Dans une totale impunité, des objets archéologiques en provenance du Maroc sont vendus sur le Net. Des fossiles marins de plus de 50 millions d’années se retrouvent en vente libre… Les archéologues marocains tirent la sonnette d’alarme.
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Généralement, les fossiles d’animaux préhistoriques et autres objets archéologiques trouvent leur place dans des musées et sont destinés à la recherche scientifique. Au Maroc, le patrimoine archéologique est pillé et commercialisé à l’étranger. Tout un chacun peut tenter l’expérience car rien n’est plus simple !
Un seul clic suffit pour acheter des dents de requin en provenance de Tata (Carcharodon megalodon daté de millions d’années avant Jésus-Christ). Ce patrimoine archéologique est effrontément vendu sur le Web à 174,50 euros seulement.
Pour les amoureux de la préhistoire, des fossiles de poissons Ichthyodectes trouvés à Oued-Zem, dont la datation a été estimée entre 45 et 55 millions d’années, sont cédés au prix déconcertant de 34,50 euros! Et pour seulement 19,50 euros, il est possible d’acquérir des dents de Mosasaurus ! Les objets archéologiques se vendent au poids comme de vulgaires marchandises.
Dispersion illégale
Inquiets à ce sujet, l’UNESCO, Interpol et le Conseil international des musées (ICOM) ont émis un catalogue de mesures pour lutter contre le phénomène de la dispersion illégale qui, selon eux, prend de plus en plus d’ampleur.
Notons que le Maroc est signataire de la convention de l’UNESCO dont le manuel juridique insiste sur le principe de prévention. « Reconnaissant que chaque Etat présente des spécificités en termes d’histoire et de législation nationale, notamment dans le domaine des biens culturels, l’UNESCO encourage l’ensemble de ses Etats membres à examiner leur législation nationale et à la réviser ou à la renforcer si nécessaire. [...]
Il convient de noter qu’une législation nationale peut porter sur des catégories de biens culturels plus ou moins vastes, avec des dispositions portant sur le patrimoine culturel dans son ensemble, d’autres sur les biens culturels meubles en général, ou bien d’autres encore couvrant des catégories plus restreintes telles que le patrimoine culturel subaquatique ou les objets issus de fouilles archéologiques. » Mais rien ne semble arrêter cette hémorragie.
Car il existe de nombreux points névralgiques. Une des plus importantes brèches qui permettent à ce commerce illicite de s’épanouir au Maroc est à chercher du côté de la douane. Selon Ech-chekri Dahmali, conservateur de musée, membre du bureau du Conseil international des musées africains et ex-secrétaire général de l’ICOM-Arabe, « les douaniers ne sont pas bien formés pour distinguer les vrais des faux. Il faut leur faire suivre des formations continues pour aider à minimiser les dégâts ».
Des pièces d’art d’une grande valeur
Le Maroc ne cesse de payer le prix fort en raison de cette déperdition qui semble bien organisée, associant plusieurs intervenants localement et à l’étranger. « Dans la plupart des livraisons artisanales se cachent des pièces d’art d’une grande valeur. Nous ne disposons pas de véritables moyens de contrôle.
Il est temps d’encourager la création de plus d’établissements spécialisés contrôlés (maisons d’art agréées, vente aux enchères...) qui essaieront de repérer tout objet d’art qui mérite d’être récupéré, et d’arrêter l’hémorragie due en grande partie au marché lucratif qui se cache derrière le travail quotidien dans les bazars », s’indigne le conservateur.
La liste des objets volés est longue et s’allonge de jour en jour. Tout le monde se rappelle la disparition de la statue de Bacchus à Volubilis en 1982, un chef-d’œuvre jamais retrouvé. Au Maroc, tout est pillé : des fossiles d’animaux préhistoriques aux gravures rupestres en passant par les objets d’architecture et d’artisanat anciens.
Et le 17 octobre 1996, l’ICOM a donné l’alerte suite à la mise en vente à Londres par Sotheby’s d’une porte de mosquée datant du XIXe siècle et d’un panneau du XIVe siècle ! Deux antiquités avaient donc disparu sans inquiéter grand monde, du moins jusqu’à l’heure de la vente.
Le Maroc a essayé de récupérer ces deux objets, propriétés du patrimoine national, mais n’y est parvenu qu’en payant le prix fort. « Informé, le Maroc a exigé le retour de ces objets. Sans résultat. Il a fallu négocier durant plus de quatre ans, pour enfin pouvoir récupérer les portes en question.
L’opération a coûté en tout et pour tout 120 000 dirhams, alors que la valeur réelle des deux portails ne dépasse pas le tiers de la somme. Les deux portes ont retrouvé les musées marocains, mais le prix payé était élevé, surtout lorsqu’on sait que le budget alloué à la Direction du patrimoine pour ce genre d’acquisitions est très maigre », précise Dahmali.
En 2002, une vente au sein de la prestigieuse maison de vente Christie’s a fait de grands remous dans les milieux d’art. Il s’agissait de trois frises marocaines datant de l’époque mérinide. Il a fallu les racheter, cette fois-ci pour 15 000 livres sterling, soit 193 733,30 dirhams !
Importante demande des touristes Ă©trangers
En 2007, un espoir se fait jour, grâce à une malheureuse histoire de trafic illicite. Il s’agissait de la vente de tablettes à écriture cunéiforme irakienne qui figuraient sur la liste rouge des antiquités en péril, établie par l’ICOM.
Ce patrimoine culturel s’est retrouvé en vente libre sur le Net. Heureusement, la transaction a été stoppée grâce à Interpol. Cela signifie que les moyens juridiques qui permettent d’intervenir existent.
Pourtant, le phénomène s’amplifie. Des fouilles sont réalisées régulièrement par de petits vendeurs, essentiellement dans le sud du pays. Des fouilles « encouragées par une grande demande provenant surtout des touristes étrangers », précise le conservateur. Des mesures protectrices existent, comme la loi n°22-80 et celle de la convention de l’UNESCO, mais rien n’arrête les pilleurs.
« Les lois existent mais l’application pose problème car il y a plusieurs intervenants. A mon avis, il faut miser sur les citoyens marocains avec des campagnes de sensibilisation surtout dans les régions concernées par ce fléau », conclut le conservateur des musées.
En attendant, le commerce illicite en ligne semble malheureusement avoir encore de belles heures devant lui !
Amira GĂ©hanne Khalfallah
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