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Mon mari, ce tortionnaire 
Actuel n°65, samedi 16 octobre 2010
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Safia, Hayat et Fatima* ont subi les pires tortures de la part de leurs maris. A travers leurs histoires, on comprend l’utilitĂ© d’un foyer d’hĂ©bergement des femmes battues comme le centre Tilila. Reportage.


***

Le centre Tilila pour les femmes en situation de dĂ©tresse a des allures d’hacienda mexicaine : espace ouvert, grand jardin et architecture coloniale rurale. La villa Ă  la pĂ©riphĂ©rie de Casablanca est « le seul Ă©tablissement qui hĂ©berge des femmes victimes de violence conjugale dans une rĂ©gion qui compte plus de 8 millions d’ñmes », annonce d’emblĂ©e Mouna Chemmakh, la directrice des lieux. Cet Ă©tablissement a accueilli 409 femmes et 416 enfants depuis sa crĂ©ation en 2006. Le principe est simple : quand un centre d’écoute fait Ă©tat d’un cas de violence insoluble, la femme est dirigĂ©e vers Tilila (libertĂ© en amazigh) qui s’occupe de l’hospitalisation et de la prise en charge de la victime (logement et nourriture) en attendant de trouver une solution : enclencher une procĂ©dure de divorce ou un rĂšglement Ă  l’amiable. La capacitĂ© d’hĂ©bergement se limite Ă  20 lits, mais le centre accueille la plupart du temps plus de 40 femmes qui viennent bien entendu avec leurs enfants, quitte Ă  se serrer un peu. Les femmes qui y sĂ©journent ont toutes une histoire tragique Ă  raconter. Elles sont ici pour se reconstruire, reprendre leur vie en main ou, parfois, Ă©chapper Ă  une mort certaine. Fatima, 22 ans, est originaire du monde rural. EmployĂ©e de maison dĂšs l’ñge de 11 ans, mariĂ©e par ses parents Ă  17 ans,  cette frĂȘle jeune femme qui a dĂ©jĂ  2 enfants (3 ans et 10 mois) n’a pas eu la vie facile. Son mari a commencĂ© Ă  la battre dĂšs le huitiĂšme jour de mariage. Et de la pire des maniĂšres.

« Il me forçait à avoir des pratiques sexuelles perverses »

« Il est Ă©lectricien. Pour me punir, il avait l’habitude de me lier les mains avec du fil Ă©lectrique avant de me frapper. Quand je m’évanouissais, il versait un seau d’eau sur ma tĂȘte. Il me forçait aussi Ă  avoir des pratiques sexuelles perverses », nous confie-t-elle en sanglots. Ce n’est qu’aprĂšs une tentative de suicide que Fatima dĂ©cide de franchir le pas et de contacter le centre Tilila dont elle a entendu parler dans son entourage. « Un jour, en voulant me frapper, il s’est trompĂ© et c’est ma fille qui a pris le coup. Devant cette horreur, je me suis jetĂ©e du deuxiĂšme Ă©tage. J’ai passĂ© 3 jours Ă  l’hĂŽpital et depuis, je suis une autre personne. » Loin d’ĂȘtre inquiĂ©tĂ©, le mari de Fatima exige de son Ă©pouse qu’elle abandonne la pension alimentaire qu’il doit en principe reverser si jamais un divorce est prononcĂ©. Pour l’heure, le dossier vient d’ĂȘtre dĂ©posĂ© en justice et Fatima essaye un tant soit peu de revenir Ă  une vie normale en participant aux ateliers du centre Tilila (broderie, cuisine et alphabĂ©tisation).

Hayat, 28 ans, 2 enfants, a pour sa part fait des Ă©tudes. Cela lui a surtout servi Ă  entretenir son Ă©poux depuis 2003. « J’ai un niveau bac, mon mari ne m’a pas laissĂ© finir mes Ă©tudes. Au dĂ©but, tout allait bien. Il travaillait avec sa famille dans une usine de chaussures. Mais quand la fabrique a fait faillite, il a refusĂ© de chercher du travail et j’ai dĂ» tout faire Ă  sa place », nous confie-t-elle.

Son travail d’animatrice dans une grande surface ne lui suffisait pas pour payer les montagnes de mois de loyer qui s’accumulaient et la nourriture. « On se faisait virer de tous les appartements qu’on louait. Parfois la police intervenait pour nous chasser. Il ne voulait rien savoir, il m’obligeait mĂȘme Ă  lui acheter du haschisch. Je restais parfois dans la rue jusqu’à 22 h pour en acheter chez les dealers. Quand j’avais le malheur de rentrer sans, il me battait. J’ai mĂȘme dĂ» mendier Ă  plusieurs reprises pour ne pas revenir bredouille », raconte Hayat.

Leur fils, Karim (5 ans), garde encore les sĂ©quelles de la violence quotidienne qu’il subissait, au mĂȘme titre que sa mĂšre. « Quand il est arrivĂ©, il avait le visage tumĂ©fiĂ© Ă  causes de coups de sandale que lui assĂ©nait son pĂšre. S’il Ă©tait victime, l’enfant Ă©tait lui-mĂȘme trĂšs agressif. Il frappait, crachait, jurait
 sur sa propre mĂšre », se rappelle AĂŻcha, assistante sociale du centre. « C’est malheureusement frĂ©quent, prĂ©cise Fatim-Zohra, psychologue Ă  Tilila. Non seulement la femme est dĂ©truite et a tendance Ă  reproduire la violence sur l’enfant, mais ces derniers, qui prĂ©sentent Ă©galement des problĂšmes psychologiques, finissent par adopter le comportement agressif de leurs parents. »

« Il me séquestrait »

Autre histoire, mĂȘme destinĂ©e. Celle de Safia, 31 ans, mĂšre d’une fille d’un an. Cette fois-ci, c’est la jalousie maladive du mari qui s’est avĂ©rĂ©e dĂ©vastatrice. « Il m’insultait, me frappait si j’avais juste le malheur de m’approcher de trop prĂšs de la fenĂȘtre. Il me sĂ©questrait dans la chambre qu’on louait. Je n’avais mĂȘme pas accĂšs aux toilettes », se souvient la jeune femme, privĂ©e Ă  l’époque de son travail d’ouvriĂšre dans la confection. La famille de Safia Ă©tait la source de tous les maux pour le mari indĂ©licat. Il a mĂȘme dĂ©mĂ©nagĂ© pour s’en Ă©loigner et ainsi maintenir son emprise sur sa femme. « AprĂšs un an de torture, j’ai dĂ©cidĂ© de fuir en emmenant avec moi uniquement les papiers de ma fille. Avant qu’il ne devienne violent, on habitait Ă  cĂŽtĂ© du tribunal de AĂŻn SebaĂą. Je me rappelle encore ses commentaires quand il voyait les cas de femmes battues : ‘‘Un homme qui bat sa femme n’est pas un homme. ’’ Je ne pensais pas une seconde que cela m’arriverait », explique Safia.

Le seul point positif dans le malheur de ces femmes, c’est qu’elles ont aujourd’hui appris Ă  se dĂ©faire de l’autoritĂ© maritale et Ă  se prendre en charge. Safia, Hayat et Fatima ont Ă©chappĂ© Ă  la torture et ont l’intention de travailler pour assurer un avenir Ă  leurs enfants. Mais qu’en est-il des milliers d’autres victimes qui n’ont pas la chance de connaĂźtre le centre ? Celles qui habitent loin ou qui ne trouvent tout simplement pas de place ?

Zakaria Choukrallah

* Afin de prĂ©server l’anonymat des victimes citĂ©es, actuel a pris la libertĂ© de changer leurs prĂ©noms.

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