Malika, une femme de 50 ans, mère de cinq enfants, monte dans l’autocar stationné à la gare routière d’Ouled Ziane à Casablanca en partance pour El Jadida. Elle porte un grand sac de voyage et un encombrant matelas neuf emballé dans un papier-cadeau. Une jeune femme l’aide à placer son sac et son matelas dans le porte-bagages et l’invite à s’assoir à côté d’elle. Malika remercie, enchaînant les bénédictions, et s’assied près d’elle.

La jeune femme serviable dit se prénommer Najat. Elle est volubile et ne manque pas de charme avec son agréable accent soussi. Elle dit se rendre à El Jadida pour revoir une amie à qui elle doit une dette. Vêtue d’une élégante djellaba, et la tête couverte d’un châle de laine noir, son avant-bras est chargé de plusieurs bracelets dorés qui scintillent.

Malika arbore elle aussi sa plus belle djellaba et des bijoux en or 14 carats : deux bagues, trois bracelets et une chaînette avec un pendentif. Car elle s’apprête à assister au banquet de mariage de sa nièce à Sidi Bennour, explique-t-elle à sa voisine. Elle est accompagnée de quatre autres femmes de la famille qui ont trouvé place à l’arrière de l’autocar.

Au cours du trajet, Najat  sort une petite bouteille contenant du jus de fruit au lait, en boit quelques gorgées et, conformément aux règles de bienséance, la tend à Malika. Celle-ci refuse mais l’autre insiste tant et si bien qu’elle finit par accepter. Elle écarte vite les soupçons qui l’effleurent concernant la boisson, puisque l’étrangère n’en aurait pas bu s’il y avait « quelque chose de mauvais là-dedans Â». Elle avale donc le dernier tiers qui reste au fond de la bouteille et… ne se réveillera que le lendemain, sur un lit d’hôpital.

La bienséance de partager du jus

Car elle est bientôt gagnée par un sommeil envahissant. Sa voisine Najat enlève son châle noir et lui couvre le visage, cachant du coup l’espace entre leur siège et, subrepticement, elle lui ôte ses bracelets, ses bagues et sa chaînette.

L’autocar arrive à Sidi Bennour, où il fait une escale de mi-parcours. Najat descend, laissant Malika endormie. Les parentes de Malika veulent descendre aussi pour se soulager. Elles passent, la voient endormie et tentent de la réveiller. En vain.

Elles voient qu’elle n’a plus ses bijoux en or, comprennent vite la situation et descendent  Ã  la poursuite de l’étrangère jusque-là assise à ses côtés. Ils la voient qui marche en titubant non loin de là, et avisent un policier de la circulation qui l’arrête et, après avoir demandé en urgence une ambulance pour Malika, emmène Najat au poste.

Une femme, inspecteur de police, effectue la fouille. Najat, détendue et souriante, semble… droguée. L’inspecteur trouve sur elle les bijoux dérobés à Malika, mais aussi trois plaquettes de comprimés psychotropes, Rivoltril. Il manque trois pilules qui on été diluées dans le jus servi à Malika.

Quand, quelques heures plus tard, elle dessoule et émerge de son état, elle ne fait aucune difficulté pour tout avouer et raconter son histoire, depuis ses débuts.

Financer ses addictions

Mère de deux enfants, Najat s’adonne, depuis son divorce il y a deux ans, à l’alcool et aux comprimés psychotropes, question d’oublier. Ses lubies coûteuses et sa charge familiale la contraignent à monter à Casablanca pour se prostituer. Mais ce n’est pas assez lucratif, et elle décide de droguer ses conquêtes masculines pour leur soutirer tout leur argent au lieu de se contenter d’un billet bleu, prix modique de la passe.

Elle leur administre des comprimés psychotropes dilués dans leur boisson. Quand ils se réveillent, déplumés, ils n’osent pas porter plainte par souci de discrétion. Elle est donc tranquille. Mais quand elle ose droguer sa bailleuse qui lui loue une chambrette dans le quartier Bernoussi, et qu’elle file avec son argent et ses bijoux, celle-ci la dénonce et elle est arrêtée. Elle est détenue durant un an au centre pénitentiaire de Oukacha à Casablanca et ensuite à Aït Melloul, près de chez elle.

A sa sortie de prison, elle récidive. Elle retourne à Casablanca et se fait héberger par un amant, dealer de comprimés psychotropes, de cigarettes de contrebande et de tabac à priser. Et elle se lance à l’assaut des voyageuses dans les autocars. Elles sont nombreuses au point qu’elle n’arrive plus à les dénombrer.

Elle se souvient d’une vingtaine de larcins au butin conséquent. Elle affectionne les autocars en partance vers le Nord, Nador ou Tétouan, car ils regorgent de  contrebandières qui voyagent avec des espèces. Et aussi les autocars d’El Jadida. Elle peut voler dans la journée une femme à l’aller, et une autre au retour, sans avoir à passer la nuit à El Jadida.

Elle raconte que, comme pour Malika, elle s’arrange pour se placer à côté de sa victime, choisie pour son allure opulente. Après avoir gagné sa confiance,  elle l’invite à partager son jus où elle a préalablement dilué trois comprimés de Rivotril. Comme elle est accro, ces comprimés n’agissent pas autant sur elle que sur ses victimes.

Mais, elle confie que certaines femmes, dépressives et habituées aux anxiolytiques, ne dorment pas dans l’autocar même quand elles ont ingurgité son jus altéré. Elle a donc appris à reconnaître et à éviter les névrosés. Et puis, il y en a d’autres qui succombent gravement, comme cette femme âgée qui a connu dix jours de coma à El Jadida. Une fois convoquée, elle a reconnu Najat lors de la confrontation.

Si un étranger te donne quelque chose

Questionnée sur l’origine des bracelets dorés qu’elle porte au poignet, Khadija déclare que, malgré les apparences, ils ne sont que plaqués or. Ils l’avaient fait elle-même saliver avant de les dérober à une femme dans un autocar en partance pour Oujda. Son forfait accompli, elle espérait gagner un maximum, mais elle a déchanté quand le joaillier à qui elle les a proposés lui a appris qu’il ne s’agissait que de bijoux en toc. Elle les a gardés pour faire chic.

L’amant qui lui fournissait les comprimés psychotropes ainsi que ses receleurs sont arrêtés. Trois à El Jadida et trois autres à Casablanca : bijoutiers aveuglés par le lucre qui ont accepté de racheter ses bijoux même sans récépissés.

« N’acceptez jamais d’offrandes à manger des mains des étrangers. Â» Sage conseil des anciens à leurs enfants, et qui le demeure à tout âge.