« Objectif : les demi-finales du Mondial »
Eric Gerets, le sélectionneur national, voit grand et tient à le faire savoir. Dans cette interview exclusive, il revient sur les conditions de son arrivée au Maroc, ses principaux chantiers et sa stratégie à venir. Il se dit homme de communication avec ses joueurs, mais au jeu des questions-réponses auquel il se livre en primeur avec actuel, le nouveau sélectionneur de l’équipe nationale se montre peu loquace. Avec un discours franc et mesuré, Eric Gerets en dit cependant assez pour nous convaincre de sa bonne volonté, affichant de grandes ambitions pour « son » équipe : une coupe d’Afrique et une place au top 4 de Rio 2014. Rien que cela. L’homme s’en donne les moyens, en allant à la conquête des jeunes talents évoluant en Europe et, à moindre échelle, au Maroc. Il s’en donne aussi le temps. Loin de toute précipitation, il dit préférer procéder par étapes et, surtout, apprendre à bien connaître ses joueurs.
Vous êtes officiellement à la tête de la sélection nationale depuis le 25 octobre. Trois semaines plus tard, quel est votre sentiment ?
ERIC GERETS. Mes premiers contacts avec les dirigeants de la fédération ont été positifs. Durant les quelques semaines qui se sont écoulées, j’ai regardé énormément de matchs, à l’extérieur, mais aussi et surtout devant la télévision. J’ai ainsi vu tous les derniers matchs d’Anderlecht, de Liège, de Lens et de Montpellier, parmi d’autres rencontres de championnats européens où évoluent des talents marocains. Être l’entraîneur d’une sélection nationale a changé ma vie. C’est le plus grand défi que j’ai eu à relever pendant toute ma carrière. Je prends le temps de m’habituer à mes nouvelles fonctions. Et je sais qu’il y a moyen de faire de l’excellent travail.
Vous avez également pu visionner les deux derniers matchs qu’a joués l’équipe nationale. Quelles sont vos premières conclusions ?
Ces deux premières rencontres m’ont permis de relever, bien que sommairement, les principales forces et faiblesses de la sélection. Je n’irais pas jusqu’à dire que le jeu que nous avons proposé était extraordinaire, mais je constate que la volonté de bien faire est réelle. Ce qui me donne confiance, c’est qu’entre le premier et le deuxième match, les joueurs ont appris à réfléchir et à travailler ensemble, à se sentir, au lieu de jouer chacun pour soi. Qu’est-ce que le but du dernier match contre la Tanzanie si ce n’est le fruit d’une grande complicité entre Marouane Chamakh et Mounir El Hamdaoui ?
Le plus dur reste cependant à venir. Ce sera notamment le cas contre l’Algérie en mars prochain. Connaissez-vous cette équipe ?
Je ne connais pas du tout le football algérien, mais je vais m’y connaître sous peu certainement mieux que vous (rires). Mars, c’est encore loin. Je préfère procéder par étapes, en apprenant d’abord à connaître mes internationaux et le caractère de mes joueurs. Nous travaillons également sur la mise en place d’un agenda des matchs amicaux en perspective. En attendant, je compte passer le plus de temps possible avec les équipes nationales et assister au plus grand nombre de matchs, au Maroc et en Europe.
Deux matchs amicaux sont déjà au programme, contre l’Irlande ce mercredi et la Lybie en février. Quelles sont vos attentes et pourquoi avoir choisi de tels pays ?
Je dois avouer que le match amical contre l’Irlande du Nord vient un peu tôt pour moi. L’objectif est de confronter mes joueurs à une équipe solide du point de vue physique, en sachant que le Maroc a un jeu plus technique. L’idée est de savoir dans quelle mesure nos constructions sont efficaces puisque c’est cela notre principale force et nous avons les joueurs pour cela. Le choix de la Lybie se justifie par notre volonté de jouer contre une équipe ayant un style de jeu africain. Je consens que ce n’est pas la meilleure équipe africaine qui soit. Mais cette supposée facilité que nous aurons nous permettra plus de visibilité quant à nos choix tactiques et de sélection. Ce sera d’ailleurs l’occasion d’intégrer de nouveaux joueurs.
Il faudra cependant compter sans Mbarek Boussoufa, blessé lors d’un récent match en Champions League…
Il est malheureusement certain que Boussoufa ne pourra pas jouer. C’est d’autant plus regrettable que, pour moi, c’est un élément fondamental de la sélection nationale.
Avec Boussoufa, quelles seront les valeurs sûres de l’équipe nationale sous votre direction ?
Je n’avancerai pas de noms mais je sais que je peux compter sur cinq éléments déjà sélectionnés. Je continue de suivre certains joueurs qui hésitent encore entre jouer pour leur pays d’origine ou de résidence.
Qu’en est-il des joueurs évoluant en championnat national ?
Ce sera ma prochaine étape puisque j’ai l’intention d’assister au plus grand nombre de matchs du championnat afin de me faire une idée plus précise quant au potentiel de certains joueurs qui m’ont été proposés par l’équipe technique. L’idée est aussi qu’on puisse, avec mon staff, ouvrir des ponts de communication et de dialogue avec les entraîneurs des clubs et voir dans quelle mesure on peut leur être utile et vice versa. D’autant plus qu’il n’y pas que la sélection, mais aussi toutes les autres équipes nationales. Et celles-ci sont alimentées en premier lieu par les joueurs évoluant en championnat marocain.
Parlons des entraîneurs. Si certains ont applaudi votre nomination, d’autres, et ils sont nombreux, s’y sont opposés, arguant que pour une équipe nationale, il n’y avait rien de mieux qu’un entraîneur marocain. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis au-dessus de personne. Simplement, j’ai été contacté par la fédération pour entraîner l’équipe nationale et j’ai accepté. Je ne vois pas pourquoi je devrais avoir honte de cela. Je suis là avec les meilleures intentions qui soient et avec une énorme volonté de bien m’acquitter de ma mission. Et le succès de celle-ci tient en partie à la qualité des rapports que j’aurai avec les entraîneurs nationaux. Et je tends ma main à tous ceux qui partagent la même volonté que moi, celle d’aller de l’avant. J’espère que le retour sera positif.
Doit-on s’attendre à des changements dans votre staff technique ?
En principe, nous sommes au grand complet. Je ne connais pas encore suffisamment l’entraîneur des gardiens de but mais je ne vois pas pourquoi je devrais changer une équipe si celle-ci s’avère gagnante.
N’empêche que celle-ci compte également un Noureddine Naybet qui, bien que grand joueur par le passé, avait brillé pour ses velléités hégémonistes sous l’ancien sélectionneur Baddou Zaki…
Je suis particulièrement heureux de l’avoir parmi nous et j’ai entièrement confiance en lui. Et cette confiance est réciproque. Le soutien qu’il est amené à m’apporter est indispensable. Naybet est un fin connaisseur du football marocain et de la mentalité des joueurs. Et c’est pour cela que j’ai fait appel à lui, soit pour m’aider à bien comprendre tel ou tel aspect ou joueur, en cas de doute, et à faire en sorte que mon message passe de la manière la plus claire et la plus convaincante qui soit.
Il y a les hommes, mais il y a surtout un cahier des charges auquel vous êtes tenu. Au-delà de la qualification à la Coupe d’Afrique et au Mondial, quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?
Mon seul objectif est de gagner. Participer à de grandes compétitions, c’est bien. Les gagner, c’est encore mieux. Et je suis né pour remporter des titres. Et aussi longtemps que je ferai ce travail, ce sera ma seule et unique motivation. Si nous participons à la prochaine Coupe d’Afrique, c’est pour la ramener au Maroc. Et si nous allons à Rio pour le prochain mondial, c’est pour arriver aux demi-finales. Une telle ambition peut sembler farfelue, mais c’est exactement ce qu’on disait du temps où je jouais avec l’équipe nationale belge et où nous avions atteint ces mêmes demi-finales. Avec la sélection marocaine, mon ambition est de faire encore mieux. Qu’une équipe avec un nombre aussi impressionnant de stars ne gagne pas me paraît anormal. Mon challenge est de faire que cette situation soit revue et corrigée. Là est la principale raison qui m’a poussé à venir au Maroc. .
Dans la presse belge, on parle cependant du refus de votre épouse de vivre en Arabie saoudite, un facteur qui vous aurait poussé à venir au Maroc. Que répondez-vous ?
Je suis divorcé. Mais je ne vous cache pas que ma famille me manque. J’ai deux enfants et trois petits enfants, avec un quatrième déjà en route. Ma qualité d’entraîneur exige de très longues heures de travail et, surtout, de très nombreux déplacements. Être au Maroc me permet non seulement de les recevoir mais de pouvoir me libérer deux jours de temps en temps pour partir les voir. Et cela n’a pas de prix.
Entre votre accord de principe à la FRMF et votre arrivée, il y a eu une période de flottement et d’angoisse. Que s’est-il vraiment passé ?
Tout ce qu’il y a, c’est que deux hommes, – en l’occurrence le prince Abderrahmane Ben Msâad, président d’Al Hilal et moi-même – se sont donné une parole. Sans qu’il n’y ait rien d’écrit. Celle-ci consistait à ce que je reste aussi longtemps qu’Al Hilal se maintiendrait en compétition pour la Champions League asiatique et que sitôt le club sorti, j’étais libre de mes choix. Et chacun de nous a respecté sa parole. Toute l’inquiétude nourrie pendant ce temps était tout simplement inutile.
Cela vous a quand même valu un accueil des plus froids de la part des journalistes, lors de votre première conférence de presse, donnée le 26 octobre dernier…
Une telle réaction me semble somme toute normale. D’autant que j’ai eu droit au même accueil en Arabie saoudite et en Turquie notamment. Je pense que la presse est dans son rôle. Les journalistes ont le droit de poser toutes les questions et de faire toutes les critiques qui leur semblent pertinentes. Mais sitôt une conférence de presse terminée ou une critique formulée, j’oublie tout et je me concentre sur mon job à moi. Chacun son boulot.
Parmi les principaux reproches qui vous ont été adressés, le secret entretenu autour de votre salaire. Pourquoi tant de discrétion ?
Tout ce que je peux vous dire, c’est que si ma motivation était d’ordre salariale, je ne serais pas venu au Maroc. Des pays comme le Qatar m’avaient fait des offres astronomiques. J’ai gentiment décliné.
Le président d’Al Hilal a déjà annoncé que vous aviez sacrifié 100000 euros sur les 250000 euros mensuels que vous perceviez au club saoudien...
Le prince a dû répéter des choses qu’on lui a dites sans pouvoir les vérifier. Abderrahmane Ben Msâad est mon ami. Et s’il y a quelque chose que je ne le vois pas du tout faire, c’est s’amuser à comparer entre mon contrat avec Al Hilal et celui que j’ai signé avec la fédération marocaine. Une précision tout de même, je n’étais pas à 250 000 euros par mois à Al Hilal…peut-être moins, mais peut-être plus (rires)..
Propos recueillis par Tarik Qattab |