La famille et le collectif de soutien à Chakib El Khiyari attendent patiemment que le vent démocratique libère le militant anti-drogue. Une issue favorable se profile.
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De tous les « détenus politiques », le cas du militant rifain Chakib El Khiyari est devenu emblématique. Le Mouvement du 20 février – surtout les coordinations du nord du pays – en fait un symbole.
Selon eux, il s’agit d’un détenu d’opinion incarcéré du fait de ses prises de position contre les barons de la drogue. Ces dernières semaines, une rumeur sur sa libération imminente a même circulé.
Au final, il s’agissait d’une « autorisation exceptionnelle » permettant au militant de venir temporairement au chevet de son père, hospitalisé à l’hôpital de Nador. Depuis, l’ancien président de l’Association Rif des droits de l’homme (ARDH) a été transféré de la prison de Meknès à celle de Nador, dans le cadre du rapprochement familial.
S’agit-il de signaux précédant sa libération ? L’espoir est permis, même si de l’aveu de son avocat, Me Mohamed Khattab, « les perspectives d’une éventuelle libération ne sont pas encore claires ». Pourtant, de source proche du dossier, on assure que le nom de Chakib El Khiyari figure dans une liste de « détenus politiques » qui seront libérés sous peu.
Autre signe favorable : le fait qu’une des premières décisions de Mohamed Sebbar, fraîchement nommé par le roi secrétaire général du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), ait été d’appuyer la requête d’autorisation provisoire déposée par la défense.
Mais pourquoi un militant associatif s’est-il retrouvé derrière les barreaux comme un vulgaire criminel ? Tout a commencé le 11 janvier 2008. L’agence de presse officielle diffuse une courte dépêche où elle annonce l’arrestation de M.L., désigné comme un « gros poisson » du trafic de cannabis dans la région Nord.
Les arrestations, y compris celles d’officiels et de militaires, se succèderont, alimentant la chronique. Le président de l’ARDH déclare alors à la presse que « M.L. n’est qu’un intermédiaire » et dénonce le fait que ces arrestations n’aient pas éclaboussé des officiels de Nador qui tremperaient également dans ce trafic.
En réaction à ces déclarations, le ministère de l’Intérieur émet un communiqué où il accuse l’activiste de « dénigrer les efforts de l’Etat ». C’est alors que la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) se saisit de l’affaire et interroge le militant.
Le 21 février, Chakib El Khiyari est mis sous mandat de dépôt et attend son jugement. Deux accusations seront retenues contre lui : « atteinte aux corps constitués » (articles 263 et 265 du code pénal, passible d’un mois à une année de prison) et « infraction au code des changes et dépôt de fonds dans une banque étrangère sans l’autorisation de l’Office des changes » (Dahirs de 1949 et de 1959, un délit passible d’une peine maximale de 5 ans de réclusion).
Pour cette dernière accusation, les autorités reprochent au militant l’ouverture d’un compte à Melilia doté de la somme de… 229 euros ! En plus du caractère dérisoire de la somme, ouvrir un compte dans le préside est une pratique courante dans le Nord, où le seul passeport sert de justificatif.
Malgré la mobilisation qui s’est rapidement mise en place, la justice a la main lourde et cumule les accusations. Résultat : le militant est condamné le 24 juin 2009 à 3 ans de prison ferme et à 753 930 dirhams d’amende.
La mobilisation continue
« Qu’est-ce que Chakib El Khiyari a fait contre ce pays pour mériter pareil traitement ? », s’emporte Me Khattab. « Il n’a pas menti, ses propos sur le trafic de drogue ont été repris ensuite par le parti PAM, puis par le député socialiste Abdelhadi Khairate qui a même dit que le tiers du Parlement était composé de trafiquants sans jamais être inquiété », poursuit l’avocat.
Pour les défenseurs de Chakib El Khiyari, c’est l’activisme anti-drogue de ce dernier qui a fini par lui coûter sa liberté. Ce qui est certain, c’est que ce Rifain s’est fait beaucoup d’ennemis en dénonçant haut et fort le commerce de haschich et en accompagnant les journalistes marocains et étrangers comme fixer (accompagnateur) pour mettre à nu les réseaux. Sa lutte va même aboutir en 2007 à la fermeture de la lagune de « Mar Chica », plaque tournante du transport et de la distribution de haschich.
Il Ă©tait soutien de famille
Si, à l’écriture de ces lignes, rien ne dit que le militant va être libéré, la mobilisation en sa faveur, elle, ne faiblit pas. « Nous continuons de recevoir chaque jour entre 150 et 200 messages de soutien dans le cadre de la campagne menée par l’ONG Amnesty international », raconte le frère du militant, Amine El Khiyari.
Chakib El Khiyari est issu d’une famille rifaine désargentée. Ses parents, aujourd’hui à la retraite, étaient de modestes fonctionnaires. Avant son incarcération, il était soutien de famille et s’occupait de son père alité. C’est aujourd’hui son frère, Amine, qui a dû quitter son travail pour prendre le relais.
En prison, le moral du militant est intact. « Chakib est quelqu’un de discipliné, qui respecte le règlement de la prison et qui est apprécié par tout le monde. De leur côté, les autorités pénitentiaires se comportent correctement avec la famille. Il est convaincu de son innocence et ne se soucie actuellement que de la santé de notre père, gravement malade », explique Amine.
A dix mois de la fin de sa période de détention, Chakib El Khiyari n’abdique pas, refusant même le pourvoi en cassation estimant « ne plus avoir confiance en la justice ». Le vent du changement va-t-il lui donner tort et permettre sa libération ? Les prochains jours le diront.
Zakaria Choukrallah |