Les principales centrales syndicales du pays, excepté la CDT, se sont donné le mot pour une grève nationale le 3 novembre qui a paralysé bien des secteurs. Face au mutisme du gouvernement, le pire est à craindre. Analyse.
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Le mot d’ordre a été donné depuis deux semaines. Et chaque jour qui passe, ses initiateurs étaient encore plus déterminés à aller jusqu’au bout. Et finalement, une grève nationale a bien eu lieu mercredi 3 novembre. Celle-ci a concerné la fonction publique, les collectivités locales et, à moindre échelle, les établissements publics. Le tout, devant le regard presque passif d’un gouvernement pris entre le marteau d’un agenda (trop) rempli et une incapacité ne serait-ce qu’à calmer les nombreuses centrales et syndicats qui y ont participé. Au total, elles étaient cinq instances à y prendre part : l’UMT (Union marocaine du travail, gauche), l’UNTM (Union nationale des travailleurs du Maroc, bras syndical du PJD), la FDT (Fédération démocratique du travail, USFP) et l’ODT (Organisation démocratique du travail). Même le pendant syndical de l’Istiqlal, à savoir l’UGTM (Union générale des travailleurs marocains) était de la « fête ».
Un fait aussi étonnant que paradoxal. Mais c’était compter sans la corde de l’indépendance sur laquelle joue librement le tonitruant Hamid Chabat, qui en est le secrétaire général. De toutes les centrales qui comptent au Maroc, seule la CDT (Confédération démocratique du travail) a fait faux bond.
NĂ©cessaire valorisation des salaires
« La centrale de Noubir El Amaoui a toujours préféré faire cavalier seul ou, au bas mot, décréter un mot d’ordre et être suivie par d’autres », nous explique cette source syndicale. Administrations et collectivités locales ont finalement suivi le mot d’ordre paralysant, le temps d’une journée, bien des secteurs. Selon les premières estimations, la grève a été un franc succès. « Plus de 80 % des fonctionnaires ont suivi le mot d’ordre, voire près de 90 % en ce qui concerne les administrations importantes comme l’éducation nationale, la santé et les collectivités locales », affirme Abderrahim Handouf, le très influent secrétaire général adjoint de l’Union des syndicats de la fonction publique (affiliée à l’UMT) et celui-là même qui a appelé à la grève en premier lieu. Le gouvernement a estimé pour sa part par la voix de son porte-parole Khalid Naciri que cette grève était « regrettable et injustifiée », tant, selon la même source, le gouvernement « montre sa sincère volonté de dialoguer ».
Des syndicats comme l’ODT sont même allés plus loin en organisant, ce mercredi, un sit-in devant le Parlement. Si chacune de ces instances s’y est rendue avec ses propres revendications, toutes étaient d’accord sur un point essentiel : la nécessaire valorisation des salaires dans la fonction publique.
Hausse exceptionnelle du coût de la vie
Sinon, et pour de nombreuses têtes de pont de la grève, le mouvement du mercredi n’était que la traduction de l’échec de trois ans de dialogue social entre le gouvernement El Fassi et les syndicats.
Un avis partagé par Abderrahim Handouf, pour qui le seul acquis notable enregistré par l’actuel exécutif est la suppression des échelles allant de 1 à 4 et le passage de ceux qui y étaient classés à l’échelle 5.
Pour Jamal Eddine Aghmani, ministre de l’Emploi, une telle affirmation est injuste. « On semble avoir oublié que le gouvernement a réussi à revaloriser de 10,4 % les salaires des fonctionnaires, en combinant augmentations proprement dites et baisse de l’impôt sur le revenu par trois vagues successives », dit-il.« Il ne faut pas oublier que l’indice du coût de la vie a, entre-temps, augmenté de 15 % et que cette hausse demeure exceptionnelle, le gouvernement se refusant à tout système d’augmentation », rétorque Handouf. Même son de cloche pour Larbi Habchi, membre du bureau central de la FDT. La révision à la baisse de l’impôt sur les revenus relève pour lui du technique. « C’est une mesure mécanique qui n’a eu aucune portée sur le plan grand nombre. Et elle ne cache que très mal le fait que les taux d’imposition sur les salaires au Maroc est l’un des plus élevés de toute la Méditerranée et que les factures d’eau et d’électricité, de téléphone et même des services bancaires sont parmi les plus élevées au monde », ajoute celui qui occupe également le poste de conseiller à la Deuxième Chambre. Pour lui, cette revalorisation salariale n’a profité qu’aux gros salaires. « Pour les échelles de 6 à 8, il n’a guère dépassé les 40 dirhams par mois », précise-t-il.
Le gouvernement n’a pas respecté son engagement
Egalement à l’origine du ras-le-bol général des syndicats, le non-respect par le gouvernement de son engagement à institutionnaliser le dialogue social. La méthodologie adoptée dès l’investiture du gouvernement El Fassi voulait que le dialogue social soit ouvert à compter du mois de septembre. « Nous sommes en novembre et aucune règle, ni de forme ni de fond, n’a été suivie. Nous y voyons un signal que les questions sociales sont désormais le cadet des soucis de l’actuel exécutif. En lieu et place, on nous bassine avec un discours sur la crise pour préparer une austérité qui n’a pour pendant que le resserrement de l’étau autour des salariés », s’insurge Habchi.
Et de nuancer en précisant que « nous ne demandons pas une augmentation directe des salaires, mais une amélioration des revenus des fonctionnaires. Et ce ne sont pas les instruments qui manquent ». Il cite en exemple la possibilité de revoir à la baisse la TVA sur les salaires des fonctionnaires qui placent leurs enfants dans des écoles privées et la promotion par l’Etat d’une offre de logement pour la classe moyenne, véritable parent pauvre de la politique d’habitat au Maroc. L’UMT propose, entre autres, une revalorisation de 5 % des salaires des fonctionnaires dont les échelles sont situées entre 5 et 9. « D’autant que cet effort ne coûtera aux caisses de l’Etat que 3 milliards de dirhams par an ». Pour les échelles supérieures, il revendique de nouvelles baisses de l’impôt sur le revenu. « Il faut savoir que les salariés sont les seuls citoyens dont les impôts sont prélevés à la source au Maroc », précise Handouf. Cela pose pour lui un problème d’ordre constitutionnel.
Au fameux IR, l’UMT plaide pour un impôt propre sur les salaires, dont les taux devront être adaptés aux niveaux de salaires au Maroc. « Mais là encore, et comme sur tous les sujets d’ordre social, le gouvernement n’a nullement envie de discuter », constate-t-il.
Un discours sans conviction
Un constat auquel le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement oppose un discours qui se veut rassurant mais sans grande conviction. Pour Khalid Naciri, le sérieux adopté par l’exécutif n’est pas sujet à caution. Il en veut pour preuve que deux rounds de dialogue social ont déjà été organisés sous le mandat de l’actuel gouvernement, contre un seul round pour les précédents gouvernements. Mais il faut que les réponses du gouvernement soient « logiques, objectives, adaptées à la conjoncture ». Le discours sur la crise n’est pas loin (voir encadré).
Mais celui-ci justifie-t-il l’autre engagement manqué de l’équipe El Fassi, à savoir l’élargissement de l’espace des libertés syndicales ? Abderrahim Handouf parle à cet égard d’un blocage psychologique qui menace jusqu’à la transition démocratique du pays. « Sinon, comment expliquer le refus de l’Etat de ratifier la convention de l’Organisation internationale du travail sur les droits syndicaux et la non-abrogation de l’article 288 du Code pénal », s’interroge-t-il. A préciser que ce texte stipule que « quiconque aurait recours à la force, aux menaces ou à des activités frauduleuses visant à provoquer un arrêt de travail afin d’obliger à une modification salariale ou mettrait en péril le libre exercice du travail, encourt des peines de prison allant de un mois à deux ans ». Avec toutes les interprétations qui vont avec. C’est dire que les questions en suspens restent nombreuses. En attendant des réponses, les centrales précitées menacent d’ores et déjà de hausser le ton et le rythme des contestations.
Rappelant que la grève du 3 novembre était à caractère préventif, elles annoncent qu’en cas « de persistance de l’hostilité gouvernementale, des formes de lutte plus avancées sont prévues dont une grève nationale de 48 heures et la marche nationale des travailleurs déjà décidée mais suspendue ». Une année chaude en perspective.
Tarik Qattab |