La cérémonie de présentation d’Eric Gerets à la presse a tourné à la confrontation entre le nouvel entraîneur des Lions de l’Atlas et de virulents journalistes sportifs.
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L’accueil était censé être chaleureux. Il aura été électrique. Et c’est peu dire. Ayant officiellement pris ses fonctions à la tête de la sélection nationale de football, lundi 25 octobre, le Belge Eric Gerets a cru bien faire en se livrant dès le lendemain au jeu des questions-réponses avec la presse. Mal lui en a pris.
C’était lors d’une conférence annoncée tambour battant et organisée tard dans la soirée du mardi 26 octobre au Centre international de conférences de Skhirate. Venus nombreux, les journalistes sportifs, majoritairement connus pour être peu tendres à l’égard de tout sélectionneur, l’ont été encore moins avec le Belge.
D’abord parce que l’arrivée de celui-ci est intervenue après plus de cinq mois d’attente. Sa nomination a été annoncée par la Fédération en juillet dernier. Un délai suffisant pour que la presse sportive aiguise ses couteaux. Et elle en a sorti de gros ce soir-là . Président de la Fédération royale marocaine de football, Ali Fassi Fihri a tenu à s’excuser du retard enregistré dans la prise de fonction de l’entraîneur. Le silence coupable de la Fédération entre-temps n’avait pour objectif que la volonté « d’éviter toutes les polémiques », a dit le président de la Fédération. On ne peut pas dire qu’il ait véritablement réussi. Sitôt son bref discours achevé, le président de la FRMF a tenu à offrir le maillot national et le fanion de la Fédération en gage de confiance au nouveau coach.
Un choix pour le moins impopulaire
Celui-ci a avoué avoir eu sa part de stress à cause du flottement séparant son passage du Hilal saoudien, qu’il a quitté après l’avoir mené aux demi-finales de la Champions League asiatique, à l’équipe nationale. « Je n’ai même pas eu le temps de faire mes adieux à l’Arabie saoudite où je compte de nombreux amis. A commencer par le prince… aujourd’hui fâché contre moi parce que j’ai refusé de rester au Hilal comme il le souhaitait », a dit Gerets avec un fort accent flamand, pour se justifier. Les objectifs fixés au nouveau coach des Lions de l’Atlas (soit une qualification à la Coupe d’Afrique mais aussi à celle du Mondial de Rio de 2014) n’ont pas échappé aux critiques. Gerets a affirmé vouloir aller au-delà de la simple qualification. Pour cela, il a été rassuré séance tenante par Fassi Fihri concernant les pleins pouvoirs dont il disposerait à la tête des Lions de l’Atlas. « Cependant, nous nous réservons le droit de contrôle, dont nous avons la compétence et l’habilité », a-t-il prévenu.
Les pleins pouvoirs, Gerets a déjà commencé à les exercer en choisissant ses joueurs, issus à plus de 80 % de pays et de championnats européens. Un choix pour le moins impopulaire aux yeux de notre presse. « Ma mission est de prendre les meilleurs éléments. Et je m’en fous qu’ils viennent d’ici ou d’ailleurs. A une condition : qu’ils soient fiers de porter leur maillot national. Une chose est sûre, évoluer à l’étranger n’est pas du tout un visa pour l’équipe nationale. Loin de là . C’est à moi de choisir mes joueurs et non le contraire. »
Des choses à améliorer
A ce titre, le sélectionneur a annoncé qu’il partirait en tournée en Europe en prospection des meilleurs éléments marocains. Tout comme il s’est engagé, dans le même objectif, à assister à au moins deux matchs de la Botola par semaine. « Je reste convaincu qu’à terme, les réformes menées par la Fédération vont réduire l’écart séparant les joueurs du championnat national et ceux nés ou évoluant à l’étranger », a-t-il dit.
S’il n’a pas manqué d’arguments, Gerets a surtout manqué de légitimité. Avant le Maroc, il ne comptait aucune sélection à son actif. Le nouvel entraîneur s’est dit conscient de ce fait mais il a nuancé en mettant en avant les 86 sélections qu’il compte en tant que joueur. « Il est clair qu’un club et une sélection sont deux configurations totalement distinctes. Je me suis d’ailleurs réveillé à six heures du matin pour les entraînements, mais il n’y avait pas d’équipe à coacher. C’est dire qu’entraîner une équipe que je vais voir tous les deux ou trois mois est nouveau pour moi. Mais j’ai confiance et je sais qu’il faudra un grand effort de communication de ma part. » Un tel effort suffira-t-il à relever le challenge de redorer le blason de l’équipe nationale ? Un challenge où le vainqueur d’un championnat d’Europe, Roger Lemerre, a failli.
Gerets a admis que beaucoup de choses restaient à améliorer, mais il s’est dit convaincu par de nombreux joueurs. Pour le reste, il déclare compter notamment sur l’apport d’un Noureddine Naybet, érigé en grand conseiller. Un pari d’autant plus risqué que l’ancien talentueux Lion de l’Atlas traîne un énorme passif du temps où il était capitaine de l’équipe nationale sous Baddou Zaki. « On peut évidemment vivre dans le passé en se lamentant sur son sort. Mais moi, je vis le présent et je pense à l’avenir. » Un avenir d’abord proche, avec un match amical contre l’Irlande du Nord, prévu le 17 novembre à Belfast. Un planning de pareilles rencontres sera établi en février prochain.
Egalement abordée, la question de la rémunération. Mais là encore, le secret reste entier. Tout ce qu’on apprendra de Ali Fassi Fihri, est que le salaire de Gerets est imposable et qu’il comprend également des primes en fonction des performances à venir des Lions de l’Atlas. Un secret éventé par les révélations du président du Hilal, Abdul Rahman Bin Musaid, affirmant que Gerets perdait en partant au Maroc quelque 100 000 sur les 250 000 euros par mois qu’il percevait en Arabie saoudite. Le calcul est vite fait.
Un véritable tollé dans la salle
« Mais il nous faut dépasser ce genre de considérations. D’autant que nous avons la chance d’avoir une fédération disposant de ses propres ressources financières, grâce à nos sponsors et aux droits de télévision », a ajouté le président de la FRMF. Loin de convaincre l’assistance, cette affirmation a suscité un véritable tollé au sein de la salle. Certains ont parlé de dilapidation des deniers publics, D’autres ont parlé d’un recrutement qui va à l’encontre de la « volonté du peuple ». D’autres encore se sont érigés en véritables syndicalistes, marquant leur opposition aux différents choix de la Fédération.
Ils ont peut-être oublié que de telles postures ne faisaient tout simplement pas partie de leur mission d’information. Imperturbable, du moins en apparence, Gerets a répondu, devant un Fassi Fihri des plus gênés : « Malheureusement, je suis bien là . » Et d’ajouter que le jour où ses objectifs seront atteints, il invitera ses détracteurs à fêter la victoire autour d’un café… ou d’un champagne !
Tarik Qattab |