La mise sous haute surveillance par la France d’une liste de 77 médicaments a fini par être suivie au Maroc. Un système de contrôle est déjà en place. Mais que vaut-il vraiment ? Réponses.
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Dans les milieux pharmaceutiques en France, on ne parle désormais que de cela : la liste des 77 médicaments mis sous haute surveillance par l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé).
Qu’en est-il au Maroc ? Officiellement, aucun de ces médicaments n’a fait l’objet de retrait ou suspension. « Et nous n’avons encore reçu aucune notification dans ce sens », assure Kamal Belhaj, président de la Fédération des syndicats de pharmaciens du Maroc (FSPM).
Exception faite d’une liste de médicaments antidouleur contenant du dextropropoxyphène (Di-Antalvic, Propofan, Bi-Algan, Bisedal, Paradex, Xalgix, Dextramol, Di-Algik) retirés du marché depuis le 31 janvier, pour risque de toxicité cardiaque, alors qu’ils ne seront retirés en France que le 1er mars.
Pour les autres médicaments, la prudence reste de mise. Contactée par actuel, la directrice du Centre national de pharmacovigilance, Rajaa Benkirane, assure que l’on fait preuve au Maroc de la même rigueur qu’en France.
« La position du Centre est de suivre les procédures de fonctionnement du système de pharmacovigilance conformément aux bonnes pratiques basées sur l’analyse de l’information par le comité technique de pharmacovigilance et le suivi des données nationales.
Si cela s’avère nécessaire, la commission nationale de pharmacovigilance est saisie pour discuter de la mesure à proposer à la ministre de la Santé », nous affirme-t-elle. Pharmaciens comme opérateurs du secteur pharmaceutique se veulent, quant à eux, rassurants.
Ils invoquent la grande rigueur du processus marocain de contrôle des médicaments. « Notre système est bien rôdé et il n’y a pas lieu de s’affoler. Si ces médicaments présentent le moindre risque, nous serons alertés et nous agirons en conséquence », affirme Anouar Fennich, pharmacien et ancien président de la FSPM.
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Un système à l’européenne…
Le pays s’est en effet doté depuis 1969 d’un laboratoire national de contrôle des médicaments et dispose, selon Ali Sedrati, membre de l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique, de tous les moyens matériels et humains nécessaires à son fonctionnement optimal.
Et ce sont en l’occurrence les normes européennes qui sont appliquées. Les autorisations de mise en circulation d’un médicament obéissent à des règles strictes, selon Sedrati.
« Il y a d’abord les études et les expérimentations cliniques que mène le département de tutelle avant d’autoriser un médicament donné. Ces expertises concrètes durent en moyenne dix-huit mois », nous explique-t-il. S’ensuit une phase de contrôle qu’assure le Centre national de pharmacovigilance.
Toute information sur un effet indésirable ou un risque est analysée en commission. S’il y a lieu, une alerte est adressée au ministère de la Santé pour diffusion auprès des professionnels. à cela s’ajoute le suivi imposé aux laboratoires pharmaceutiques.
« Toute société pharmaceutique est totalement responsable des médicaments qu’elle met sur le marché, et même sur le plan pénal. Elles sont ainsi tenues de suivre de très près l’évolution que connaît chaque médicament produit. »
Cela suppose qu’au moindre risque, les laboratoires pharmaceutiques doivent se mettre en relation avec l’administration et que toute information sur un médicament doit être répercutée.
C’est pour cette raison que chaque laboratoire est obligatoirement doté d’un centre de contrôle, et chaque lot fabriqué est mis sous haute surveillance. « D’où les ajouts réguliers de contre-indications dans les prospectus de certains médicaments.
D’où aussi les retraits dont certains médicaments font l’objet. Mais une chose est sûre : il n’y a pratiquement aucun médicament sans contrepartie de risque. » Cependant, tout cela n’a pas empêché le scandale du Médiator. En cause, des pratiques qui sont loin d’être rares (rétention d’information ou informations erronées…).
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… Mais des carences à la marocaine
Peut-on pour autant s’endormir sur nos lauriers ? Non, nous affirme Farid Hakkou, enseignant universitaire en pharmacovigilance et président du comité d’éthique à la faculté de médecine de Casablanca, entre autres.
Et de pointer du doigt l’absence de loi réglementant la pharmacovigilance au Maroc. Le département de tutelle est qualifié de juge et partie, « dans la mesure où il fait office à la fois d’expert, puisque c’est de lui que dépend le centre de pharmacovigilance, et d’instance de décision ».
Alors qu’en France, les centres de pharmacovigilance (une trentaine) se situent dans les services hospitaliers, et pas au fond des couloirs du ministère. « Ces décisions se contentent d’ailleurs de s’aligner sur la France et ne reposent pratiquement jamais sur des expériences spécifiques au Maroc et menées par des Marocains.
Et les notes que nous adressons au ministère restent, le plus souvent, lettre morte. »
Autre dysfonctionnement de taille. Le peu de réactivité des professionnels de la santé qui ne s’empressent pas de signaler les effets indésirables d’un médicament donné. Et là encore, aucune loi ne les oblige à le faire.
Tarik Qattab
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