Les Fassis sont sortis manifester à plusieurs reprises contre l’insécurité galopante. La police qui met pourtant les bouchées doubles n’arrive pas à rassurer. Incursion dans les quartiers chauds de la ville.
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En cet après-midi du vendredi, les dédales de la vieille médina ont désempli. Mais il ne faut pas se fier à cette douce quiétude. Ce lieu, très touristique pendant la journée, se transforme en repaire de malfrats de la tombée de la nuit au petit matin. D’où la présence en nombre de policiers en civil, armés de talkies-walkies. Très diligents quand il s’agit de la sécurité des touristes, ils le sont un peu moins à l’intérieur de la médina. « Cet espace est vaste. Les policiers interviennent en général trop tard, bien après que le crime a été commis », explique un vendeur de figues de barbarie. Une information que confirme Ahmed, vendeur de laitage qui a assisté à plusieurs agressions au couteau : « De par mon métier, je suis censé ouvrir tôt pour me fournir en lait. Mais à cause des agressions, j’ouvre en même temps que les autres commerces, vers 7 heures au lieu de 5 heures du matin. »
Malgré les efforts visibles des forces de l’ordre (estafettes de police qui sillonnent les quartiers chauds, surveillance policière, etc.), la problématique de l’insécurité semble insoluble. Il suffit d’ailleurs d’aborder les Fassis pour qu’ils deviennent intarissables sur la question. Depuis quelques jours, c’est même la préoccupation première des habitants qui sont, à plusieurs reprises, sortis manifester. Les deux estafettes de la CMI (Compagnie mobile d’intervention) postées à proximité de la mosquée Tajmouati à Sidi Boujida, aux abords de la vieille médina, renseignent sur ce qui vient de se passer ici il y a quelques heures. Des centaines de personnes ont pris part à une marche de protestation après la prière du vendredi. La veille, un jeune homme est mort dans le quartier Moulay Abdellah, massacré par ses trois « amis » chauffés à blanc par l’alcool. La semaine dernière, des manifestants sont également descendus dans la rue pour exprimer leur colère suite à l’agression d’une vieille dame. Ce genre de crimes sordides, les scènes de violence et les agressions sont le quotidien des Fassis.
Fès underground
Le « 45 » (Bab Sifer), « Sharij Gnawa », « Aïn Haroun », « Jnane Lakrouda », « Moulay Abdellah »… autant de quartiers devenus, ces dernières années, de hauts lieux du crime à cause de l’urbanisation accélérée et de la montée du chômage. Rien que pour l’année 2007-2008, plus de 1 684 arrestations ont été opérées et 28 347 mis en cause ont été présentés devant la justice pour des délits liés, en majorité, à la petite criminalité, selon la Direction générale de la sûreté nationale.
Situés derrière la muraille de la médina, ces quartiers autrefois des « jnanes » (vergers) appartenant à de grandes familles fassies sont devenus des bidonvilles avant de se transformer en logements sociaux. C’est d’ici que proviennent les criminels qui terrorisent la médina, et désormais même les quartiers riches de la ville. « Je suis né et j’ai fait ma vie dans un quartier chaud, Sidi Boujida, mais aujourd’hui à 59 ans, j’ai peur d’être agressé quand je rentre chez moi le soir », raconte Benslimane, chauffeur de taxi qui nous a servi de guide dans le Fès underground.
Nous sommes au « 45 », surnommé ainsi à causes des parcelles de 45 mètres carrés données aux anciens bidonvillois qui peuplent ce ghetto. Ici, on agresse même en plein jour et « ould 45 » est une insulte chez les Fassis. Les habitants nous déconseillent de nous aventurer en contrebas. « C’est la loi de la jungle ici. Même si tu es “ould derb”, on ne t’épargne pas forcément. On ironise en disant qu’il y a un voleur par 45 m2 ! », raconte Aziz qui pointe du doigt les autorités coupables, selon lui, d’avoir laissé proliférer ces quartiers périphériques sans réfléchir aux conséquences. Du côté des autorités de la ville, on dénonce une exagération et on se veut rassurant. Hamid Chabat, le maire de la ville, estime qu’il n’y a pas plus de criminalité dans sa ville qu’ailleurs et impute ce ramdam médiatique à la société civile, très active dans la capitale spirituelle.
« Je vous annonce que nous allons mettre en place 256 caméras de sécurité d’ici un mois. Le matériel est disponible et la police a mis à la disposition de la ville 13 ingénieurs qui vont s’occuper de la gestion de ce système », rassure Hamid Chabat. Mohamed Aarous préfet de police de la ville, a beau déclarer que la « criminalité est en baisse dans la ville grâce aux efforts déployés par la police récemment », les Fassis, eux, voient certes plus de policiers dans leurs rues, mais davantage encore de criminels…
Zakaria Choukrallah |