Après la violente répression de leur marche dimanche 13 mars, les « vingtfévrieristes » resserrent les rangs et amplifient le mot d’ordre de la mobilisation. Manifestants et observateurs ont les yeux rivés sur le 20 mars.
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Dimanche 13 mars, peu avant midi, avenue Mohammed V à Casablanca. Les autorités quadrillent la zone empêchant les passants d’y accéder. Une heure plus tôt, la police a fait usage de la force pour disperser des centaines de militants du « 20 février », dont beaucoup de « adlistes ».
« Nous avons remarqué un déploiement en force de la police peu avant la manifestation », remarque Ali qui nous montre sa blessure à la jambe. « Dès le début du sit-in, et sans crier gare, ils ont commencé à nous tabasser. » Selon des témoignages concordants, la police a fait preuve d’une « violence excessive ».
Un journaliste, Salaheddine Lamaïzi, qui prenait des photos au moment de l’intervention rapporte qu’il a été menotté, frappé et embarqué dans une estafette. « On va te montrer c’est quoi être journaliste ya fils de p..., la liberté de la presse et la loi tu peux te la mettre au ... », écrit-il dans un témoignage.
Il n’est pas le seul. D’autres journalistes sont pris à partie et des dizaines de blessés sont transportés à l’hôpital. La police procède à quelque 120 arrestations, selon des sources sur place.
Une heure plus tard, les « vingtfévrieristes » se donnent rendez-vous devant le siège du PSU (Parti socialiste unifié) pour réclamer « la libération immédiate des détenus » de la matinée. Entre 400 à 500 personnes donnaient de la voix.
Poches de résistance
Les manifestants seront rejoints peu de temps après par le militant Bensaïd Aït Idder, figure de proue de l’armée de libération nationale. « Je reste avec vous jusqu’à la libération des personnes arrêtées et je continue le combat pour l’établissement d’une monarchie parlementaire », scande-t-il aux manifestants.
Peu de temps après, la police intervient. L’assaut est violent. En plus des nombreuses personnes transportées à l’hôpital, Rihab, âgée de 13 ans, habitant le quartier, et qui est sortie acheter du pain, y laisse une dent. Une femme enceinte est également frappée.
Les forces d’intervention tentent d’accéder au siège du parti à deux reprises, mais y renoncent en raison de la chaîne humaine mise en place par les protestataires. Poursuivis dans les ruelles par la police, certains, dont la jeune Rihab, se réfugient chez les riverains.
Le siège du parti est sens dessus dessous et les militants visiblement très remontés. Les premières informations qui arrivent de l’hôpital sont inquiétantes. « Nous avons compté une dizaine de blessés », lance Nizar Bennamate, un activiste du 20 février.
A l’hôpital, le refus de certains médecins de donner la priorité à des policiers, qui prétendaient avoir également été blessés lors des confrontations, a attiré l’attention et forcé l’admiration de plus d’un.
Mais au-delà de l’intervention musclée de nos forces de sécurité, le choix du moment, quelques jours seulement après le discours royal sur la réforme de la Constitution, pose plus d’une question.
« Il y a deux possibilités : soit il s’agit de poches de résistance au sein de l’appareil sécuritaire qui refusent le changement ou alors nous sommes encore face à de belles promesses sans rapport avec la réalité », avance Najib Chaouki, membre du mouvement. Les militants comptent saisir le CNDH et engager des poursuites en justice contre le Wali de Casablanca.
« Une réforme a besoin d’un climat serein »
Pour les services de police, la faute incombe aux manifestants. « Les personnes concernées sont venues avec des instructions portant sur l’organisation d’une marche et la provocation des services de sécurité », déclare à la télévision Moustapha Mouzouni, préfet de police de Casablanca. On murmure aussi en off que la présence en force d’Al Adl a dérangé.
Pour le politologue et spécialiste des mouvements islamistes, Mohamed Darif, ce dernier argument ne tient pas. « Al Adl a participé depuis le début et il n’y a pas eu de inzal (débarquement en force, ndlr) des militants du mouvement islamiste ce dimanche. En réalité, l’état ne souhaite pas que l’exception de tolérer un sit-in devienne la règle », analyse-t-il.
« L’état veut faire d’Al Adl un cheval de Troie comme ce fut le cas pour l’UNEM (syndicat étudiant). Le Mouvement du 20 février regroupe différentes tendances politiques réunies autours de revendications claires », rétorque Amine, un «vingtfévrieriste».
Pour le secrétaire général du PSU, Mohamed Moujahid, quelles que soient les raisons de l’intervention de la police, « une réforme profonde a besoin d’un climat serein et ce n’est pas en avortant le droit de manifestation et en muselant la liberté d’expression que l’on va y arriver ».
Au final, une certitude demeure : en fin de journée et après avoir compté les blessés, les « vingtfévrieristes » semblent plus déterminés que jamais à re-manifester le 20 mars. « Notre volonté est intacte », résume Oussama Khlifi un des fondateurs du mouvement.
Pour cela, les jeunes du mouvement ont mis en place des comités de quartier, organisé des campagnes de distribution de tracts appelant à la mobilisation et enregistré une vidéo appelant au « civisme » des citoyens.
Un moyen d’insister sur le caractère pacifiste des manifestations, mais aussi pour parer à toute intervention sécuritaire sous prétexte de débordements.
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Ce que réclament (encore) les manifestants
Libération des détenus politiques
Chakib El Khiyari, certains détenus du 16 mai, les politiques de la cellule Belliraj… Pour les « vingtfévrieristes », la libération de Kaddour Terhzaz ne suffit pas ; il faut libérer tous les « détenus politiques » ainsi que les militants du 20 février arrêtés dans le sillage des protestations.
Le politologue Mohamed Darif estime que des mesures d’accompagnement sont nécessaires pour rassurer : « Il faut rouvrir certains dossiers car il est vrai que dans certaines affaires, les conditions d’un procès équitable n’étaient pas réunies.
En plus de cela, il faudrait engager des poursuites à la lumière des rapports de la Cour des comptes. »
Une assemblée constituante
Le Mouvement du 20 février réclame non pas une commission royale, mais une assemblée constituante. « On ne veut pas la révision de la Constitution, mais son changement », explique Oussama Khlifi.
Mohamed Darif nuance : « Même avec une assemblée constituante issue du Parlement, on risque de se retrouver avec des représentants aussi peu crédibles que les notables. »
Pour Mohamed Moujahid du PSU, l’idéal serait une instance nationale où toutes les forces vives du pays ont le droit, non seulement de donner leurs avis, mais d’intervenir effectivement dans les décisions à venir.
« Au sein de la commission ad hoc, un seul avis, celui des technocrates nommés par le roi, est représenté et très peu de voix sont pour une monarchie parlementaire. » Le débat est relancé.
Une monarchie parlementaire
Les voix s’élèvent pour réclamer une référence explicite à la monarchie parlementaire, une des revendications principales du 20 février. « Le roi a parlé d’un pouvoir exécutif, et non pas de la totalité du pouvoir exécutif aux mains du Premier ministre », s’inquiète le militant gauchiste Mohamed Laouini.
« Une monarchie parlementaire signifie que le roi règne mais ne gouverne pas, que les garanties d’une séparation entre le pouvoir politique et économique sont posées, que le Conseil des ministres est présidé par le Premier ministre… », indique Khlifi.
Autre cheval de bataille des militants, l’article 19 de la Constitution qui octroie de très larges prérogatives au monarque et dont ils réclament l’abolition pure et simple.
La réforme des médias publics
Le 13 mars, les « vingfévrieristes » ont réservé un mauvais accueil au journaliste de 2M, qu’ils bousculent à la sortie du PSU. « Vous travestissez les faits, vous devriez avoir honte », crie Aboubakr, un militant. Cet incident est révélateur d’une revendication revenue avec insistance au lendemain du 20 février : la réforme des médias publics.
Une cause que défend également le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM). « Nous le réclamons depuis les années 1990 mais ça n’a été satisfait qu’en partie, avec l’amélioration des conditions financières des journalistes. Le volet politique n’a pas été touché », nous explique Younès Moujahid, secrétaire général du SNPM.
Et la liste est encore longue…
La liste des revendications est encore longue : l’Amazigh en tant que langue officielle ; le départ des figures de proue du Makhzen ; la dissolution du Parlement et le renvoi du gouvernement ; la lutte contre la cherté de la vie et la corruption, l’emploi des diplômés chômeurs.
Zakaria Choukrallah |