, lâesprit de compĂ©tition Ă©tait bien au rendez-vous. « Sur la piste, câĂ©tait chacun pour soi. On se bagarrait Ă coup de pompes Ă vĂ©lo ! » , se remĂ©more-t-il. Mais cela nâaffectait aucunement les rapports fraternels entre les coureurs. Houcine Wagas se rappelle ainsi du pĂ©riple devant mener lâĂ©quipe marocaine du Royaume jusquâen Libye⊠par la route ! « Nous Ă©tions Ă bord dâune fourgonnette Peugeot 403. Chemin faisant, on sâentraĂźnait, on mangeait le poulet prĂ©parĂ© par El Gourch et on dormait le soir dans les auberges. CâĂ©tait une autre Ă©poque. » |