Bruce Maddy-Weitzman*
« Israël ne soutient pas les Amazighs »
La presse marocaine a accusé la semaine dernière le Centre Moshe Dayan de plaider, dans un récent rapport, pour un rapprochement avec les militants amazighs en vue d’en faire des acteurs pro-Israël. Vous êtes l’auteur de l’étude précitée. Qu’en dites-vous ?
BRUCE MADDY-WEITZMAN : Le Centre Dayan est un institut de recherche universitaire relevant de l’université de Tel-Aviv. Il abrite des chercheurs respectés et reconnus qui effectuent des recherches sur l’histoire moderne et contemporaine du Moyen-Orient. Le centre ne soutient personne, mis à part les chercheurs qui y travaillent. Il ne s’agit pas d’un think tank politique qui publie des recommandations au gouvernement afin de réaliser de futures actions, mais plutôt d’un institut qui favorise la connaissance approfondie de l’histoire, de la politique, de la société et de l’économie de la région MENA. Je ne suis au courant d’aucun programme du gouvernement israélien de soutien au mouvement amazigh. Une telle démarche serait de toutes les manières contre-productive. Les opposants au mouvement amazigh trouvent sûrement pratique de brandir ces accusations de « complot israélien pour infiltrer l’Afrique du Nord » afin de réaliser leurs propres objectifs politiques. Ces assertions ne doivent pas être prises au sérieux.
Qu’est-ce qui justifie dans ce cas votre grand intérêt pour la question amazighe au Maroc ?
J’ai passé plus de trente ans à enseigner et à écrire sur l’histoire moderne et la politique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Mon intérêt pour le mouvement amazigh au Maroc et en Algérie ainsi qu’au sein de la diaspora est le prolongement de mes études antérieures portant sur divers aspects de la société dans ces pays (par exemple : le statut des femmes, les mouvements islamistes, l’évolution et la durabilité des systèmes politiques au Maghreb). D’ailleurs mon prochain livre, Le mouvement identitaire berbère, un défi pour les États d’Afrique du Nord, sera publié au printemps 2011 par The University of Texas Press. Dans le cadre de cette recherche, j’ai interviewé de nombreux militants amazighs et des intellectuels sur les trois continents.
Dans quelle mesure les Amazighs marocains sont-ils davantage susceptibles de contribuer Ă la paix au Proche-Orient que les autres tendances politiques au Maghreb ?
La paix ne pourra se faire qu’entre Israël et ses voisins immédiats. Cela étant, que des Amazighs marocains soient disposés à parler publiquement en faveur d’Israël, de son droit d’exister, qu’ils reconnaissent l’énormité de la Shoah infligée aux juifs et qu’ils défient le véhément discours antisémite et anti-israélien exprimé dans les autres milieux politiques est en soi un phénomène unique dans la région MENA. Le fait que ces différences soient publiquement exprimées est à mettre au crédit de l’évolution de plus en plus pluraliste de l’espace public marocain et de la société civile. Les Israéliens, dans leur majorité en tout cas, n’en sont pas conscients. Ils apprécieraient sûrement.
Le Maroc peut-il encore jouer un rĂ´le dans le processus de paix au Proche-Orient ?
Le Maroc a par le passé joué un rôle de facilitateur dans le processus de paix israélo-arabe. Mais depuis la rupture des liens officiels en octobre 2000, il est resté en retrait surtout que le roi Mohammed VI a choisi de se concentrer sur la politique intérieure. Cela dit, le Royaume est toujours ouvert aux touristes israéliens, ce qui indique que tout en adhérant au consensus arabe, le pays continue d’adopter une perspective unique dans la région. Des gestes d’ouverture du Maroc seraient accueillis favorablement et aideraient à convaincre une opinion israélienne sceptique quant à l’existence de partenaires pour la paix dans le monde arabe. Le bloc des Etats arabes modérés (Egypte, Jordanie, Maroc et États du Conseil de coopération du Golfe) est impatient de voir des progrès significatifs dans les négociations israélo-palestiniennes. L’administration Obama voudrait également voir ce bloc jouer un rôle de soutien à la paix. Je pense cependant que les pays arabes, dont le Maroc, resteront prudents dans leurs actions.
Qu’en est-il des autres pays du Maghreb. Pensez-vous qu’une élite « plus favorable à la paix » émerge également ?
La Tunisie est très prudente à cet égard et préfère faire profil bas. Contrairement au Maroc, le tourisme israélien commence à peine à s’y développer mais les autorités ont délibérément tenu à le maintenir à petite échelle. Concernant l’Algérie, je ne vois aucun changement ou intérêt pour la question. Cela étant, la montée de l’Iran et le spectre du jihadisme dans la région MENA font que les trois pays du Maghreb et les Etats arabes modérés ainsi qu’Israël ont tout intérêt à collaborer. Mais cela ne peut se réaliser que si le processus de paix avance.
Propos recueillis par Zakaria Choukrallah
* Bruce Maddy-Weitzman est chercheur au Centre Moshe Dayan d’études sur le Moyen-Orient et l’Afrique. Auteur de plusieurs ouvrages sur le conflit, il est spécialisé dans la région du Maghreb et a réalisé de nombreuses études sur les Amazighs. |